"C'est simple, en moins de cinq ans, les écoles de l'industrie laitière ont perdu la moitié de leurs effectifs. 450 jeunes en sortent diplômés chaque année quand nous avons 1.500 offres d'emplois à leur proposer", constate Serge Abadie, directeur des Ecoles Nationales de l'Industrie Laitière (ENIL) de Mamirolle (Doubs) et Poligny (Jura), les plus anciennes des six ENIL françaises. Qu'il s'agisse des BTS, CAP ou brevets professionnels auxquels préparent ces écoles, "les effectifs des filières tournent à 50% de leur potentiel". Même son de cloche chez les professionnels : "ça fait des mois que je cherche en vain à embaucher un jeune conducteur de ligne (de transformation du produit) ou un technicien fromager", témoigne Norbert Mouget, directeur d'une fromagerie en Haute-Saône. Pour Bernard Compte, directeur adjoint de l'ENIL de Mamirolle, l'image d'épinal des métiers du fromage, à force de jouer la carte de la tradition pour séduire le consommateur, a fini par effrayer les jeunes. "Ils croient qu'on en est toujours à trimballer sous le bras des meules de 50 kilos. Or, une fromagerie aujourd'hui, même artisanale, c'est mieux que l'aérospatiale : inox, carrelages et tuyaux partout !" Difficile encore, selon Serge Abadie, de valoriser, derrière ce label "terroir" la haute technicité des professions : "Pourtant, il n'y a qu'à regarder le programme des enseignements : biochimie, physique, bactériologie, informatique, automatisme, on est loin du plancher des vaches !". Côté pratique, même si les professionnels du fromage commencent toujours leur journée dès potron-minet et sont souvent amenés à travailler le week-end, les conditions de travail sont beaucoup plus confortables que par le passé. "Je voudrais bien avoir trente ans de moins pour débuter aujourd'hui en fromagerie", s'exclame Norbert Mouget. "Dans les ateliers, la mécanisation très poussée de chaque étape de production a sensiblement réduit l'effort physique, au point qu'on y trouve désormais des filles, chose assez peu imaginable, il y a vingt ans", explique Bernard Compte. Malgré tout, Luc Poirot, professeur de technologie fromagère à l'ENIL de Mamirolle, estime que les contraintes irréductibles du métier de fromager le rend peu attractif au regard d'autres carrières. "Commencer la journée à 5h30 ou 6h00, respecter des règles d'hygiène draconiennes, enfiler charlotte, blouses, bottes, transpirer : allez séduire un jeune avec ça quand il peut tranquillement s'assoir derrière un ordinateur dans un bureau !". L'enseignant aime pourtant avancer un argument de poids : "Il s'agit d'une des rares branches où la production n'est pas délocalisable à l'étranger !". "Si ça continue, complète Serge Abadie, c'est nous qui ferons venir des jeunes de l'étranger pour les former". |