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Champ planet'terre, passe et impasse Ces grands exportateurs de céréales aux pieds d'argile

Depuis quelques années, l’équilibre des marchés mondiaux de céréales repose sur huit pays exportateurs. Mais, les aléas climatiques déjouent de plus en plus les prévisions de rendement et de production et rendent, à l’échelle des exploitations, le travail des agriculteurs de plus en plus ingrat. Au Canada, à Portage la Prairie, Chris Mac Callister cumule les catastrophes. La France, elle, fait exception.

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Puisqu'il ne peut compter sur aucune aide publique suffisante, Chris Mac Callister doit assurer un rendement
minimum et spéculer sur les prix. (© Romain Benezech)

Au Canada

Chris Mac Callister à Portage la Prairie (Manitoba)

Dépassé par le changement climatique

Au Canada, les aléas du climat rendent de plus en plus hasardeux la production de céréales et la transmission d’exploitations. Les projets d’investissement deviennent des exercices périlleux.

Et même en l’absence d’accident climatique, puisqu’il ne peut compter sur aucune aide publique suffisante, un agriculteur canadien doit assurer un rendement minimum et spéculer sur les prix pour dégager un revenu. Les prises de risque font partie du quotidien des farmers. Ce qui passionne Chris Mac Callister, céréalier à Portage la Prairie (Manitoba) : on peut gagner beaucoup comme on peut perdre beaucoup !


L'agriculteur canadien espère investir dans
de nouvelles machines tous les deux ans
pour travailler mieux et plus vite.
(© Romain Benezech)
Quatre générations à Portage la Prairie

Chez les Mac Callister, on est céréalier dans le Manitoba depuis cinq générations. Chris a travaillé dans la ferme familiale dès son enfance. Aujourd’hui, il est associé avec son père sur près de 1.500 ha, dont 40 % cultivés avec des variétés Ogm.
Au fil des ans, l’exploitation s’est adaptée aux demandes du marché. Chris est ainsi l’un des rares céréaliers du Manitoba à produire dix cultures différentes, notamment trois variétés d’haricot. Pour accroître son chiffre d’affaires et ses revenus, il mise également sur le marché encore peu connu de la semence de chanvre.

En hiver, comme les cours sont généralement plus élevés, il a l’habitude de se positionner sur les marchés avant même d’avoir ensemencé ses champs. Ainsi, il engage une partie de sa récolte à un prix rémunérateur (voir l'encadré "Privilégier la proximité"). Mais depuis 2010, cette stratégie s’avère plus risquée car Chris n’arrive parfois plus à honorer ses contrats.

Dans le Manitoba, le climat déjoue de plus en plus les prévisions et remet en cause les positions prises par anticipation sur les marchés. Les engagements avant moisson représentent donc une prise de risque de plus en plus forte. Et la couverture assurantielle est trop faible au regard des primes à payer pour se couvrir. Dans cette province canadienne, elles sont en effet calculées en fonction du potentiel agronomique des terres, et celui-ci est très bon sur l’exploitation de Chris.

450.000 € de pertes

Habituellement, lorsque des conditions climatiques (sèches, humides…) s’installent, les agriculteurs canadiens savent qu’elles "donneront le la" pour la campagne. Mais le Manitoba, province aux 100.000 lacs connaissant tous les 100 ans d’impressionnantes inondations, voit depuis quelques années les phénomènes climatiques extrêmes s’accentuer.

En août-septembre 2010, pendant la moisson, il a plu trois jours sur quatre, 7,4 mm/j en moyenne alors qu’en général, la pluviométrie n’excède pas 75 mm par mois. Les cultures n’ont pas pu être récoltées car les champs étaient impraticables. Une moissonneuse s’est même embourbée et des voisins ont dû aider Chris à la sortir. L’agriculteur a ainsi perdu la moitié de ses récoltes et la mauvaise qualité du blé a rendu la céréale invendable en l’état. Une fois séchées, les 600 t récoltées ont été déclassées et cédées au prix d’une céréale fourragère. La perte s’est chiffrée à 108.000 € par rapport à une année normale (avec du blé à 160 €/t).

Le printemps 2011 a aussi réservé son lot de surprises ! Après la fonte des neiges, le lac Manitoba a débordé provoquant d’importantes inondations dans un rayon de 30 km. La priorité de Chris, comme celle de tous les habitants de la province : sauver les familles, les maisons et les biens. Cette année-là, l’agriculteur n’a semé que sur 60 % de ses terres, dans de mauvaises conditions et souvent tardivement ; ce qui a pénalisé la croissance des plantes, donc le rendement.

Le mois d’août, extrêmement sec, a aggravé la situation. Le remplissage des grains de blé ne s’est pas correctement déroulé et les gousses des pois ont commencé à s’ouvrir. Et comme si cela ne suffisait pas, juste avant leur récolte, le vent a balayé l’ensemble des pois blancs, faisant perdre à l’agriculteur 50 % de sa production (sur une sole initiale de 100 ha, Ndlr).

