L’agriculture biologique de conservation tâtonne encore
L'agriculture biologique de conservation (ABC) cherche encore ses marques. Entre les exploitants qui réduisent leur labour, ceux qui pratiquent le semis direct intégral, les conversions en AB ou la volonté de réduire seulement les intrants de synthèse, les approches divergent. Une étude suisse et un projet français éclairent les réalités du terrain.
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Peut-on faire du semis direct en bio ? La question divise. « On s'est contraint, en choisissant le terme ABC, de faire de l'agriculture de conservation en bio, avec des premières tentatives qui ont échoué », reconnaît Raphaël Charles, chercheur au FiBL, l'Institut de recherche de l'agriculture biologique, en Suisse. L'agriculture biologique de conservation (ABC) peine à se définir. Contrairement à l'agriculture de conservation des sols (ACS), avec ses trois piliers bien établis (une perturbation minimale du sol, le maintien d'une couverture permanente et la diversification des espèces), l’ABC reste « protéiforme », selon le terme du chercheur.
Une étude pour caractériser les sols bio, en semi direct et conventionnels
Une étude menée en Suisse étudie les sols de 60 exploitations, 20 conventionnelles, 20 en semis direct et 20 en bio. Les systèmes bio présentent, sans surprise, une intensité de travail du sol plus forte, mais aussi des apports organiques plus réguliers. En surface, les semis directs accumulent davantage de carbone, mais les parcelles bio montrent un enrichissement plus marqué en profondeur, entre 20 et 50 cm : un effet des prairies, présentes sur 20 % des rotations, selon le cahier des charges suisse. Au niveau de la qualité du sol, le bio s'en sort honorablement. La biomasse microbienne, les mycorhizes, la stabilité structurelle : les indicateurs biologiques sont au vert. En revanche, les semis directs pâtissent parfois d’un excès de phosphore ou de pesticides persistants, qui réduisent la diversité fongique. « On retrouve les fantômes de l’agriculture conventionnelle », observe le chercheur suisse.
L’indice global de santé du sol est plus élevé en bio, mais les résultats de l’étude révèlent que cette qualité du sol a un effet limité sur le rendement : dans les systèmes extensifs, elle profite davantage à la biodiversité qu’à la productivité. Dans les systèmes conventionnels cependant, la qualité du sol a un impact majeur sur les rendements. Ainsi, des blés conventionnels disposant d’une note de santé des sols basse ont des rendements d’environ 3,7 t/ha, tandis que ceux disposant de la plus haute note atteignent 7t/ha.
Des trajectoires uniques pour réduire le travail du sol et maîtriser les adventices
Sur le terrain, la France expérimente aussi. Dans le Grand Ouest et en Rhône-Alpes, Aurélien Dupont, de la Chambre d’agriculture de Bretagne, pilote le projet Master, soutenu par l’Inrae et Arvalis. Son objectif : « Maîtriser les adventices et la structure du sol tout en étant économe en énergie et en temps de travail. » L’étude s’appuie sur 14 exploitations réparties dans neuf départements, avec des profils variés : polyculteurs, éleveurs, céréaliers. Leur point commun : tous les exploitants pratiquent la réduction du travail du sol. Six d’entre eux ont complètement arrêté le labour, souvent après un parcours en ACS.
Tous notent « une moindre érosion et une accumulation de matière organique en surface », selon Aurélien Dupont. Mais le non-labour intégral reste rare : beaucoup conservent un passage de charrue ponctuel, « pour sauver un semis en automne trop humide ou gérer une infestation de graminées ». Les gains en carburant et en temps de travail sont réels, mais la maîtrise des adventices reste la lacune du système. Un producteur breton ajoute : « Dans un de nos groupes, il y avait un agriculteur qui n'avait pas labouré depuis dix ans et qui, il y a deux ans, a ressorti la charrue, parce qu’il le fallait. Ce n'est pas pour autant qu'on va le sortir du groupe. »
Pour maîtriser les adventices, les agriculteurs expérimentent : semis de trèfle dans la céréale d’hiver, combinaisons broyeur-scalpeur (à dents ou rotatif) pour gérer les couverts, semis précoces d’avoine pour éviter les graminées d’automne, ou semis directement dans les cannes de maïs grain. « Certains constructeurs de matériel de désherbage mécanique s'intéressent à faire du désherbage que sur le rang sans toucher à l'inter-rang » ajoute Aurélien Dupont. Mais le passage de l'ACS au bio se révèle particulièrement délicat. Les trois agriculteurs enquêtés qui étaient engagés dans cette trajectoire « ont vu la réintroduction de passages d'outils voire de labours occasionnels dans leur système ».
Pour permettre aux exploitants de passer des essais aux pratiques reproductibles, des tableaux de bord individualisés ont été conçus : pour chaque producteur, un objectif chiffré, des résultats intermédiaires (note d’enherbement, densité de peuplement) et des pratiques-clés observées. « Tous les exploitants n’attendent pas la même chose de leurs champs, explique Aurélien Dupont. Les tableaux de bord tiennent compte de la tolérance à l’enherbement de chacun, des priorités énergétiques ou agronomiques. Chaque trajectoire est unique. »
Une pratique sans cahier des charges
Pour démarrer en ACS, les chercheurs ont identifié quelques pratiques clés : avoir un troupeau de ruminants, ce qui offre de la matière organique, permet le pâturage des accidents de culture, valorise l’ensilage des couverts. Autre levier, conserver des prairies dans l’assolement, ce qui permet de réduire considérablement les adventices. Mais cette pratique est surtout intéressante pour les exploitations en polyculture élevage. Enfin, la possibilité de trier ses grains, pour tolérer plus d’adventice, est également une piste.
Si le nombre d’agriculteurs français pratiquant l’ABC est inconnu, l’engouement est perceptible. Il s’agit souvent d’agriculteurs en ACS souhaitant se convertir à l’agriculture biologique, ou faire des économies de charges en intrants. Difficile, selon les chercheurs, d’établir un cahier des charges de l’ABC, comme c’est le cas de l’agriculture biologique ou de l’ACS : « Dans la diversité des systèmes de culture, selon les régions, la topographie, le climat, les défis sont trop différents » souligne Raphaël Charles. Seule conviction, c’est une démarche qui demande du temps : « dix ans, voire une génération » pour que la structure du sol se régénère réellement, estime le chercheur suisse.
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