Après la gestion de la qualité de l’eau par la directive nitrates, les agriculteurs devront-ils aussi respecter des règles pour améliorer la qualité de l’air ? Au ministère de l’environnement, un projet de texte réglementaire serait à l’étude pour limiter les pics de pollution de l’air, qui reviennent régulièrement par temps sec, et notamment lors des beaux jours du début du printemps. Le projet envisage de mettre à contribution le secteur agricole, qui émet l’essentiel des rejets d’ammoniac dans l’air, en imposant notamment des restrictions en matière de fertilisation azotée des cultures.
Selon Luc Janottin, céréalier à Rambouillet et président de la commission environnement à la Chambre d’agriculture d’Ile-de-France, le ministère de l’environnement étudie pour l’instant trois mesures de restrictions. « La réglementation pourrait imposer de substituer l’urée par l’ammonitrate ou une solution azotée, ces deux produits dégageant moins d’ammoniac dans l’air que le premier. Des règles plus strictes d’enfouissement des effluents pourraient être aussi mises en place, de même que des règles d’allongement de la durée de pâturage pour les bovins. »
Le projet n’est pour l’heure, qu’au stade officieux, aucun texte n’ayant été déposé à l’Assemblée ou au Sénat. Mais un rapport interministériel du 15 octobre 2015 sur la gestion des pics de pollution suggère « l’interdiction d’emploi d’urée comme fertilisant azoté au mois de mars, sauf enfouissement immédiat ». Le rapport précise que la mesure pourrait « réduire jusqu’à 15 % les teneurs en particules fines lors des pics de ce mois ».
La fertilisation azotée impliquée dans la pollution du printemps
Les pics de pollution, largement médiatisés en région parisienne, interviennent en hiver et en mars en fonction des conditions météo, notamment en période de beau temps. « Les pics de pollution du mois de mars sont les seuls à concerner l’agriculture, car c’est une période importante de fertilisation des cultures », précise Luc Janottin.
La pollution de l’air se concrétise par des rejets de polluants dans l’atmosphère, comme les particules fines et certains gaz : ozone, oxydes d’azote, dioxyde de soufre, etc. Le secteur agricole contribue aux émissions de particules primaires via le travail des sols, les récoltes, mais aussi les bâtiments d’élevage. Surtout, l’agriculture émet des gaz précurseurs qui, combinés à des polluants émis par le secteur industriel et routier, forment des particules fines secondaires. Ainsi, 97 % de l’ammoniac rejeté dans l’air provient des activités agricoles. L’élevage contribue à 76 % à ces émissions d’ammoniac agricole – 68 % pour l’élevage bovin – contre 24 % imputable à la fertilisation azotée des cultures.
Associé au dioxyde d’azote rejeté par le secteur du transport, l’ammoniac agricole provoque le développement du nitrate d’ammonium que l’on retrouve sous forme de particules lors des pics de pollution au-dessus des agglomérations. « En baissant de 30 % l’ammoniac agricole ou le dioxyde d’azote du transport, on réduirait de 5 à 10 % ces particules fines, explique Bertrand Bessagnet, responsable de l’unité modélisation atmosphérique et cartographie environnementale à l’Ineris. Et si on réduisait les deux sources de 30 %, la diminution du nitrate d’ammonium serait de 20 à 30 %. »
La pollution de l’air coûterait 100 Mds € par an à la France
L’enjeu de la pollution de l’air est majeur pour la santé publique et l’économie du pays. Un récent rapport du Sénat explique que la pollution atmosphérique engendre chaque année au moins 3 Mds € de dépenses de santé. A cela s’ajoute aussi, et surtout, un coût socio-économique intangible mais beaucoup plus important, lié aux nuisances, à la dégradation de la biodiversité ou à la baisse des rendements agricoles. Ce coût serait de l’ordre de 97 Mds € !
Sur le terrain, certaines Chambres d’agriculture ont pris les devants en menant des actions de sensibilisation des agriculteurs sur les bonnes pratiques pour atténuer les émissions sur leurs exploitations. « En matière de fertilisation azotée, les pertes d’azote dans l’air coûteraient environ 3 Mds €/an à l’agriculture européenne, à cause des baisses de rendements engendrées », explique Antoine Henrion, président de la Chambre d’agriculture de Moselle et responsable du dossier qualité de l’air à l’APCA.
Les initiatives régionales, comme en Lorraine, en Alsace ou en Ile-de-France sont louables, mais resteront probablement sans effet sans un plan de lutte multisectoriel et européen. Car, comme le nuage radioactif provoqué par la catastrophe de Tchernobyl, les particules fines ne s’arrêtent pas à nos frontières.