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Momagri Accord de libre-échange UE/Usa : un accord en trompe l’œil ?

Les négociations engagées entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis pour parvenir à un accord de libre-échange vont bon train, et nombre de décideurs mettent en avant les bénéfices qui seraient générés par la mise en œuvre de cet accord pour l’une et l’autre partie.

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« Un accord gagnant-gagnant pour l’UE et les Etats-Unis mais aussi pour le reste du monde. Que demander de mieux dans une période marquée par une crise d’une ampleur et d’une durée telles qu’aucun Etat de la planète n’arrive véritablement à s’en affranchir ?
Voilà un signal positif fort, mais en trompe-l’œil, adressé à la communauté internationale de la part de deux des plus grandes puissances économiques de la planète :

« Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes » comme le disait le philosophe optimiste du candide de Voltaire. Sauf que si les objectifs sont ambitieux, cohérents et louables, les fondements de ce projet d’accord de libre-échange sont irréalistes. Pourquoi ? Parce que l’étude du Cepr (Center for Economic Policy Research) sur laquelle reposent les résultats espérés d’un tel accord est entachée par des biais et des insuffisances qu’il est urgent de dénoncer.

En un mot, il est primordial que l’UE évalue objectivement les effets induits par un tel accord plutôt que de succomber à l’attrait des chiffres bien éloignés de la réalité qu’ils sont censés apprécier.

1. Les limites de l’étude et les nécessaires précautions relatives à l’utilisation qui peut en être faite

La conclusion d’un tel accord générerait, selon les résultats de l’étude réalisée pour le compte de la Commission européenne1 :

A ce niveau-là, rien à dire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et personne ne peut s’opposer, dans le contexte actuel, à cette manne économique créatrice de richesses. La seule question qu’il convient de se poser est celle de la signification de ces chiffres, des hypothèses sur lesquelles ils reposent et de l’utilisation qui en est faite.

Or, une lecture attentive et détaillée du rapport du Cepr révèle certains biais qui remettent en question les chiffrages obtenus.

Un modèle de simulation qui repose sur des hypothèses simplificatrices et bien éloignées de la réalité

Les auteurs de l’étude ont utilisé un modèle économique de simulation, pour formaliser les liaisons économiques multiples et complexes qui unissent l’UE et les Etats-Unis, mais également entre ces deux régions et le reste du monde. Vingt secteurs économiques sont ainsi décrits et le monde est découpé en onze zones, l’UE et les Etats-Unis comptant chacun pour une zone.

Le modèle utilisé est un modèle d’équilibre général calculable (modèle Gtap), construit par l’Université américaine de Purdue, et les données utilisées proviennent de la base la plus complète et la plus récente qui puisse exister, construite également par la même Université (Gtap8).

Or, les décideurs doivent savoir que les caractéristiques du modèle Gtap utilisé, et qui sont clairement explicitées dans le rapport du Cepr, sont bien éloignées de la réalité des marchés qui est désormais la nôtre :

- qu’aucun acheteur ou vendeur n’est en mesure d’influencer le niveau des pri;

- que tous les produits échangés sont identiques et donc interchangeables ;

- que tous les acteurs ont accès en même temps à la même information ;

- qu’il est possible d’entrer et de sortir d’un marché sans coût;

- que les facteurs de production tels que le capital et la travail, circulent librement.

 

Avec de telles hypothèses, quelle crédibilité doit-on accorder aux résultats économiques de ces modèles ?

Des scénarios irréalistes et des résultats économiquement non significatifs

Par ailleurs, les scénarios étudiés qui sous-tendent les chiffrages présentés sont particulièrement ambitieux : le premier considère une baisse de 10 % des coûts liés au commerce international et de 98 % des droits de douane ; le second envisage une baisse de 25 % des coûts liés au commerce international et une baisse de 100 % des droits de douane, soit une suppression totale de ces derniers.

Les résultats obtenus méritent, enfin, d’être relativisés dans l’utilisation qui peut en être faite car si les chiffres présentés peuvent sembler importants (+ 119 milliards d’euros pour l’UE et + 95 milliards d’euros pour les Etats-Unis), ils sont en réalité faibles au regard du potentiel économique des deux Etats : entre 0,3 et 0,5 % de gain de Pib pour l’UE (dont 0,1 % pour le seul effet de la baisse des droits de douane), et entre 0,2 et 0,4 % pour les Etats-Unis (dont 0,04 % pour le seul effet de la baisse des droits de douane).

Compte tenu de l’ampleur des scénarios envisagés et du manque de réalisme des hypothèses qui sous-tendent le modèle économique utilisé, les résultats obtenus sont en réalité bien inférieurs à leur marge d’erreur et ils ne peuvent donc en aucun cas justifier à eux seuls une décision économique et politique d’une telle ampleur.

