Il y a 10 ans, le bras gauche de Michel Chevalier, éleveur d’une soixantaine de vaches laitières et de 420 truies naisseur-engraisseur (sur 220 ha de SAU, dont 60 % en herbe) à Caro dans le Morbihan, a été happé par la vis sans fin d’un silo et son avant-bras amputé.
Un mois et demi après son accident, il remontait sur son tracteur, avant d’enchaîner sur la moisson. « Une bonne thérapie pour aller de l’avant, lance-t-il. Les soucis du quotidien sur la ferme font oublier un peu les plus gros. » Car l’agriculteur n’envisageait pas de changer de métier. « J’ai toujours fait ça, depuis tout petit, je ne me voyais pas dans autre chose. Nous venions aussi de réaliser de lourds investissements pour mettre aux normes et restructurer l’élevage. Je ne m’y serais pas retrouvé financièrement », explique-t-il.
« On doute, puis on trouve des solutions »
Il a quand même connu des difficultés, des moments de doute, de découragement. « Au début, on galère, on perd ses repères, même le travail basique se révèle complexe. Parfois, on a envie de tout balancer », se souvient-il. Mais sa motivation pour continuer à travailler sur l’exploitation a été plus forte. « J’ai eu la chance de cicatriser assez vite, de ne pas avoir trop de douleurs, de membre fantôme notamment. Puis, le temps fait son œuvre. On finit par trouver ses solutions aux nouvelles contraintes », met-il en avant.
Équipé d’un crochet et d’un anneau pour manœuvrer les véhicules (voir paragraphe suivant), il parvient à effectuer pas mal de travaux. « Une prothèse électronique se serait vite oxydée avec l’humidité et l’ammoniac de la porcherie », précise l’exploitant. Seules les tâches minutieuses nécessitant les deux mains – de mécanique, de castration/vaccination des porcelets, par exemple – lui sont impossibles. « Heureusement, je peux compter sur mes salariés, appuie Michel. Ils ont même assuré l’intérim pendant mon hospitalisation et ma rééducation, et m’ont aidé à reprendre goût au travail. » Sans eux et le soutien de sa famille, reconnaît-il, poursuivre l’activité agricole aurait été plus compliqué.
Quatre engins équipés de boule au volant
Peu d’adaptations matérielles ont été mises en place, hormis une boule sur le volant de la voiture et de quatre engins (tracteurs, moissonneuse), pour un coût de 10-15 € chacune, et des prolongateurs entre les seringues et les aiguilles pour effectuer des injections aux bovins en toute sécurité. Le parage, lui, est confié à une entreprise privée. Pour la traite, les griffes étant trop lourdes à soulever, la MSA et l’Agefiph, venues dans l’élevage pour l’étude ergonomique ont proposé un robot.

Mais l’éleveur n’en voulait pas : il y a 10 ans, sa gestion représentait pour lui une « charge mentale (il recevait déjà les alertes des deux machines à soupe de l’atelier porcin) et surtout un coût trop important si jamais le handicap l'obligeait à arrêter le lait ».
Un bras de traite articulé
Avec Yann Dobignard, un ingénieur qu’il a rencontré, il a conçu un bras de traite articulé en inox, baptisé Traitaleizh, qui supporte les griffes (en salle de traite en épi). Avec les frais de recherche et le dépôt de brevet, l’équipement lui est revenu à 6 000 €, « sans aide financière contrairement au robot de traite ». L'agriculteur en situation de handicap signale également « quelques lenteurs administratives et l’intervention de nombreux acteurs qui complique les démarches ». « On se sent perdu sur son lit d’hôpital à devoir passer plein de coups de téléphone. Davantage de centralisation serait bénéfique. De même qu’un suivi au-delà de trois-quatre ans. »

« Pour les salariés également, les prolongateurs sur les seringues sécurisent le travail et le bras de traite, en fonctionnement depuis deux ans, diminue la pénibilité », souligne par ailleurs Michel. Cet équipement pourrait être une solution pour les éleveurs souffrant de troubles musculosquelettiques. Aujourd’hui, « je vais bien physiquement et mentalement, conclut-il. Il y a pire, la vie continue ! » Il est épanoui dans son travail et fier d'avoir pu continuer à développer l'exploitation.