Géopolitique du blé Quels atouts géopolitiques pour la France et l’Europe sur le marché du blé ?
Sur le marché du blé, l’Union européenne, tirée par la France, fait figure de puissance. Pour autant, elle peine à faire valoir ses atouts productifs comme diplomatiques, alors que la demande va continuer d’augmenter, et que les puissances concurrentes n’utilisent pas toujours leurs ressources céréalières au profit de la coopération et de la paix dans le monde.
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Aujourd’hui, 20 % des calories consommées dans le monde le sont à travers le blé, ce qui donne à cette céréale une puissance notamment en matière géopolitique. Or, peu de pays dans le monde détiennent cette ressource : 15 pays représentent 80 % de la production mondiale, dont la Chine, l’Inde et la Russie qui constituent la moitié de la production, et seuls huit pays –dont la France- réalisent 80 % de l’exportation mondiale de blé, rappelle Sébastien Abis, directeur du Club Déméter et chercheur associé à l’Iris, auteur de « Géopolitique du blé », ouvrage paru le mois dernier aux éditions Armand Colin. « Il faut reprendre conscience de l’étroitesse productive dans le monde du blé », a-t-il souligné à l’occasion d’une table-ronde organisée le 2 mars par l’AGPB et Unigrains.
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— AGPB-Les Nouveaux Céréaliers (@AGPB_Cerealiers) March 2, 2023
Les céréales sont un levier majeur de la géopolitique mondiale. L'actualité de la guerre en Ukraine et ses effets sur l'approvisionnement en blé dans plusieurs régions du monde rappellent à quel point ce sujet est stratégique.#GéopoBlé #SIA2023
Le blé, une arme géopolitique diversement utilisée
Si le blé a donc une capacité à apporter la paix sur la planète, les pays qui en possèdent ne se placent pas systématiquement dans une dynamique de coopération ou de solidarité. Ainsi, la Russie, qui produit entre 70 et 90 Mt de blé par an et en exporte la moitié, adopte « un comportement qui géopolitise le blé » afin d’asservir un certain nombre de pays, « c’est-à-dire que le blé est aussi une façon de faire chanter ces pays pour que sur d’autres sujets, ils se rangent derrière les logiques que le Kremlin veut développer au niveau de l’organisation de la planète », explique Sébastien Abis.
Retrouvez en vidéo l’éclairage de Sébastien Abis concernant les positions française, européenne et russe sur les marchés mondiaux du blé :
A l’inverse, l’Union européenne peine aujourd’hui à « exprimer son narratif de puissance », et le déclenchement de la guerre en Ukraine a montré à quel point l’Europe avait oublié l’importance de ces sujets alimentaires, rappelle ainsi le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, évoquant une certaine « naïveté » de l’Europe vis-à-vis de l’attitude russe et, plus généralement, des autres puissances internationales. Il faut selon lui « se penser comme une puissance ». « L’Union européenne a-t-elle conscience de ses forces agricoles ? On a une désoccidentalisation du monde inévitable, mais ce n'est pas pour ça qu’il y a un déclin », ajoute Sébastien Abis.
Pour autant, faire comprendre l’importance de ces sujets, alors que l’Union européenne met en avant le Pacte Vert qui pousse davantage à la décroissance de la production, constitue « un vrai combat aujourd’hui. En France, je pense que les choses sont comprises par ceux qui pèsent, mais au niveau européen, c’est l’inverse », déplore Eric Thirouin, président de l’AGPB.
Prioriser les enjeux
Pour Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, il est indispensable d’accompagner davantage les agriculteurs et de « ne pas avoir la souveraineté honteuse », alors que l’opinion publique peine souvent à comprendre les enjeux autour de l’irrigation ou des moyens de production. Un avis partagé par la présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, Sophie Primas, pour qui, au sein d’une génération de « ventres pleins », « il faut retrouver le sens des priorités ». Ce qui n’est pas toujours facile, entre des accords de libre-échanges, des décisions politiques qui suppriment les moyens de production, et la tendance à favoriser les discours simplistes sur les questions environnementales.
Au niveau européen, « on a des alliés sur ces positions françaises, par exemple la Pologne, les pays de l’Est qui se développent grâce à leur agriculture et l’agroalimentaire », ajoute-t-elle. « Il faut pousser davantage dans le cadre de cette crise, et retrouver un raisonnement de souveraineté alimentaire européenne ». Ce qui nécessite également de savoir garder ou retrouver nos capacités à produire, y compris en matière de fertilisation ou de machinisme agricole.
Quels leviers pour la France et l’Union européenne ?
Alors que la demande mondiale va continuer d’augmenter pour les céréales, l’Union européenne doit « apporter cet équilibre sur les marchés », d’autant plus que les changements climatiques vont rendre plus accidentelles les récoltes, explique Sébastien Abis. Certaines régions produiront de moins en moins, d’autres comme la Sibérie pourront peut-être produire plus, et l’objectif pour l’Europe devrait donc être de produire autant qu'avant, tout en réduisant de façon importante l’empreinte environnementale de la culture des céréales.
La France, « locomotive de cette puissance blé européenne à l’international », doit quant à elle « rester dans le peloton de tête des pays producteurs », et monétiser correctement la confiance qu’elle génère dans la relation commerciale, qui la distingue d’autres pays : « la France quelle que soit la conjoncture, honore ses engagements, les opérateurs respectent les contrats, livrent des céréales selon les caractéristiques techniques établies par les cahiers des charges des pays importateurs », rappelle Sébastien Abis.
Et le renforcement de cette position s’avère d’autant plus nécessaire que depuis le début du siècle, on compte une année sur deux où la consommation mondiale de blé a dépassé la production, générant des tensions (sur le sujet des stocks, le commerce maritime, etc.).
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