Terre-net : Face à l’urgence et à l’ampleur de la crise qui sévit dans plusieurs filières agricoles, quelles mesures, qui pourraient faire effet très rapidement, prendriez-vous pour améliorer la compétitivité des exploitations agricoles françaises ?
François Fillon : Aujourd’hui l’agriculture française est soumise à une double peine : depuis 1970, le prix de l’alimentation n’a pas augmenté à monnaie constante, mais dans ce prix, la part versée aux agriculteurs a été divisée par deux. Il y a une urgence absolue : restaurer les marges des exploitations !
C’est pour cette raison que je souhaite un choc de compétitivité. Il sera de 40 milliards pour les entreprises françaises, et financé par une augmentation de la TVA de 2 %. L’augmentation de la TVA sera applicable à tous les produits, y compris les produits d’importation, tandis que la baisse des charges touchera uniquement les entreprises qui produisent en France. Il y aura donc un double effet positif pour les entreprises françaises, notamment agricoles.
Le droit de l’entreprise agricole impose des complexités d’un autre temps. Aujourd’hui un agriculteur est producteur, transformateur, commerçant, ... pour chacune de ces activités, on lui impose une forme juridique différente. Rien ne justifie que les règles soient plus complexes pour l’agriculture que pour les autres secteurs. Je vais instaurer la liberté pour les agriculteurs de choisir une structure juridique qui englobe l’ensemble de leurs activités tout en maintenant le statut de producteur agricole.
J’accompagnerai aussi l’innovation dans les exploitations par des mesures incitatives, la mobilisation du crédit d’impôt recherche par exemple.
De plus, la France s’est voulue la bonne élève de l’Union européenne, en sur-transposant les règles et normes européennes. Je vais supprimer toutes les normes françaises ajoutées aux normes européennes déjà contraignantes.
Je vais supprimer de notre Constitution le principe de précaution et rouvrir la recherche dans les domaines comme la génétique, la fertilité des sols, l’agriculture 3.0.
Terre-net : Sur les 40 Mds€ de baisse de charges et impôts que vous envisagez en faveur des entreprises, à combien estimez-vous la baisse pour le secteur agricole ?
François Fillon : Selon les dernières données disponibles, l'agriculture et l'agroalimentaire pèsent environ 3,6 % du produit intérieur brut (PIB). Mais le secteur représente 5,6 % des emplois, avec 1,44 million de salariés et non-salariés travaillant dans l'agriculture, la pêche et l'agroalimentaire.
L’agriculture devrait donc bénéficier de 2,3 Mds de baisse de charges, tandis qu’elle ne contribuera que faiblement à l’augmentation de la TVA sur les deux taux les plus élevés (autour de 1 milliard). Le delta représente donc un coup de pouce aux marges de l’agriculture de 1,3 Md€.
Mon projet est, par ailleurs, de baisser de 10 Mds€ les charges sociales sur les salaires afin de revaloriser tous les salaires. Soit, en proportion, environ 570 M€ pour les salariés agricoles, en baissant le coût pour les employeurs.
Dans le même temps, je souhaite fusionner toutes les aides sociales en une allocation unique, afin de s’assurer que les revenus de l’assistance restent toujours inférieurs aux revenus du travail. Comme les agriculteurs, je crois à la valeur travail.
Terre-net : Vous souhaitez revoir la DPA. Envisagez-vous une réforme plus profonde de l’ensemble de la fiscalité agricole ?
François Fillon : L’exposition aux risques globaux s’accroît, tandis que les politiques publiques abandonnent les outils de régulation et de protection… La protection des agriculteurs n’a jamais été aussi faible. Je mettrai en place des outils simples et pragmatiques de gestion des couvertures de risques, responsables et gérés par les agriculteurs eux-mêmes.
L’exemple de la DPA est bon, je vais aller beaucoup plus loin, en mettant en place un compte épargne pour aléas climatiques et économiques. Lorsque l’exploitation fait des bénéfices, elle épargne et cette épargne devient une charge dans le compte d’exploitation. Lorsqu’elle subit un aléa, elle libère son épargne et cette épargne devient un produit. L’épargne ainsi constituée pourra atteindre une année de production. Ce compte épargne fera partie de l’actif de l’exploitation et servira aussi d’assurance crédit, en cas d’emprunt bancaire.
C’est une mesure de bon sens, simple d’utilisation, compréhensible par tous. Je pense même que dans la nouvelle Pac, l’Europe pourrait abonder un tel dispositif.
Terre-net : Vous souhaitez construire une Pac « simple » et « réactive », tournée vers la gestion des risques et l’investissement. Faut-il, pour y parvenir, revoir totalement le schéma général de la Pac ? Le Farm-Bill américain est-il un exemple à suivre ?
François Fillon : Certainement pas dans la forme, mais dans le fond, oui. Le Farm Bill, qui n’est pas la panacée loin de là, a un grand mérite : il est entièrement au service de l’agriculture américaine et de la souveraineté alimentaire de cette nation, du maintien du niveau de vie des agriculteurs. Il permet sans hésiter ni état d’âmes, d’appliquer des outils pragmatiques de soutien aux producteurs, et très rapidement. On a vu des interventions très ciblées cet été se mettre en place en quinze jours pour soutenir certaines filières en difficulté !!!
