Signe d'un marché tendu, les acheteurs venus du monde entier déguster le millésime 2002 font ouvertement valoir leurs exigences, au nom de la loi de l'offre et de la demande. "Il faut que les prix soient plus raisonnables, sinon, je n'achète pas cette année", affirme ainsi John Carpenter. Cet importateur américain, venu choisir 50.000 bouteilles pour ses clients de San Francisco, ne plaisante pas : le dollar a perdu 15% par rapport à l'euro, pour lui une baisse équivalente des prix est "le minimum acceptable". "Une nouvelle baisse de 20 à 40%, comme en 2001, serait raisonnable et conforme au marché", renchérit un négociant belge. "Les plus grands vins se vendront toujours, ce sont les crus intermédiaires qui ont trop tiré leurs prix vers le haut qui vont trinquer", tempère un négociant de Saint-Emilion (Gironde, sud-ouest). "Les primeurs 2000, grand millésime et année millénaire, se sont arrachés à des prix fous et depuis les grands crus sont restés trop chers, le consommateur ne peut pas suivre dans un contexte général de crise économique", estime Peter Moser, un journaliste autrichien. En 2000, Cheval Blanc, premier grand cru de Saint-Emilion, a doublé ses prix-primeurs à 500 euros la bouteille. Le propriétaire de Château Pavie, grand cru classé de Saint-Emilion avoue quant à lui avoir augmenté ses prix de 150 % depuis 1997. Le principe des primeurs est que l'acheteur, en payant le vin d'avance quand il se trouve encore en barrique, participe au financement de la propriété, avec en contrepartie théorique, un prix moins élevé qu'à la sortie des bouteilles. "Mais la spéculation a tout bouleversé", explique un négociant bordelais qui reconnaît vendre à perte des lots de 1997, année "surcôtée" en primeur et qui vieillit très médiocrement. Face à un millésime 2002 jugé "très hétérogène" du fait des conditions météorologiques capricieuses, les spécialistes n'hésitent pas à conseiller, si les prix ne baissent pas, d'investir dans le 1999 ou le 2001. Seule consolation dans un marché déjà encombré par les stocks d'invendus, la production est moindre cette année, avec un volume de 5,61 millions d'hectolitres - soit 14% de moins qu'en 2001. Et si certains propriétaires, comme Jean-Louis Laborde (château Clinet, Pomerol) se disent "prêts à baisser leurs prix", d'autres, comme Bernard Magrez (Pape Clément, Pessac-Léognan) affirment que "la qualité justifie la dépense" et se refusent à toute concession. "Les négociants font de l'intox pour faire baisser les prix à la propriété, mais ils n'ont qu'à baisser leurs propres marges s'ils veulent vendre moins cher", s'insurge un propriétaire de Saint-Emilion. Les prix des primeurs 2002 seront connus fin juin. Les cours qui concernent un demi-millier de grands crus et de châteaux haut-de-gamme --soit moins de 5%, en volume, de la production bordelaise-- n'ont pas d'impact direct sur les autres catégories de vins. |