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Champ planet'terre Contractualisation et assurance ne font pas toujours bon ménage

Poussés à se développer en Europe, les outils de stabilisation des revenus agricoles sont inefficaces pour compenser les pertes les années de mauvaises récoltes. Retrouvons au Québec Chris McCallister (Terre-net Magazine n°19), jeune agriculteur dans le Manitoba. Sa situation est un cas d'école. Un article extrait de Terre-net Magazine n°26 (mai 2013).

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Au Québec, il n'y a pas de politique d'installation comme en Europe. Chris est livré
à lui-même pour reprendre le capital de l'exploitation de son père. (© Marc-Henri Fages)

Au Canada

Chris McCallister à Portage La Prairie (Manitoba)

La polyculture, l'assurance revenu la plus efficace

Sauvé par les haricots et le soja ! Après deux campagnes difficiles en 2010 et 2011, Chris McCallister ne doit son salut qu’aux indemnités versées par ses compagnies d’assurance, qui ont compensé une partie de ses pertes. Aussi, il n’avait plus le droit à l’erreur et ne pouvait endurer un nouvel échec !

En 2012, c’est en fait le marché qui lui a dicté son assolement. Comme les cours du soja et des haricots étaient porteurs, Chris a décidé d’en cultiver respectivement 405 ha et 200 ha. Cette campagne, ce sont les seules cultures contractualisées. Le risque encouru était nul, puisque les contrats souscrits consistent seulement à bloquer des surfaces. Autrement dit, Chris était assuré d’emblée de n’avoir à régler aucune pénalité si les récoltes étaient décevantes faute de rendement, comme les deux années précédentes pour le blé et le canola.

Les prix ont flambé

Résultat : la stratégie adoptée s’est avérée être la bonne. Chris a dégagé l’essentiel de ses 475.000 € de marge brute en récoltant, en septembre dernier, 22 q/ha de haricots. Comme il a fauché quelques jours avant la maturité des grains, il est parvenu à limiter les baisses de rendement occasionnées par les pluies tardives. Les plantes andainées ont en effet continué à mûrir au sol en pompant les réserves de la tige, avant d’être ramassées par une moissonneuse adaptée à la récolte des pois afin de ne pas abîmer les grains de haricot.

Les rendements de céréales (40 q/ha sur 485 ha cultivés) et de canola (24 q/ha sur 160 ha semés), eux, ont été à peine moyens puisque les cultures ont souffert d’un épisode de sécheresse important. Mais comme les prix ont flambé dès le début de l’été, Chris a réalisé des marges brutes largement suffisantes pour couvrir ses frais. Même si les précipitations au moment de la récolte ont altéré la qualité des grains. Ceci dit, les bons résultats de Chris lui ont juste permis de renouveler quelques matériels vieillissants et surtout de racheter des terres à son père qui souhaite se retirer de l’exploitation. 

Pas de politique d’installation


Les bons résultats de Chris lui ont juste permis de renouveler
quelques matériels vieillissants et surtout de racheter des
terres à son père qui souhaite se retirer de l'exploitation.
(© Romain Benezech)
Chris se retrouve dans la même situation que n’importe quel jeune agriculteur québécois qui reprend la ferme familiale : les structures sont trop grandes et il est difficile de trouver les financements nécessaires pour pouvoir les acquérir intégralement en une fois.

Or au Québec, il n’y a pas de politique d’installation comme en Europe et en France. Chris est livré à lui-même pour reprendre le capital de l’exploitation de son père mais aussi, afin de sécuriser son projet d’installation, pour acquérir les terres qu’il cultive. Au Canada, ces dernières sont louées à l’année sans barème de prix fixant les fermages, ce qui précarise l’exploitant : lorsqu’il projette d'investir, celui-ci éprouve des difficultés pour établir sereinement un plan de financement.

Dans de tels cas, c’est souvent la famille qui fait office de banquier et de caution. Bob, le père de Chris, a ainsi mis ses terres à la disposition de son fils lorsque celui-ci s’est installé. Mais comme il est endetté, il compte cette année sur Chris pour pouvoir rembourser ses emprunts : avant de cesser définitivement son activité, il veut lui vendre ses terres. 

