Bio : après la crise des excédents, la filière renoue avec la croissance
Après trois années en difficulté, la filière bio française retrouve un équilibre. Moins de surfaces et de volumes, une demande qui repart à la hausse et des bilans plus équilibrés, la transition s’annonce délicate, et nécessite de consolider les maillons de la chaîne et redonner confiance aux consommateurs.
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Entre 2015 et 2021, le bio a connu une croissance spectaculaire : surfaces de grandes cultures multipliées par 2,5, collecte de grains bio plus que doublée. « En quelques années, 13 000 agriculteurs se sont installés ou convertis en bio, tandis que la consommation reculait de 6 % » selon Sébastien Windsor, président des Chambres d’agriculture France, qui intervenait le 24 septembre lors du salon Tech&Bio.
Les grandes cultures bio impactées par la grippe aviaire
Une baisse de consommation due avant tout à l’inflation qui a suivi le début du conflit en Ukraine, mais aussi, pour les grandes cultures, à la diminution de la consommation en alimentation animale, premier débouché des grains bio (40 à 50 % des volumes), qui a été frappée par les crises de grippe aviaire, réduisant de 20 % la demande en deux ans. En 2023/24, la collecte atteint un record de 1,16 Mt, mais 30 % de ces volumes sont déclassés ou exportés à bas prix.
La campagne suivante marque une rupture : la collecte retombe à 740 000 tonnes, soit une baisse de 36 % en un an. En cause, une baisse inédite des surfaces (diminution de 93 000 ha entre 2023 et 2024) et des rendements plombés par des pluies incessantes. En 2023, pour la première fois en quinze ans, la filière enregistre plus d’arrêts que de nouvelles conversions, avec un différentiel de 128 exploitations. En 2024, cet écart se creuse, avec un taux d’arrêt des exploitations bio à 7,45 %, contre un taux de conversions à 3,95 %. Blé tendre, soja et tournesol sont les plus touchés, avec des déconversions et des mises en herbe généralisées. Cette baisse a paradoxalement ramené un peu d’équilibre : « le bilan n’est pas encore définitif, mais nous constatons qu’il n’y a plus de déclassement, moins de stocks de reports en fin de campagne et des bilans plus équilibrés », souligne Claire Ortega, chargée de mission bio chez Terres Univia.
Une reprise de la consommation de produits bio
D’autant que 2025 marque un tournant : la consommation repart à la hausse. Selon l’Agence Bio, le marché affiche + 4,1 % au premier semestre, tous produits confondus, avec des hausses notables en vente directe (+ 8,8 %) et dans les magasins spécialisés (+ 6,2 %). Plus marquant, la grande distribution retrouve aussi la croissance (+ 1,4 %) après trois années de recul.
Pour Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, l’enjeu est double : soutenir la consommation et donner de la visibilité aux producteurs. Près de la moitié du bio acheté en France passe par la grande distribution, d’où l’importance du redémarrage observé. Benoît Soury (Carrefour) insiste sur la continuité des engagements : « pas de stop and go », mais des contrats pluriannuels et une politique de prix bas. Carrefour revendique ainsi + 6 % de croissance du bio à fin août, des partenariats renouvelés avec 4 600 producteurs et la volonté d’être « le bio le moins cher de France ».
Chez Biocoop, Stéphane Durand, directeur des achats et de l’offre, souligne que la coopérative a pu maintenir ses engagements grâce à ses filières intégrées : « L’envie de consommer bio n’a jamais disparu. Mais nous voyons désormais que le label bio n’est plus en tête des scores de confiance des consommateurs, et ça c'est assez inquiétant, dit-il. Il faut restaurer la confiance dans le label. » Biocoop s’est doté d’un plan stratégique pour 2026-2029, dont l’objectif est de rendre le bio « exigeant, désirable et accessible ». Cela passe par de nouveaux magasins, le doublement de l’activité en restauration collective et une montée en puissance du commerce équitable français, qui fixe les prix en fonction des coûts de production des agriculteurs.
Europe : des modèles contrastés mais résilients
À l’échelle européenne, la France reste une grande puissance agricole bio, mais une puissance consommatrice encore timide. Les ménages français consacrent 6 % de leurs achats alimentaires au bio, contre 12 % au Danemark, le leader mondial. Le pays vise d’ailleurs 30 % de production et 30 % de consommation de produits bio d’ici 2030. À titre de comparaison, les objectifs d’Egalim, initialement prévus pour 2022, sont encore loin d’être atteints : l’Agence bio rappelle que 10 % de la SAU est consacrée au bio, contre un objectif de 21 %, et 7 % des cantines seulement sont en accord avec la réglementation qui prévoit 20 % de bio dans la restauration collective.
Et si la majorité des pays européens ont subi un essoufflement de la filière bio entre 2021 et 2022, la valeur du marché passant de 46,4 à 45,2 Mds€, la reprise s’est amorcée dès 2023, avec 46,5 Mds€, pour atteindre 52 Mds€ en 2024. L’Allemagne occupe la première place du podium en Europe. Son marché bio a augmenté de 5,7 %, soit 1 Md€, entre 2023 et 2024, pour atteindre 17 Mds€. Cette performance s’explique par l’engagement des discounters et des politiques publiques. La France occupe la deuxième position, avec 12,2 Mds€, mais, par rapport à ses concurrents européens, la croissance n’est que de 0,8 % en un an. L’Italie enregistre une croissance de 5,7 %, atteignant 6,5 Mds€, notamment grâce à l’intégration du bio dans la gastronomie et la restauration hors domicile. La Suède (3,4 Mds€) est le seul pays du top 5 à reculer (- 1,5 %). Enfin, l’Espagne atteint 3,1 Mds€ (+ 3 %), bien que sa production soit principalement dirigée vers l’exportation. Elle a, en 2023, dépassé la France en SAU bio : 3 millions d’hectares contre 2,6 millions.
Après la crise des excédents, la filière appelle de ses vœux une meilleure visibilité et une communication entre tous les maillons de la chaîne de valeur. Contractualisation, restauration collective, commerce équitable : il ne s’agit plus seulement d’écouler des productions, mais de sécuriser les investissements, et de redonner confiance aux consommateurs.
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