Aussi Chris n’a pu honorer qu’une partie des contrats souscrits en décembre 2010. Au total, le manque à gagner a atteint 450.000 € pour le blé, le soja, l’orge et le canola. Concernant le pois, l’assurance souscrite à la signature du contrat a indemnisé une grande partie des pertes.

L’enjeu en vaut la chandelle

Ces aléas météorologiques ne sont pas les premiers qu’a connus le céréalier canadien depuis son installation il y a dix ans. Records de chaleur en 2003, précipitations excessives les deux années suivantes...

Toutefois, malgré les caprices du climat à répétition, Chris espère toujours reprendre la totalité des parcelles de son père et renouveler le matériel, démodé. Cependant, avec un taux de matière organique de 6 à 7 %, les terres coûtent quatre fois plus cher que dans le reste de l’Etat. « L’enjeu est de taille, mais il en vaut la chandelle », conclut Chris. Ce dernier se donne comme objectif d’investir dans de nouvelles machines tous les deux ans pour travailler mieux et plus vite. Néanmoins, il reconnaît que c’est le revenu de sa femme qui a fait vivre le foyer ces deux dernières années.

Privilégier la proximité

Pour vendre ses céréales, Chris privilégie les marchés, mais aussi les organismes stockeurs de la région : il essaie d’être le premier à moissonner pour profiter des meilleurs prix à la récolte.

En hiver, l’agriculteur suit quotidiennement les cours afin de conclure des contrats couvrant au maximum 50 % de sa production estimée. Si à la moisson, Chris n’a pas récolté un tonnage suffisant pour les honorer, il puise sur ses stocks ou se fournit chez ses voisins. Certes ceux-ci lui vendent les céréales plus cher que s’il se fournissait sur le marché, mais le surcoût serait supérieur s’il devait dédommager l’entreprise qu’il n’a pas pu livrer.

L’été en revanche, lorsque les prix sont au plus bas, Chris stocke sa récolte pour saisir les opportunités au moment où elles se présentent.


Malgré la destruction de 5 % de la sole de blé, la production serait au final supérieur de près de 2 MT à l'an passé.
(© Terre-net Média)

En France

Les marchés céréaliers comptent sur la France

Selon le baromètre Fnsea-Ifop, les aléas climatiques font partie en France des trois difficultés majeures que les agriculteurs rencontrent avec les charges d’exploitation et les coûts du travail. Et pourtant, parmi les grands pays exportateurs de céréales, la France est le seul en mesure de rattraper des épisodes climatiques néfastes aux cultures.

On l’a vérifié en 2011 après quatre mois de sécheresse hivernale et printanière, mais aussi cette année après un hiver des plus rigoureux : malgré la destruction de 5 % de la sole de blé, la production serait au final supérieure de près de 2 Mt à l’an passé grâce à des rendements en forte hausse. Et la production d’orge pourrait atteindre 11,5 Mt selon les dernières estimations de FranceAgriMer. Un record !

A la différence de ses voisins d’Europe centrale et orientale, le printemps "récupérateur" de 2012 a permis de sauver la production de céréales pourtant fortement compromise dans l’Est de la France. Notre pays est même bien placé pour exporter puisque ses concurrents de la mer Noire sont hors course.

Plus assurable

Quant aux Etats-Unis, premier producteur de maïs avec près de 50 % de la production mondiale, leur volonté de s’affranchir des énergies fossiles importées (pour produire de l'éthanol, Ndlr) les rend dépendants des caprices d’un climat qu’ils ne maîtrisent pas. Fin septembre, ils peinaient à réduire leur consommation de 25 Mt.

Dans certains pays, il est fort probable que le risque climatique devienne inéluctable et par conséquent plus assurable ou avec des primes inabordables, ce qui revient au même. C’est ce que vit Chris dans le Manitoba. Ailleurs, les aléas climatiques fréquents peuvent remettre en cause l’ensemble des soutiens publics assis sur la production agricole, faute justement de récoltes !

En Europe, se pose alors la légitimité des aides directes de la Pac, instaurées en 1992 pour compenser des baisses de prix garantis et non pas pour contrer le fonctionnement spéculatif des marchés. Avec des cours élevés, les agriculteurs qui en perçoivent le plus sont-ils ceux qui en ont aujourd’hui le plus besoin ? Les éleveurs de bovins et d’ovins seront les premières victimes de la nouvelle hausse des prix de l’alimentation animale et des matières premières agricoles. On comprend dans ces conditions les objectifs du G20, en termes de régulation des marchés mondiaux de matières premières et d’accroissement de la production de céréales, tout comme l’urgence de convoquer le Forum de réaction rapide.

En attendant, pour limiter l’impact du climat, il est d’ores et déjà acquis que l’avenir de l’agriculture reposera sur le retour de l’agronomie avec la redécouverte de pratiques ancestrales et la mise au point de techniques culturales innovantes, économes en intrants et en eau.

Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°19

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