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Aléas climatiques et contrat socle Des évolutions indispensables pour mieux protéger les producteurs

Un expert mandaté par l'assureur vient constater l'état de la levée dans une parcelle de colza. (©Watier visuels)

Malgré la multiplication des tempêtes, coups de chaud et des excès d’eau, plus des deux tiers des agriculteurs boudent les assurances multirisques climatiques. La faute aux seuils de déclenchement et aux taux de franchise trop élevés, mais aussi à leur coût trop important. Pour mieux protéger les cultures, un élargissement de l’offre assurantielle et un soutien européen accru paraissent indispensables.

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Tous les agriculteurs le constatent chaque année : leur budget global "assurances" ne cesse de progresser. Et les chiffres du Rica, le Réseau d’information comptable agricole, le prouvent : ce dernier croît de 2,5 % par an depuis 1988. En 2013, les charges d’assurances représentaient en moyenne 2,9 % du chiffre d’affaires des exploitations. Un pourcentage qui cache cependant d’importantes disparités entre structures puisqu’il dépasse 4 % pour les plus petites et avoisine 2,2 % pour les plus grandes. Or, avec la multiplication des aléas climatiques, les exploitants devront payer encore davantage.

Dans les 25 ans qui viennent, « la charge des sinistres liés aux aléas climatiques sera presque deux fois supérieure à celle enregistrée ces 25 dernières années », note François Schmitt, président délégué de la Fédération nationale de Groupama. Entre 1988 et 2013, les assureurs ont versé 48 Mds€ d’indemnités au titre des aléas climatiques. « Dans les prochaines années, cette somme pourrait atteindre 92 Mds€ ». Sans nécessairement doubler, les primes d’assurances risquent d’augmenter aussi.

Dans la lignée de ces évolutions liées au changement climatique, 2016 restera malheureusement dans les annales des agriculteurs et des assureurs. L’an dernier, Groupama a perçu 213,3 M€ au titre des primes d’assurances multirisques climatiques, mais a indemnisé les producteurs pour un montant record de 430 M€. Chez Pacifica, la branche "assurances" du Crédit agricole, la charge de sinistres a atteint près de 100 M€ pour les seuls risques climatiques sur récoltes, et les primes un peu plus de 60 M€.

30 % de franchise, c’est trop !

L’année 2016 a aussi servi de test pour le nouveau contrat socle, dont les modalités (un seuil de déclenchement et une franchise de 30 % minimum pour un subventionnement à 65 %, et une couverture plus forte mais moins subventionnée) devaient attirer davantage d’agriculteurs. Toutefois, le bilan national est décevant : le taux de souscription a encore diminué. Certes, Pacifica revendique une « hausse de 22 % du nombre de contrats signés et de 41 % des surfaces couvertes » entre 2015 et 2016. Mais, tous assureurs confondus, « les superficies protégées ont reculé de 35 à seulement 26 % en moins de deux ans », rappelle Stéphane Gin, responsable de l’assurance agricole chez Groupama.

En fait, la conjoncture économique difficile a révélé toutes les limites du dispositif d’assurance récolte. Beaucoup de producteurs ne veulent pas assurer leurs parcelles en multirisque climatique, pour 13 €/ha environ nets de subventions, et être soumis à une franchise de 30 %. La plupart d’entre eux choisissent de rester sur une simple assurance grêle, les autres préférant payer le double pour faire baisser la franchise à 20 % ou moins.

« 87 % des exploitants ayant leur multirisque climatique chez Groupama ont préféré souscrire une franchise de 25 % », estime Stéphane Gin. « Plus de la moitié de nos clients agriculteurs ont opté pour des franchises égales ou inférieures à 20 %, confirme pour sa part Jean-Michel Geeraert, directeur du marché de l’agriculture et de la prévention chez Pacifica. Mais il faut y mettre le prix : plus de 20 €/ha, nets de subventions. Le représentant du deuxième acteur du secteur explique les résultats médiocres du contrat socle de deux manières : « En 2013, les exploitants n’ont pas eu les 65 % de subventions promis, mais seulement 43 %. Ceux qui jugeaient faible le risque climatique sur leur exploitation ont résilié leur contrat. Pour d’autres, les niveaux de franchise sont trop hauts (25 et 30 %, NDLR). C’est particulièrement vrai dans certaines régions où les rendements varient plus qu’ailleurs. »

