"On pouvait se douter que la dernière ligne droite de l'élargissement serait propice en psychodrames en tous genres. Eh bien, nous y sommes!", assurait à l'approche de la rencontre un diplomate européen, faisant part de son inquiétude sur ce sommet "à très hauts risques". La présidence danoise de l'UE a contribué à dramatiser la situation en évoquant publiquement la possibilité d'un échec retentissant à Bruxelles, qui remettrait en question tout le calendrier d'adhésion de 10 pays de l'Est et du Sud de l'Europe. Appelant mercredi les Quinze à "l'esprit de compromis", le ministre danois chargé des Affaires européennes Bertel Haarder a prévenu que le sommet pourrait se prolonger et qu'il durerait "le temps qu'il faudra" pour "arriver à une solution". Peu après, le gouvernement allemand faisait part de son pessimisme sur les chances de parvenir à un "accord concret" à Bruxelles en dépit de récentes propositions faites par la France pour tenter de surmonter le différend entre les deux pays. De l'avis général, le sort du sommet dépend désormais du chancelier Gerhard Schroeder et du président Jacques Chirac. Jusqu'ici incapables de surmonter leur antagonisme sur les aides agricoles à accorder aux futurs membres de l'UE, les deux hommes doivent se retrouver en tête-à-tête jeudi après-midi dans un grand hôtel de la capitale belge pour une ultime tentative avant l'ouverture de le rencontre. Un désaccord persistant mettrait en péril tout le programme agencé par la présidence danoise, qui a décidé d'aborder les sujets les plus épineux dès le permier dîner de travail entre les Quinze. Les dirigeants européens sont censés trouver à Bruxelles un accord unanime sur les offres financières aux pays retenus par la Commission européenne pour rejoindre l'UE en 2004 et dont la liste sera, elle, entérinée sans difficulté : Pologne, République tchèque, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Chypre et Malte. La victoire du "oui" au référendum irlandais sur le traité de Nice a retiré un obstacle de taille sur la route de cet élargissement que chacun qualifie d'"historique" pour l'unification du continent. Mais la bataille sur le financement de l'événement n'a pas été simplifiée pour autant. L'enveloppe globale prévue par la Commission est relativement modeste : 42 milliards d'euros entre 2004 et 2006, alors que le budget annuel de l'UE atteint près de 100 milliards d'euros. Le vrai problème est ailleurs : derrière le volet financier de l'élargissement, se profile le dossier autrement explosif du budget de l'UE élargie pour la période 2007-2013, sur lequel chacun veut prendre date. Les tentatives de la présidence danoise de ne pas mélanger les deux questions se sont révélées totalement vaines. Pire encore, Jacques Chirac vient de jeter un gros pavé dans la mare en remettant en cause le rabais accordé depuis 1984 à la Grande-Bretagne pour sa contribution au budget européen, en souhaitant un réexamen global des dépenses de l'UE. Londres a immédiatement rétorqué que le chèque britannique "n'est pas négociable". Le point le plus épineux à régler reste malgré tout celui des aides agricoles aux pays candidats, qui oppose de front l'Allemagne et la France. La première souhaite limiter ces aides au maximum afin d'envisager dès maintenant un allègement de la facture de la Politique agricole commune (PAC), ce que la seconde refuse catégoriquement. Le blocage est tel que MM. Schroeder et Chirac envisagent de ne trouver un compromis que pour le prochain sommet européen, en décembre à Copenhague. Celui-ci doit en théorie boucler les négociations d'adhésion, mais si les candidats n'ont pas le temps d'étudier d'ici là les propositions financières des Quinze, l'élargissement devra sans doute être retardé. |