Je souhaite qu’en 2018, tous les agriculteurs soient capables de remplir leur dossier Pac sans l’intervention et l’assistance d’un organisme extérieur.
Du coté européen, la politique européenne agricole est en panne. La Pac entretient désormais un dispositif d’aides découplées, déconnectées de la production, et inefficaces.
Je ne veux m’interdire, pour la Pac, aucun mode d’intervention pour faire face aux grandes incertitudes des prochaines années : assurances, aides directes contracycliques, mais aussi interventions sur les stocks ou les prix. Il faudra avoir une ligne budgétaire maintenue, et une capacité de réaction ultra rapide pour répondre aux agricultures européennes.
Je souhaite qu’en 2018, tous les agriculteurs soient capables de remplir leur dossier Pac sans l’intervention et l’assistance d’un organisme extérieur, comme c’est le cas aujourd’hui.
Je souhaite que les aides Pac soient versées plus rapidement. Il n’est pas normal que l’on conseille aujourd’hui aux agriculteurs d’emprunter à la banque pour attendre le versement des aides de la Pac, que l’Etat, de son coté, a déjà encaissé de la part de l’Europe.
Terre-net : Vous proposez de « faire une réforme drastique du droit de la concurrence ». Dans quel sens, concrètement ?
François Fillon : Je m’engage à vous aider à restaurer vos marges et à conquérir des marchés, en donnant toute liberté aux agriculteurs de se regrouper en organisations de producteurs de taille significative, en encadrant par la loi la négociation des contrats, en soutenant les circuits directs de vente.
Face à des consortiums de la grande distribution organisés et monopolistiques, les organisations de producteurs doivent atteindre des tailles significatives pour négocier les prix sans être en contravention avec le droit européen de la concurrence.
On ne produit pas des marges en vendant toujours moins cher !
Comme je l’ai dit plus haut, en France, le prix de l’alimentation n’a pas bougé depuis 1970 ! Dans ce prix qui stagne, la part versée aux agriculteurs a été divisée par deux. La course « au prix le plus bas », à « la vie moins chère », finit par reposer entièrement sur l’appauvrissement des exploitants agricoles, on ne produit pas des marges en vendant toujours moins cher ! On ne crée pas de la croissance et des emplois en sacrifiant les producteurs !
En France, nous devrons avoir un grenelle des prix avec la grande distribution, le lendemain de l’élection présidentielle.
Terre-net : Le Ceta signé avec le Canada inquiète de nombreux éleveurs. Sur le plan agricole, est-ce un bon accord ? Souhaitez-vous la reprise des négociations avec les Etats-Unis sur le Tafta ?
François Fillon : Le Ceta est un bon accord si les règles du jeu sont identiques, et respectées par tous. Malheureusement ce n’est pas le cas, et certainement pas pour l’agriculture. Nous signons un accord avec un grand pays en dehors de la communauté européenne, alors même qu’au sein de l’Union, les règles ne sont pas les mêmes pour tous ! Je souhaite l’harmonisation des règles au sein de l’Union.
En ce qui concerne la Tafta, je suis contre sa signature tant que l’euro ne sera pas reconnu comme une monnaie de règlement. Il y a une distorsion de concurrence à la base, entre l’euro et le dollar, avant même de penser à signer le Tafta.
Le nouveau Président des Etats-Unis s’est clairement positionné contre la signature du Tafta. Mettons donc notre énergie et nos efforts pour travailler ensemble sur le marché européen.
Pour finir, revenons sur la France. Car, à mon projet pour l’agriculture, s’ajoute un projet pour les territoires ruraux :
- la multiplication des maisons de santé. Il faut simplifier leur conception et la réglementation et en faire des outils utiles pour la population et accessibles pour les professionnels de santé médicaux et para-médicaux. La 1ère Maison de Santé a vu le jour dans les années 30 à Sablé-sur-Sarthe.
- La multiplication des Maisons de Service Public. C'est nous qui avons mis en œuvre cette politique sous le nom de "Relais de Services Publics". Les zones rurales ont besoin de points relais où les citoyens peuvent rencontrer facilement les administrations.
- La simplification des procédures imposées par l'Etat aux collectivités locales et la révision des normes, l’ouverture à la concurrence de certains services, pour leur permettre de faire des économies de fonctionnement et d'accroître l'investissement.
- La révision des normes de construction pour baisser le coût de la construction et la révision des normes d'urbanisme qui retardent l'investissement.
- Le déploiement du Très Haut Débit sur le territoire national, et la fin des zones blanches de téléphonie mobile pour proposer une "qualité de vie connectée" et accompagner le retour des populations. Je mettrai en place sur nos territoires des organisations du même type que celles qui ont permis à la France de s'équiper en électricité, en eau, en assainissement, en téléphone, en réseaux divers.