La hausse des tarifs serait exponentielle

Avec tout juste un peu plus du quart des surfaces arabes et des prairies assurées en multirisques, l’équilibre du dispositif reste fragile. Pour rendre le contrat socle subventionné plus attractif, la solution serait d’abaisser le seuil de déclenchement et la franchise de 30 à 20 %. Or Bruxelles considérait, jusqu’à présent, ce niveau « moins compatible avec les accords de l’OMC ». Mais selon Michel Dantin, député européen PPE (Parti populaire européen), les positions bruxelloises tendent à évoluer. « Des modifications seront apportées dans le cadre de "l’omnibus", un "bilan de santé" permettant de réviser les règles de la Pac bien avant sa prochaine réforme », et qui s’appliquerait dès 2018.

En matière d'assurance multirisque climatique, faire baisser de 30 à 20 % le taux de franchise et le seuil de déclenchement fait grimper le coût de 75 %, selon Groupama. (©Watier visuels)

Quoi qu’il en soit, un problème subsistera toujours : le coût pour les agriculteurs. « L’augmentation des cotisations induite ne serait pas linéaire mais exponentielle », confirme-t-on à Groupama : une baisse de 30 et 20 % du seuil et de la franchise feraient grimper la facture de 75 %.

De toute évidence, les assurances multirisques climatiques ne pourront pas se développer sans un engagement public conséquent. « Partout dans le monde, un soutien significatif de l’État a été nécessaire à leur déploiement. » Autrement dit, la Pac devra allouer une enveloppe bien supérieure aux 100 M€ actuels. « Avec seulement 8 % du budget du premier pilier, soit entre 500 et 600 M€, on pourrait couvrir plus de 80 % des surfaces pour toutes les productions végétales : grandes cultures, vignes, vergers et prairies. » Des chiffres calculés avec les conditions en vigueur actuellement : seuil, franchise, et surtout coût. Pour protéger 100 % des surfaces de la SAU française, il faudrait 750 M€. « Et avec un taux de franchise et un seuil de déclenchement de 20 %, ce serait près du double, autour de 1,3 Md€ », poursuit Jean-Michel Geeraert.

Une autre question est régulièrement posée, comme lors du congrès de l’AGPB (Association générale des producteurs de blé) : faut-il rendre l’assurance récolte obligatoire ? « Ce n’est pas possible. On ne peut pas obliger quelqu’un à s’assurer pour les dommages causés à lui-même. Seule l’assurance responsabilité peut être imposée. Je ne vois pas, d’ailleurs, comment les agriculteurs pourraient l’accepter. »

Plus de choix pour les agriculteurs

Pour Pacifica, il faudrait multiplier les options subventionnables pour rendre le dispositif plus incitatif. « Il faudrait pouvoir proposer un choix plus large aux agriculteurs. Passer de 30 à 20 % de franchise, ça coûte cher à la fois en subventions européennes, mais aussi en net pour l’exploitant. Combien seront prêts à dépenser 25-26 € nets/ha au lieu de 12-13 € ? », s’interroge Jean-Michel Geeraert.

Pacifica serait favorable à un subventionnement variable en fonction des niveaux de franchise choisis, mais aussi à une formule de "franchise à l’exploitation". Alors que la plupart des contrats raisonnent à la culture, celle-ci permettrait une compensation entre productions. « Ce système reviendrait 30 à 35 % moins cher à l’agriculteur et à l’État, et permettrait une meilleure mutualisation entre cultures de printemps et d’hiver. On pourrait proposer des taux de subventionnement de 80 ou 90 %. Ainsi, tous les paysans français pourraient s’assurer.

En l’améliorant, les assureurs restent convaincus que l’assurance multirisque climatique intéressera tous les producteurs. Selon Pacifica, une version améliorée du contrat socle coûterait, en fonction des cultures de la ferme, 1 % de chiffre d’affaires à l’exploitant pour un taux de franchise de 20 %, 2,4 à 2,7 % pour une franchise 15 %, et 4,7 à 5,2 % pour une franchise de 10 %. « Quand vous rapportez ces coûts aux autres charges de l’exploitation, devrait faire réfléchir les agriculteurs. »

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