Agriculture écologiquement intensive Michel Griffon : « L'heure est venue d'ouvrir la boite noire de l’agro-écosystème. »
L’agriculture écologiquement intensive (Aei) est un concept qui vise à utiliser intensivement les mécanismes naturels, à chercher à amplifier le fonctionnement des écosystèmes. Michel Griffon, conseiller scientifique pour l’Agence national de la recherche (Anr) et président de l’association internationale pour une agriculture écologiquement intensive, y voit une démarche de progrès. Explications.
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« On a souvent en tête que le changement climatique c’est pour demain, mais c’est faux. Les bouleversements du climat ont déjà commencé et il va falloir s’y adapter dès maintenant », avertit Michel Griffon lors d’une conférence donnée par Vivea, le fond en charge de coordonner la formation aux agriculteurs. « Nous devons nous adapter à un monde extrêmement fluctuant, car nous maitrisons mal le futur, que ce soit la météo ou les prix agricoles ».
La hausse progressive du prix du pétrole pousse à trouver de nouvelles alternatives. « Les engrais sont très sensibles au prix du baril, le labour est particulièrement énergivore et le CO2 sera taxé tôt ou tard ». Opter pour les techniques culturales simplifiées, voire le semis direct, mélanger les espèces ou les variétés et capitaliser la matière organique permettront de s’affranchir en partie de la dépendance aux énergies fossiles.
Pour Michel Griffon, « la tendance à l’intensification à outrance s’estompe, car désormais, rationaliser un système intensif devient de plus en plus couteux en intrants avec le risque qu’il s’adapte mal aux aléas du futur. Pour qu’un écosystème soit productif, cela demande de faire appel à de multiples compétences telle que l’ingénierie écologique. L’agro-écosystème ne doit plus être considéré comme une "boite noire", où il suffit d’y ajouter des intrants pour en récolter les fruits. L’heure est venue, d’ouvrir cette "boite noire", d’en comprendre les mécanismes et de faire en sorte d’intensifier les réactions naturellement existantes ».
La chimie fine n’a pas dit son dernier mot
L’Agriculture écologiquement intensive (Aei), n’est pas normée et ne suit pas un cahier des charges comme c'est le cas en agriculture biologique. « C’est avant tout une démarche à laquelle chacun est libre de suivre sa transition à son rythme pour utiliser moins d’intrants ».
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Il a quelques années, des chercheurs de l’ex-Union soviétique ont essayé de piloter la minéralisation de l’humus dans le but de rendre l’azote du sol disponible lorsque la culture en a le plus besoin. Cette technique qui vise à maitriser un processus naturel en ajoutant des bactéries, pourrait augmenter les rendements de 10 à 15 %.
Autre exemple : le charbon de bois (ou biochar) serait-il en passe de devenir l’amendement de demain ? Pauvre en nutriments, le charbon broyé aurait des capacités étonnantes d’absorption de l’eau, des éléments minéraux et il semble être une des solutions à retenir pour restaurer la capacité des sols à stocker le carbone produit par les végétaux.
Passer des variétés « formule 1 » aux variétés « populations »
« Pendant des années notre objectif était de réduire la biodiversité dans les champs. Aujourd’hui la tendance s’inverse pour chercher à tirer parti de cette biodiversité, notamment aux travers des services rendus par les auxiliaires des cultures ».
« Contrairement aux animaux, les plantes ne peuvent pas marcher. Lorsque leur environnement change, elles meurent ou sont contraintes d’évoluer pour s’adapter. C’est pour cela que le génome d’une plante comme le blé est bien plus complexe que celui de l’homme, par exemple. A mon avis, l’avenir de la génétique végétale ne se trouve pas dans la création de variétés hyper spécialisées, mais plutôt de variétés qui s’adaptent à de multiples situations. Nous n’avons plus besoin de "formule 1", mais plutôt de voitures "résilientes", capable de faire beaucoup de choses différentes. C’est pourquoi la recherche travaille aujourd’hui sur des variétés dites "population", des variétés complexes, issues de la diversité génétique et capable de s’adapter rapidement aux modifications de son environnement. Les premières variétés "populations" devraient voir le jour d’ici cinq ans ».
« Il est fort probable que nous ayons besoin de la transgénèse, bien que cela soit loin d’être une unique solution. Le débat n’est pas de savoir si nous devons ou pas accepter les Ogm, mais plutôt quels Ogm nous devons concevoir ou non. Quoi qu’il en soit, il sera surement plus simple de nous adapter nous même au changement du milieu, plutôt que de forcer les plantes ou les animaux à s’adapter ».
D’autre part la biologie végétale pourrait ouvrir de nouvelles portes : « les plantes ne produisent pas uniquement du grain, des fruits ou de la biomasse, fait remarquer Michel Griffon. Dans les vacuoles de leurs cellules, lieux de stockage des molécules toxiques, les végétaux sont capables de produire nombre de produits intermédiaires. A nous de savoir les exploiter. »
La transition engagée chez 15 à 20 % des agriculteurs
D’après Michel Griffon, 15 à 20 % des agriculteurs seraient en phase de transition vers ces techniques plus respectueuses de l’environnement. L'Aei est poussée par des obligations réglementaires comme la couverture des sols en hiver ou Ecophyto 2018, mais aussi par des agriculteurs innovants. « Ils trouvent de nouvelles idées, les expérimentent et partagent leurs savoir en groupe et sur les forums internet. L’Aei c’est intellectuellement intensif ! ». L’économie d’intrants passe généralement par la diversité (assolements, rotation, cultures multi-espèces, auxiliaires,…). « Mais gérer la diversité c’est compliqué. Le métier d’agriculteur se complexifie, ce qui le rend de plus en plus intéressant, plus novateur, plus réfléchi. Les initiatives mises en places par ces agriculteurs interrogent les chercheurs qui imaginent des programmes de recherche à partir de leur propre conception, mais pas forcément issus de la pratique ».
Commencer par une ou deux parcelles
L’Aei se construit au cas par cas, parcelle par parcelle. « Modifier un système se fait de façon progressive, en commençant à tester sur une ou deux parcelles, préconise Michel Griffon. Quand on fait des essais, on ne trouve pas toujours ce que l’on veut, fait remarquer Jean-Marie Gabillaud, président de Coop de France Ouest. Tester de nouvelles choses, c’est aussi apprendre l’humilité, car ce qui fonctionne chez les autres ne l’est pas forcément chez soi ».
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Pour Michel Griffon, « la nature du conseil économique doit elle aussi évoluer. Il manque un véritable travail de recherche en économie à partir de la notion de scénarii. En simulant différents scénarii (climatiques, économiques,…), il sera possible d’évaluer le coût de la transition dans chaque exploitation. Le problème est de savoir comment faire face à des situations variées et aléatoires d’une année sur l’autre ».
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