Prise de conscience de l’Etat

Le gouvernement québécois a pris conscience qu’il faut donner aux jeunes les moyens de s’installer, de reprendre des terres et de bâtir des projets. L’avenir de l’agriculture du pays en dépend ! Il a récemment consulté Chris, ainsi que d’autres agriculteurs, afin d’élaborer un vaste programme économique destiné à soutenir les porteurs de projet. Même au Canada, l’interventionnisme commence à s’immiscer en agriculture. Pas de subventions toutefois, ni d’aides directes, ni de prêts bonifiés.

La politique d’installation canadienne se résume à un fonds assurantiel visant à compenser, les mauvaises années, les pertes de revenu. Il est alimenté par les agriculteurs et le budget canadien. Tous les ans, les rendements des producteurs sont comparés à des rendements de référence moyens. Si pour une culture donnée, ils sont inférieurs à ces rendements de référence moyens, les exploitants ont droit à une indemnité équivalente à ce que leur aurait procuré la vente des quintaux manquants.

Un système cependant pervers. En effet, si un agriculteur augmente son rendement à chaque moisson, meilleure sera son assurance s’il a un problème une année. En revanche, s’il accumule les mauvaises récoltes, l’indemnisation baissera et il risquera alors la faillite.

 

En France

Assurance récolte

Aux balbutiements


Selon les deux sénateurs, les indemnisations publiques au
titre du Fngra ne suffisent pas face à la multiplication des
aléas climatiques, sanitaires et économiques en agriculture.
(© Watier-Visuel)
Au Sénat, l’assurance récolte et fourrages ne divise pas. En s’appuyant sur un rapport de la Cour des comptes, deux sénateurs PS et Ump de la mission "Agriculture" attendent de l’Etat qu’il lève les freins à son déploiement.

Jusqu’à ces dernières années, la gestion des risques n’a pas été favorable à l’essor de l’assurance récolte. Selon la Cour des comptes, le bilan financier du passage des indemnisations publiques à l’assurance est incertain. Le basculement engagé depuis 2005 est loin d’être effectif.

Les aides Pac et les aides d’urgence (allègement des charges financières ou sociales, exonérations fiscales, soutiens exceptionnels) ont freiné le développement de produits assurantiels. 

Plus de transparence

Or, « les indemnisations publiques au titre du Fonds national de gestion des risques agricoles (Fngra) ne peuvent suffire à répondre à l’enjeu de la multiplication des aléas climatiques, sanitaires et économiques qui frappent le monde agricole », défendent Yannick Botrel (PS, Côtes-d’Armor) et Joël Bourdin (Ump, Eure), sénateurs et rapporteurs spéciaux de la mission "agriculture", en commentant un référé émanant de la Cour des comptes.
Ces derniers mois, cette dernière a en effet procédé à un contrôle relatif à l’assurance récolte et constaté qu’elle développe de façon mitigée depuis 2005.

« L’Etat doit obtenir de la part des assureurs une plus grande transparence vis-à-vis des tarifs pratiqués », souligne la Cours des comptes, qui appelle en contrepartie les pouvoirs publics à ne pas modifier régulièrement les règles de souscription aux contrats d’assurance. 

Blocage sur la réassurance publique

En grandes cultures, le niveau des primes d’assurance est élevé au regard des charges et surtout du seuil de déclenchement de l’assurance (30 % des récoltes perdues) tandis que les aides stagnent (stabilisateur budgétaire, taux d’aide, enveloppes de crédits en recul). Et l’intégration aux aides du premier pilier a entraîné un décalage de trésorerie pour les agriculteurs, qui les perçoivent environ six mois après l'ordre de versement.

Le principal frein à l’essor de l’assurance dans le secteur agricole est le blocage constaté sur la réassurance publique pour couvrir la production de fourrages puisque le secteur privé ne peut pas seul prendre en charge l’indemnisation des sinistres. Afin de mettre en place un tel mécanisme, la Cour des comptes invite l’Etat à « adopter une position précise sur ce dossier ». « Le Parlement attend toujours du gouvernement les éléments d’information prévus par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche », déplorent Yannick Botrel et Joël Bourdin.

Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°26


(© Fotolia, Clément Rochette, De Sangosse; création Terre-net Média )
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