Les secteurs agricoles et agroalimentaires négligés, tant d’un point de vue économique que stratégique.

Les secteurs agricoles et agroalimentaires sont traités comme deux secteurs économiques classiques, alors qu’ils présentent de nombreuses spécificités dont il est primordial de tenir compte pour bien cerner les conséquences probables d’un tel accord :

Or, aucun de ces aspects n’est pris en compte dans l’étude, contribuant de ce fait à minorer l’importance stratégique de ce secteur d’avenir, tant pour l’UE que pour les Etats-Unis, et à surestimer les bénéfices globaux à attendre d’un tel accord pour ces secteurs.

Au-delà de ces considérations économiques, les secteurs agricoles et agroalimentaires constituent deux secteurs stratégiques pour les équilibres nationaux et internationaux, comme en témoignent l’échec des négociations du Cycle de Doha sur la question des mesures de sauvegarde spéciales (protection en cas de chute de prix) et le débat en cours relatif à l’Accord Economique et Commercial Global entre l’UE et le Canada pour lequel les questions agricoles restent toujours sans réponse.

Il existe donc un réel décalage entre l’importance politique, économique et stratégique qui doit s’attacher aux secteurs agricoles et agroalimentaires, et la manière dont ils sont banalisés dans l’étude du Cepr qui sert de base aux négociations.

Il est donc urgent de dénoncer la fragilité des hypothèses et l’irréalisme d’un modèle qui pourrait conduire les responsables politiques à imaginer qu’une nouvelle source de croissance pourrait provenir « miraculeusement » d’un tel accord. Surtout quand les conséquences sur l’agriculture ne sont pas prises en compte. C’est pourquoi de nouvelles études doivent être engagées sur des bases plus réalistes de manière à cerner avec précision, en tenant compte des spécificités propres à chaque secteur, les conséquences possibles d’un tel accord. Il est impératif de passer un peu de temps pour approfondir un sujet majeur porteur de beaucoup d’espoir, plutôt que de succomber par facilité aux délices d’un trompe-l’œil.

2. La pratique du « trompe l’œil » pour créer un débat optimiste en pleine récession

Au-delà de ces considérations d’ordre économique, il est intéressant de noter que la logique sous-jacente à l’utilisation qui est faite des résultats de cette étude a comme un air de « déjà-vu ». Les négociations du cycle de Doha menées entre 2001 et 2008 avançaient déjà au gré de résultats d’étude économiques vantant les bénéfices soi-disant immenses liés à la conclusion du cycle à partir de modèles inadaptés pour rendre compte des réalités commerciales et de la volatilité des prix. Par ailleurs, les communications effectuées présentaient ces résultats sous leurs plus beaux atours, en milliards de dollars et non pas en pourcentage du Pib, approche beaucoup moins attrayante, en omettant également de mentionner les réserves qu’il convenait d’émettre quant à la portée relative des chiffrages obtenus.

L’économie mondiale est en proie à l’incertitude, la financiarisation progressive des marchés modifie l’analyse traditionnelle que nous pouvions en faire, et la crise de 2007/08 a clairement démontré l’incapacité des modèles économiques reposant sur des hypothèses de concurrence pure et parfaite à l’anticiper et à en expliquer les ressorts. Parallèlement, les doutes émis par une minorité d’Etats membres de l’Omc sur les bienfaits réels d’une libéralisation non régulée des échanges, sont partagés par de plus en plus de pays, notamment en développement qui étaient pourtant ceux qui, en théorie, avaient le plus à gagner de la conclusion du Cycle. Les doutes se sont transformés en risques, et ces derniers en menaces avec pour point d’orgue la crise alimentaire concomitante à la crise économique et financière et finalement l’impasse dans laquelle se trouve désormais le cycle de Doha.

Il ne faut toutefois pas en conclure que le repli protectionniste constitue la meilleure stratégie à mettre en œuvre, bien au contraire. Le renforcement des liens commerciaux transatlantiques est primordial et la mise en place d’un Accord de Libre-Echange entre les Etats-Unis et l’Union européenne pourrait être mutuellement bénéfique, sous réserve que certaines conditions soient observées, ce qui n’est pas encore le cas à l’heure actuelle. Parmi elles, trois méritent d’être soulignées :

En conclusion, il ne faut pas qu’une simplification excessive de la réalité et une représentation habile de chiffres laissent à penser qu’une relance de la croissance proviendrait inéluctablement d’un accord de libre-échange Usa/UE.

Améliorer nos relations commerciales est un axe évidemment prioritaire pour la croissance européenne, mais pas à n’importe quel prix ! Et surtout pas en faisant l’impasse sur l’un des secteurs les plus stratégiques, à savoir l’agriculture et l’alimentation ! »

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