Droit
Quel statut pour l’agriculteur demain ?

Quel statut pour l’agriculteur demain ?

Le législateur ne s’est jamais intéressé à la définition de l’agriculteur mais uniquement à celle de l’agriculture, sauf dans le cadre de la loi Gaec laquelle définit les critères d’agréments et, de ce fait, l’associé de Gaec comme agriculteur. C’est donc par défaut qu’est considérée comme agriculteur aujourd’hui la personne qui réalise une ou des activités agricoles et qu’est reconnu, comme « véritable agriculteur », l’agriculteur affilié à l’Amexa. Donner accès à un statut, c’est-à-dire un corps de règles, de droits et d’obligations, portant la reconnaissance et la protection des agriculteurs, serait à la fois l’outil d’une reconnaissance réciproque de tous les agriculteurs et le signe qui les démarquerait des autres professionnels. L’étude menée par Gaec & Sociétés, depuis deux années, avec le soutien financier du Casdar porte sur cette question et plus précisément sur «  L’évolution du statut de l’agriculteur  : la voie du chef d’entreprise salarié ? ».

En un demi-siècle, l’exercice de la profession d’agriculteur a connu de nombreuses évolutions, du modèle de l’agriculteur organisé sous la forme individuelle et familiale, l’agriculteur est passé à une logique d’entreprise et les formes sociétaires se sont multipliées. Les schémas sociétaires se sont diversifiés, depuis l’émergence du Gaec en 1962 jusqu’au développement massif des Earl dans les années 90 et plus récemment l’utilisation des sociétés de forme commerciale en agriculture (Sas, Sarl, SA).

Ces évolutions juridiques ont eu pour effet de créer une diversité de statuts au sein de cette profession. Certains agriculteurs choisissent dorénavant un statut social de chef d’entreprise salarié (environ 12.000 exploitants selon les statistiques de la Ccmsa mais chiffre en deçà de la réalité) en exerçant leur activité à travers une société de forme commerciale (Sas, Sarl, SA) alors que les autres restent dans le schéma classique de chef d’entreprise non salarié.

Il ressort de l’étude que quatre raisons motivent ce choix pour une société de forme commerciale emportant le statut social de salarié. Les deux principales sont la maîtrise de l’assiette sociale et l’accès à une meilleure protection sociale, deux autres, secondaires, sont l’exercice en sus de l’activité agricole d’une activité commerciale et la possibilité d’ouvrir le capital à des apporteurs de capitaux.

Toutefois, ce choix du statut social de chef d’entreprise salarié emporte des conséquences importantes pour un agriculteur puisqu’il entraîne, de fait, la perte de sa qualité d’agriculteur au sens commun. En effet, l’agriculteur qui fait le choix du salariat est, au regard de toutes les branches du droit agricole, traité comme un salarié. Il en va ainsi de sa protection sociale, de son statut professionnel (contrôle des structures, statut du fermage, aides économiques nationales, indemnités compensatoires de handicaps naturels, aides à l’installation…), de son statut fiscal (perte des bénéfices agricoles) et d’une manière générale, de tous les attributs d’un « véritable agriculteur ». Il perdra même la reconnaissance de ses pairs puisqu’il votera dans le collège salarié aux élections Chambres d’agriculture comme à la Msa.

Cette absence de reconnaissance tient au fait que la porte d’entrée vers le statut d’agriculteur reste jusqu’à lors l’affiliation à la Msa en qualité de non salarié agricole. L’étude démontre que ce critère crée des inégalités de traitement entre agriculteurs difficilement explicables en pratique puisque ces exploitants exercent la même profession, dans les mêmes conditions, à la seule différence que l’un est salarié au sens social par détermination de la loi (Pdg de SA, président de Sas) et l’autre est socialement non salarié (gérants de sociétés civiles agricoles). Il convient de préciser qu’il n’est pas question ici du salarié tel que défini par le droit du travail qui doit répondre aux trois critères prétoriens cumulatifs de l’existence d’un contrat de travail que sont une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination. L’étude ne vise que les chefs d’entreprise non subordonnés c'est-à-dire disposant de la maîtrise de leur outil de production et du pouvoir décisionnel y afférant. Il s’agit là d’un point important puisque, selon nous, l’existence d’un lien de subordination semble inconciliable avec la reconnaissance du statut d’agriculteur (Cf. infra 1/ l’adoption d’une définition juridique du chef d’exploitation agricole).

En conséquence, le modèle qui reposait sur la notion de chef d’exploitation individuelle non salarié agricole au sens social n’est plus, aujourd’hui, la seule réalité de l’agriculture française. Non seulement, ce schéma classique n’est plus exclusif, mais il se révèle préjudiciable à la reconnaissance professionnelle d’un nombre croissant d’agriculteurs qui sont, pourtant, de vrais chefs d’entreprises agricoles.

