Réglementation De la diversité dans les champs de blé
Les nouveaux « matériaux hétérogènes biologiques », et dans une moindre mesure les variétés biologiques, viennent bousculer la sacro-sainte règle de l’homogénéité des semences. Alors que le premier matériel hétérogène français vient d’être autorisé à la commercialisation, les essais se poursuivent pour mieux définir ces cultivars, notamment en blé.
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Depuis 1991, la réglementation européenne impose d’utiliser des semences bio pour produire bio. Mais si la multiplication est réalisée selon le cahier des charges de l’AB, rien ne stipule que la sélection a dû suivre auparavant les mêmes normes. Il peut, dès lors, être difficile pour les agriculteurs de se fournir en cultivars spécifiquement conçus pour leur mode de production, voire simplement de les identifier comme tel. Le marché des semences bio s’adapte quant à lui progressivement, menant à des dérogations temporaires pour l’usage de semences conventionnelles – dérogations qui devraient être proscrites à l’horizon 2035.
S’il existe bien quelques programmes de sélection dédiés à l’agriculture biologique, reste qu’aujourd’hui « la plupart des variétés cultivées en bio ont été sélectionnées en conventionnel pour le conventionnel », déplore Laurence Fontaine, qui coordonne des projets R&D de la coopérative Union Bio Semences (Ubios). Cherchant à développer l’offre, la coopérative peut désormais s’appuyer sur une réglementation qui vient ouvrir le champ des possibles.
De la sélection en AB pour l’AB
Le règlement européen UE 2018/848 définit deux nouveaux types de semences commercialisables : les « matériaux hétérogènes biologiques » (MHB) et les « variétés biologiques adaptées à la production biologique » (VB).
Les premiers doivent être produits en bio, les secondes doivent être le fruit d’un travail de sélection réalisé dans des conditions biologiques. Tous sont caractérisés par une « grande diversité génétique et phénotypique entre les différentes unités reproductives ». Cette dernière précision est capitale. Elle vient répondre à la volonté européenne de favoriser la biodiversité au champ ainsi qu’à un besoin agronomique longtemps formulé : celui de pouvoir disposer de populations hétérogènes, à l’image de blés anciens.
Pour un même cultivar, les individus ne présentent pas les mêmes traits biologiques, et donc les mêmes forces et faiblesses. « C’est favoriser la capacité d’adaptation naturelle, à la fois localement et selon les années », appuie Laurence Fontaine. Un vecteur de résilience face à des aléas climatiques qui se multiplient et ne se ressemblent pas.
Les MHB, ode à la diversité
Dans le cas des MHB, l’hétérogénéité est si marquée entre les individus d’un même cultivar qu’ils ne peuvent être inscrits au catalogue officiel en tant que variété – d’où le terme de « matériaux ». Ils sont donc notifiés sur une liste spécifique.
Leur caractère hétérogène mais aussi dynamique (la descendance n’est pas identique aux parents) pose par ailleurs problème pour les décrire : « La solution trouvée est de donner des proportions sur des caractères plutôt que des notes absolues, comme le pourcentage d’épis barbus ou la glaucescence forte ou faible de l’épi », précise Laurence Fontaine.
Des CCP au banc d’essai
Les populations croisées composites (CCP) sont un exemple de populations génétiquement très diversifiées pouvant être commercialisées comme MHB. Un grand groupe de parents, de diverses variétés, sont croisées deux à deux. Puis, à la différence d’une sélection classique, toute la descendance est conservée – « on laisse tout le monde s’exprimer », image Vincent Lefèvre.
Cet agriculteur basé dans l'Yonne participe à des essais menés depuis 2015 par Ubios et l’Inrae. À ses yeux, le principal intérêt de semer un MHB est de « pouvoir le faire évoluer selon ses envies, ses pratiques, son terroir », souligne-t-il.
Depuis cinq ans, trois CCP de blé sont en test sur son exploitation, aux côtés de diverses variétés anciennes. « Je ne trouve pas mon compte avec les variétés modernes, sauf derrière deux années de trèfle - luzerne », explique-t-il. Sur ses terres pauvres et caillouteuses, ce sont des populations hétérogènes et dynamiques qui tirent leur épingle du jeu, notamment de par leur hauteur de paille. « En 2022, où le printemps était très sec, je m’en suis bien sorti en termes de productivité malgré mes inquiétudes », observe l’agriculteur.
Des tests de panification sont en cours pour les trois CCP. « Nous ne nous attendons pas à créer des populations qui soient plus productives que des lignées pures, prévient Laurence Fontaine. Nous cherchons en revanche à ce qu’elles s’adaptent chaque année et qu’elles apportent une stabilité dans les rendements. »
Quelle commercialisation ?
La vente de semences de MHB est autorisée depuis le 1er janvier 2022. Au 31 décembre 2023, 28 matériaux hétérogènes avaient ainsi été notifiés en Europe, dont 7 blés et 7 maïs. S’ils sont principalement le fait de sélectionneurs allemands, très engagés sur le sujet, le Geves1 a récemment validé le premier dossier français. Il s’agit de la population de blé « Pop Orvilliers » mise au point par l’agriculteur Adrien Pelletier et commercialisable depuis le 25 janvier.
Un pont se tend entre la sélection à la ferme et la sélection conventionnelle, mais tout le modèle économique reste à construire. « Comme les MHB ne sont pas inscrits au catalogue, il n'y a pas de systèmes de royalties et de retours sur investissements pour le sélectionneur », souligne Laurence Fontaine. Pour les coopératives, c’est un pari de vendre des cultivars appartenant au domaine public et ayant vocation à être ressemés d’année en année. Une spécificité qui pourrait « plutôt flécher ces derniers vers des marchés de niche, note-t-elle, et une valorisation en filières courtes ».
Les variétés biologiques, ovnis juridiques
Contrairement aux MHB, les « variétés biologiques adaptées à la production biologique » doivent pouvoir répondre aux critères du catalogue officiel et feront l’objet d’un certificat d’obtention végétal. Chez ces variétés, les individus présenteraient des traits communs et stables tout en se distinguant les uns des autres par certains caractères... De quoi en perdre son latin ! Il apparaît nécessaire de déterminer en quelle mesure une variété biologique peut déroger au principe d’homogénéité tout en répondant à la définition juridique de « variété ». Une expérimentation temporaire de 7 ans est donc en cours.
Quant aux règles assurant une « conduite biologique » du travail de sélection, elles restent, elles aussi, à préciser. « On est encore sur de la prospective, conclut Laurence Fontaine, sachant qu’un fort enjeu réside dans l’identification des origines et mode de sélection des variétés, pour que chaque agriculteur sache ce qu’il cultive et vend ».
1 : Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences
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