Comme l'écrit en introduction l'historien Serge Wolikow, qui a co-dirigé cet ouvrage, cette histoire "a longtemps été nié comme période de transformations profondes et réduite à une suite d'épisodes malheureux qui ont failli remettre en cause un héritage ancestral". "Les maladies, les crises, les procès et les fraudes formaient un cortège de termes répulsifs qui s'ajoutaient au tabou persistant frappant la période de l'occupation allemande", ajoute-t-il. Le livre, salué par "La Revue du vin de France", la bible des amateurs de vins, comme un "livre rare et de référence", illustre le travail novateur mené par l'université de Bourgogne dans le cadre d'une Maison des sciences de l'homme centrée sur le patrimoine. Les différentes contributions ont été présentées dans des séminaires avant d'être publiées. Pour les chercheurs qui travaillent sur la Bourgogne, les travaux ont été facilités par l'ouverture progressive de la documentation des maisons de négoce, grâce à une collaboration avec les archives municipales de la ville de Beaune (Côte-d'Or). Des propriétaires ont également permis l'accès à leurs leurs archives. "Nous sommes en sympathie et en empathie avec les professionnels, mais nous avons aussi le recul et l'esprit critique", explique à l'AFP M. Wolikow. Les chercheurs ont travaillé sur les différents "acteurs" qui ont construit cette société viti-vinicole faussement immuable, le producteur, "vigneron" ou "viticulteur", les caves coopératives dans le sud, les négociants, les hommes politiques... Un sociologue, Gilles Laferté, a retracé la trajectoire étonnante du comte Lafon. Né dans le Tarn-et-Garonne, Jules Lafon, marié à la fille d'un producteur de Meursault (Côte-d'Or), est devenu entre les deux guerres l'un des principaux inventeurs d'un folklore, pseudo-médiéval, qui persiste de nos jours: confréries vineuses, comme les Chevaliers du Tastevin, rituels commerciaux, comme la Saint-Vincent tournante. En 1923, Jules Lafon, nommé comte par le pape, a en effet lancé la Paulée de Meursault, qui se tient le lendemain de la vente des hospices de Beaune, pour promouvoir les vins de Bourgogne auprès des notables et des journalistes français et étrangers. L'historien Jean Vigreux s'est penché, lui, sur une période taboue, celle de l'occupation, en traitant du "Clos Pétain", une partie (51 ares et 10 centiares) des hospices de Beaune offerte au Maréchal en mai 1942. Les étiquettes des bouteilles de cette cuvée reproduisaient l'entrée des hospices, le nouveau nom du domaine, clos maréchal Pétain, avec la francisque et les étoiles de son bâton. Certains auteurs montrent également le rôle et l'implication de l'Etat, qui en adoptant à partir de 1935 la législation des appellations d'origine contrôlée (AOC) a accouché d'un système, toujours en vigueur, où survivent les petits producteurs de vins fins aux côtés de grandes firmes. Pour Serge Wolikow, ce travail de recherche "doit se poursuivre avec l'ambition d'appréhender l'histoire viti-vinicole dans la diversité de ses aspects". |