Champ planet'terre, passe et impasse L'assurance, l'autre système de soutien aux revenus
Sans fonds publics, « la libéralisation de l’agriculture c’est la fin des paysans », répète inlassablement Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture, lors de chacun de ses déplacements. Les paysans ont besoin de stabilité pour s’installer et investir. Les agriculteurs canadiens n’échappent pas à la règle. Sans aides ni politique de prix, Karl Herzog doit sa survie à un dispositif assurantiel complexe, pris en charge en grande partie par le gouvernement et qui lui garantit des revenus stables. En France, l’assurance récolte doit se développer avec de nouveaux outils fiscaux. Toutefois, François Jacques reste attaché à des soutiens au revenu qui relèvent du premier et du second pilier de la Pac. Un article extrait de Terre-net Magazine n°12.
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Karl Herzog à Springtein (Manitoba)
Rassuré car assuré !
Même fin stratège, Karl Herzog ne peut imaginer être agriculteur sans contrats d’assurance pour se prémunir contre les aléas climatiques, les chutes de rendement ou de prix. Au Canada, l’agriculture est un secteur à risque ! Et contrairement aux agriculteurs européens, les producteurs canadiens ne reçoivent pas d’aides directes pour soutenir leur revenu. En revanche, leur gouvernement subventionne un dispositif de contrats d’assurance, que les agriculteurs peuvent souscrire pour se protéger, entre autres, en cas de mauvais rendement ou de diminution du chiffre d’affaires.
Karl Herzog, agriculteur à Springtein dans le Manitoba, traverse cette année une mauvaise passe. Sur ses 800 ha, les pertes sont lourdes. Après des semis pénalisés par des conditions humides et une sécheresse de deux mois et demi, la moisson a été catastrophique. Karl a récolté moitié moins de colza que les autres années et a dû faucher ses pois en juillet faute de rendement.
Habitué à gérer les crises
Au printemps, l'excès de précipitations a pénalisé les semis. (© DR) |
En cas de mauvaise récolte, quelle que soit la culture, son contrat d’assurance récolte ("AgriInsurance")l’indemnise sur la base des rendements des dix dernières campagnes. Pour le pois, cultivé pour la première fois cette année, ce sont ceux obtenus dans la petite région naturelle, autour de l’exploitation, qui servent de référence pour l’indemnisation.
Par ailleurs, les agriculteurs ont le choix entre trois options : assurer 50, 70 ou 80 % de leurs rendements moyens. Plus le taux de couverture est élevé, plus la prime à payer le sera. Prudent, Karl a opté pour des contrats couvrant 80 % des rendements moyens de ses productions. Les deux tiers de la prime d’assurance, d’un montant total de 45.000 €, sont pris en charge à parts égales par la région et le gouvernement (15.000 € chacun).
A bon compte
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Karl s’en sort à bon compte. L’indemnité couvrira la quasi-totalité de ses charges variables (semis, semence et un passage de Roundup) et de ses charges fixes hors main-d’oeuvre (remboursement des prêts fonciers, amortissement du matériel). Avec une indemnisation de 225 €/ha, la perte sera de 30 €/ha, soit 2.100 € sur ses 70 ha de pois. Néanmoins, c’est avec cette culture qu’il réalisera la meilleure marge nette cette année.
Toutefois, l’estimation de rendement de la compagnie d’assurance (moins de 5 q/ha) ne sera pas retenue pour déterminer le niveau de production, qui servira de référence dans les prochaines années si Karl doit de nouveau être indemnisé.
Situation grave en colza
Pour le colza, la situation est grave avec un rendement de seulement 10 q/ha et une perte de 120 €/ha. Karl sera certes indemnisé à hauteur de 14,5 q/ha, soit 80 % de son rendement moyen sur les dix dernières années. Mais avec un prix de 320 €/t, la compagnie d’assurance va lui verser une indemnité de 145 €/ha, qui s’ajoutera aux 320 €/ha provenant de la vente de la récolte. Avec des charges de 565 €/ha, la baisse de revenu sera alors de 100 €/ha. Un manque à gagner que Karl pourrait limiter s’il parvenait à vendre son colza à un meilleur prix.
Au total, grâce à son contrat "AgriInsurance", Karl percevra une indemnité de 70.000 € puisque les rendements de toutes ses productions sont désastreux cette année. Avec "AgriInvest", il complétera son indemnisation à hauteur de 85 % de son revenu net moyen des cinq dernières années. L’indemnité octroyée sera là encore de 70.000 € environ. Elle permettra de compenser, en partie, les pertes qui restent à combler, "AgriInsurance" ne portant que sur 80 % du chiffre d’affaires. "AgriInvest" vient ainsi en appui d’"AgriInsurance", qui n’est pas suffisant cette année au regard du préjudice subi.
L’assolement de l’exploitation Lin oléagineux : 280 ha. |
Le recours aux assurances évite la faillite Avec l’arrivée tardive du printemps au Canada et pour profiter au mieux du marché, Karl calcule son assolement en fonction des prévisions de production dans les autres régions de l’hémisphère nord. Mais parfois, les contraintes météorologiques le conduisent à l’ajuster au dernier moment. Et lorsque les aléas climatiques se succèdent comme cette année, le recours aux assurances évite la faillite. Tout d’abord, les plantes ont eu du mal à germer et à lever. Ensuite, pendant l’été, leur développement a été freiné par le manque d’eau et de nutriments : en effet, au printemps, le sol saturé en eau a entraîné une atrophie de leur système racinaire. Les rendements en ont bien évidemment pâti : ceux de Karl ont été réduits jusqu’à près de 50 % pour les cultures arrivées en fin de cycle. |
En France
François Jacques, agriculteur à Saint-Supplet (Meurthe-et-Moselle) et administrateur d’Orama
Une protection à trois étages
« Le système assurantiel canadien, soutenu massivement par le gouvernement, n’est ni "eurocompatible" ni adapté à la diversité des exploitations agricoles françaises : d’une part, les risques à couvrir sont trop importants ; de l’autre, les céréales sont faciles à assurer mais pas les autres secteurs de production, sans réassurance publique.
Mais surtout, adopter le système canadien imposerait de supprimer, pour le financer, l’ensemble des aides à l’hectare du premier et du second pilier de la Pac. Or, la proposition de la Commission européenne pour la Pac de l’après 2013 ne va pas dans ce sens.
En fait, la meilleure protection à apporter aux agriculteurs européens serait des outils de régulation de marché efficaces car le principal risque, auquel ils sont confrontés, est aujourd’hui économique. Il faut renforcer l’interdiction d’importer des produits agricoles, ne respectant pas les normes sanitaires et environnementales imposées aux exploitants français, ou produits par des agriculteurs sans protection sociale.
Une caisse pour aléas
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Dans le cadre de la future réforme de la Pac, Orama demande la création d’une caisse pour aléas : chaque entreprise pourrait effectuer une provision en prévision d’éventuels accidents climatiques ou difficultés économiques. Les déductions pour aléas, limitées à 23.000 €, sont insuffisantes compte tenu de la dimension économique des exploitations.
Le système assurantiel ainsi envisagé constituerait alors le troisième niveau du dispositif de régulation du revenu des agriculteurs. Bon marché pour qu’une majorité d’exploitants souscrivent un contrat, il les protégerait avec une franchise de 30 % contre les coups durs, les Dpu jouant un rôle d’amortisseur du revenu. »
Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°12 Si vous ne l'avez pas reçu chez vous, retrouvez Terre-net Magazine en ligne en cliquant ICI. |
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