Face à ces évolutions, le statut social de chef d’exploitation non salarié n’apparaît plus à même de recouvrir l’ensemble des agriculteurs. En effet, si le chef d’exploitation affilié à l’Amexa est toujours reconnu pour être un véritable agriculteur, telle n’est pas la situation de ceux qui ne possèdent pas ce statut.

Outre la situation des chefs d’entreprise « salariés » (sujet de l’étude), la situation des cotisants solidaires demandent aussi réflexion puisqu’il apparaît qu’un certain nombre d’entre eux sont aujourd’hui de véritables professionnels de l’agriculture et pourtant non reconnus eux aussi.

La définition de l’agriculteur professionnel ne peut donc, selon l’étude, se limiter à une affiliation sociale. D’autant plus que la Cour de Justice de l’Union Européenne dans un arrêt rendu en date du 25 octobre 2012 1  a décidé qu’une personne qui s’installe dans une exploitation agricole comme chef d’exploitation doit pouvoir bénéficier des aides à l’installation des jeunes agriculteurs dès lors qu’elle « dispose d’une maîtrise effective et durable tant de l’exploitation agricole que de la gestion de celle-ci » et ceci même si elle s’installe « en ayant recours à une société par actions ». L’administration française dénie ce droit parce qu’il n’est pas affilié à l’Amexa, mais au régime social des salariés agricoles. Il est donc nécessaire de définir qui est agriculteur aujourd’hui.

Ainsi, les résultats de l’étude appellent à formuler trois propositions, à savoir l’adoption d’une définition juridique du chef d’exploitation agricole (1), l’évolution des règles de droits repérées comme bloquantes à cette reconnaissance (2) et la création d’une nouvelle forme sociétaire (3) permettant au chef d’exploitation d’être salarié de sa structure sans perdre la qualité d’agriculteur.

1/ L’adoption d’une définition juridique du chef d’exploitation agricole

La définition de l’agriculteur permettrait de sortir des confusions actuelles fondées sur le seul critère de l’affiliation sociale qui répond à un objectif différent de celui de définir les véritables professionnels de l’agriculture.

La définition de l’agriculteur devrait réunir plusieurs conditions cumulatives pour que la personne reconnue comme tel soit un professionnel de l’agriculture autonome et responsable de son exploitation.

Les conditions cumulatives à remplir pourraient être les suivantes :

  • exercer une ou des activités agricoles (Cf. article L311-1 du Code rural et de la pêche maritime) ;
  • avoir une maîtrise directe ou indirecte de l’outil de production ;
  • ne pas être subordonné dans l’exercice de l’activité et exercer les fonctions de direction ;
  • avoir un certain volume d’activité ;
  • être titulaire d’un diplôme ou d’une expérience professionnelle suffisante ;
  • être inscrit sur un registre professionnel (registre de l’agriculture).

Cette proposition de création d’un statut de l’agriculteur pourrait simplifier le droit actuel tout en éliminant une grande partie des inégalités de traitement entre agriculteurs. Les personnes qui répondent à la définition auraient le statut d’agriculteur et ainsi se trouveraient placées dans la même position au regard du droit sans qu’intervienne leur affiliation sociale.

2/ L’évolution des règles de droit repérées comme bloquantes

La deuxième proposition serait de faire évoluer les règles de droit repérées comme bloquantes à l’évolution du statut de l’agriculteur vers le chef d’entreprise salarié. Cette évolution est indispensable pour conformer les textes à l’adoption de la définition de l’agriculteur et ne peut, semble t-il, être exclusive de l’adoption de cette définition. Effectivement, une mesure qui aurait pour unique objectif de modifier les textes afin de régler les inégalités repérées sans aller plus loin en offrant un réel statut aux exploitants agricoles serait incomplète et insatisfaisante.

3/ La création d’une nouvelle forme sociétaire : la société agricole de capitaux

L’une des difficultés majeures de l’acquisition du statut de salarié par un chef d’exploitation agricole réside dans l’obligation, pour y parvenir, de faire le choix d’exploiter au sein d’une société de forme commerciale (Sas ou SA).

La troisième proposition pourrait être la création d’une société agricole de capitaux « sui generis » pouvant réaliser des activités civiles et commerciales et offrant un statut social de salarié à son ou ses dirigeants.

La société agricole de capitaux pourrait répondre à plusieurs problématiques qui se posent aujourd’hui en agriculture, à savoir l’entrée d’apporteurs de capitaux, la diversification avec la possibilité de réaliser des activités commerciales en sus des activités agricoles et l’octroi du statut social de salarié pour le dirigeant sans recourir à une société de forme commerciale.

Par ailleurs, la combinaison de ces trois propositions ne semble pas impossible et pourrait permettre aux agriculteurs désireux d’opter pour le statut de chef d’exploitation agricole salarié, de pouvoir le faire dans une société agricole souple à l’instar de ce qu’est la Sas pour le secteur commercial. Les chefs d’exploitations agricoles associés gérants de la société agricole de capitaux devant respecter eux aussi les conditions cumulatives posées par la définition de l’agriculteur afin d’être reconnus.

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