Champ planet'terre, passe et impasse Le soleil, ennemi redoutable de la compétitivité en Tunisie
En Tunisie, comme dans tout le sud du bassin méditerranéen, renforcer la sécurité alimentaire est primordial. L’exploitation de Leïth Ben Becher doit, en grande partie, son essor à la politique de prix et de protection douanière pratiquée par le gouvernement tunisien. Une politique que les Européens n’ont aucune raison de craindre selon François Gatel, directeur de France Export Céréales. Un article extrait de Terre-net Magazine n°15.
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L'exploitation de Leïth Ben Becher est située à une altitude de 170 m sur des terres profondes argilo-calcaires. (© DR) |
Leïth Ben Becher, agriculteur à Ben Bechir (Jendouba) et président du Synagri (syndicat des agriculteurs de Tunisie)
Du blé sans aide… même du ciel
« Jusqu'à présent, la politique agricole tunisienne est surtout une politique de l’eau basée sur la mobilisation et la gestion des ressources hydriques du pays. Un vrai succès ! Pour le reste, nous assistons plutôt à une superposition de stratégies, voire de projets élaborés par l’administration, sans réelle vision d'ensemble. Avec des professionnels agricoles maintenus à l'écart des grandes décisions. Cela étant, la sécurité alimentaire a toujours été présentée comme la priorité des différents gouvernements tunisiens, sans que ceux-ci se soient donné les moyens de leurs ambitions à travers une approche cohérente.
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Nos rendements en blé dur peuvent atteindre 45 à 50 q/ha sur l'ensemble de l'exploitation. Une moyenne haute cependant, représentative des structures comme la mienne, situées dans un environnement agro-écologique favorable (sols profonds, plaines...) permettant d’y pratiquer des itinéraires techniques rigoureux et de bonnes rotations.
Mais comme nous avons vécu, en vingt ans, neuf années de sécheresse plus ou moins aigües selon les régions, ayant entraîné une chute vertigineuse du potentiel de production, le bilan général devient plus serré. En fait, les précipitations sont extrêmement variables d'une saison à l'autre. Les coups de sirocco précoces en mars-avril, au moment de l'épiaison ou de la formation des grains, sont fatals.
Neuf années de sécheresse
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D’autres facteurs rendent les agriculteurs tunisiens vulnérables et peu compétitifs. Le régime successoral et l'absence de structures comme les Safer en France aggravent le morcellement des terres agricoles et réduisent les capacités d’investissement. Enfin, il n'y a pas non plus de protection aux frontières, ce qui fragilise la situation des producteurs vis-à-vis de leurs homologues européens, américains ou d’ailleurs. Les agriculteurs tunisiens bénéficient seulement de primes à l'investissement. La majorité des soutiens publics correspondent à des subventions sur les produits de base achetés par les consommateurs, qu’ils soient locaux ou importés.
J'ai repris la ferme familiale en 1986, après des études de droit. Une exploitation de 220 ha située dans le village de Ben Bechir (Jendouba), à 150 km au nord-ouest de Tunis, dans la région de la haute vallée de la Medjerda (principal cours d'eau du pays, Ndlr). La ferme emploie cinq ouvriers à plein temps et un technicien diplômé (Bts) chef de cultures.
Un prix garanti par l’Etat
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Pour un rendement de 35 q/ha (moyenne pondérée), la marge brute est donc d’environ 700 €/ha avec des charges opérationnelles moyennes autour de 360 €/ha. Une fois déduits les amortissements, ainsi que le coût de l'assurance "grêle et incendie", la marge nette avoisine les 500 €/ha.
Sur l’exploitation, mon père et maintenant moi-même travaillons en partenariat avec des équipes de recherche et développement, ce qui nous permet d’innover. Aujourd'hui, je suis engagé dans une démarche visant à remettre un peu plus d'agronomie dans les pratiques agricoles à travers, par exemple, l’implantation d’intercultures, le recours à des rotations adaptées et la réduction des produits phytosanitaires. Je cherche également à valoriser les productions de la ferme via des filières qualité. Depuis 2005, je produis une huile d'olive monovariétale, commercialisée en Europe dans des circuits haut de gamme (découvrez l’exploitation de Leïth Ben Becher, son histoire, ses productions sur www.henchir-rebiaa.com) ».
Les productions de l’exploitation Assolement triennal sur un parcellaire très éclaté : - blé dur et tendre, Sur une petite partie de l’exploitation, irriguée : |
En France
François Gatel, directeur de France Export Céréales
La France, un allié commercial à part
« Le défi alimentaire planétaire des prochaines années sera relevé par tous les pays, qu’ils soient exportateurs ou importateurs nets de produits agricoles. Et c’est dans cet objectif que la Tunisie conduit une politique de prix avantageuse pour les agriculteurs, qui lui permette de développer son agriculture, de renforcer sa sécurité alimentaire et de maintenir un tissu rural important.
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Les tunisiens comptent même sur l’Europe, et sur la France en particulier, pour approvisionner le marché mondial. Car leur gouvernement doit non seulement jongler avec les caprices climatiques, qui conduisent à importer certaines années jusqu’à 2 Mt de blé dur et tendre, mais aussi avec le climat continental de la majorité des pays exportateurs de céréales.
Sensible aux signaux de l’UE
En revanche, la France se distingue de ses concurrents en assurant une production exportable régulière qui contribue, à son niveau, à ne pas alimenter la spéculation sur les marchés. Celle-là même qui pèse sur les budgets de certains états telle que la Tunisie. En effet, les prix des aliments à base de céréales sont subventionnés et le coût budgétaire pour le gouvernement est d’autant plus élevé que les cours mondiaux sont hauts. Il s’ajoute à celui de la politique de soutien des prix des céréales produites localement.
Or, à la différence de l’Algérie et de la Lybie, le pays n’a pas de revenus pétroliers pour amortir l’inflation des cours des céréales et des autres matières premières agricoles. Et dans le même temps, il est hors de question que la Tunisie renonce à la politique de soutien menée auprès de la population. Car la paix sociale en dépend.
Aussi, les autorités tunisiennes sont très sensibles aux signaux renvoyés par l’Union européenne, portant sur son potentiel de production de céréales. Citons, entre autres, l’adoption de nouvelles mesures agro-environnementales ou la sécheresse de 2011. Avec comme conséquences : une baisse des capacités d’exportation de céréales de l’UE, la réduction de la quantité disponible sur les marchés et une inflation des cours mondiaux. »
Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°15. La deuxième partie sera publiée ultérieurement. Si vous ne l'avez pas reçu chez vous, retrouvez Terre-net Magazine en ligne en cliquant ICI. |
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