Sécurité sanitaire Flou sur la future police de la sécurité alimentaire et son recours au privé
La « police unique » de la sécurité alimentaire, annoncée après une série de scandales sanitaires, ne sera pas totalement opérationnelle comme annoncé au 1er janvier prochain. Et outre le flou sur ses effectifs, sa création s'accompagnera d'une délégation de certains contrôles à des sociétés privées.
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Printemps 2022 : Emmanuel Macron vient d'être réélu, et la campagne des législatives bat son plein. C'est dans cette phase de transition que l'équipe de Jean Castex annonce, dans un email interne aux agents, « la création d'une police unique en charge de la sécurité sanitaire des aliments ».
Le ministère de l'agriculture assure que la réforme n'en est pas une conséquence, mais quelques semaines plus tôt, les scandales sanitaires des pizzas Buitoni contaminées à la bactérie E. coli, liées à la mort de deux enfants, ou des Kinder à l'origine d'une épidémie de salmonellose ont jeté le trouble sur le contrôle sanitaire des aliments en France.
Il est décidé que le contrôle de la sécurité alimentaire sera entièrement confié au ministère de l'agriculture, alors qu'il était jusque là partagé avec la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) à Bercy. Objectif, selon la rue de Varenne, rendre « plus lisible et efficiente l'action de l'Etat ».
L'ambition est d'aller vite, et d'entériner la création de cette police au 1er janvier 2023. Or si la direction générale de l'Alimentation (DGAL), service du ministère de l'Agriculture, sera bien « en mesure de reprendre le pilotage central » à cette date, le transfert des enquêteurs à l'Agriculture a été décalé, au mieux, à septembre 2023.
Jusqu'à cette date, la Répression des fraudes continuera à contrôler les usines de production, selon le syndicat majoritaire Solidaires CCRF&SCL. Et pour les contrôles dans les restaurants ou les commerces de bouche, les « contrôles à la remise directe » dans le jargon, l'échéance est repoussée pour l'heure au 1er janvier 2024.
En outre si le ministère de l'agriculture doit être renforcé par 90 nouveaux ETPT (équivalents temps plein travaillés) supplémentaires pour cette mission, auxquels doivent s'ajouter 60 « transférés » depuis la DGCCRF, les syndicats s'interrogent sur la manière dont ces agents seront formés et le moment où ils seront opérationnels sur leurs nouvelles missions.
Contrôle « tous les 15 ans »
Autre point qui inquiète les syndicats : qui effectuera ces contrôles dits de remise directe, notamment dans les restaurants ? Consulté par l'AFP, le compte-rendu d'une réunion interministérielle sur le sujet, ayant eu lieu le 6 mai dernier, indique qu'ils pourront être réalisés « avec délégation ». Une « privatisation », dénonce Solidaires CCRF&SCL.
Le ministère confirme aujourd'hui à l'AFP que ce projet de délégation reste bien prévu, son étendue étant encore en cours d'arbitrage.
Ce sont les agents de l'Etat, qui, aujourd'hui, contrôlent les restaurants, grandes surfaces ou artisans alimentaires (bouchers, boulangers...). Avec une délégation de service public, dont les contours n'ont selon le ministère de l'agriculture pas encore été arbitrés, ils pourraient désormais être menés par des cabinets d'audits, des spécialistes de la certification ou encore des laboratoires.
Laurent Croguennec, président de Bureau Veritas Certification, explique par exemple à l'AFP que « lorsque les pouvoirs publics lanceront leur délégation de service public » sur ces contrôles, son entreprise se positionnera pour être « à leurs côtés ».
Cette délégation intervient alors que le manque d'effectifs à la DGAL et à la DGCCRF et leurs conséquences sur le nombre de contrôles sont régulièrement dénoncés. En 2019 déjà, la Cour des Comptes avait déploré qu'un restaurant soit contrôlé « en moyenne tous les quinze ans » par les services de l'État, DGAL ou DGCCRF.
Reste que les organisations syndicales des différents services publics sont vent debout. Pour Joelle Lebrethon-Mary, secrétaire nationale CGT au ministère de l'agriculture, en charge des missions vétérinaires, c'est « une hérésie de déléguer des missions d'une telle importance ».
Stéphane Touzet, de FO, premier syndicat à la DGAL, estime que la délégation va « désorganiser » les services.
Un agent DGCCRF affirme, en outre, qu'il lui est « déjà arrivé de passer dans un supermarché juste après un auditeur privé ». « A la lecture de son compte-rendu », il n'avait « pas eu l'impression d'être allé dans le même établissement ».
Si vous êtes un acteur privé « et que vous avez 10 établissements à contrôler dans la matinée », « ce n'est pas la même logique que lorsque vous êtes fonctionnaire d'Etat », estime-t-il.
Chiffrage « toujours en cours »
« Nos auditeurs sont formés, qualifiés et compétents », rétorque Laurent Croguennec, qui écarte tout risque de « complaisance ou de conflit d'intérêts ».
Il insiste toutefois sur la nécessité « de contrôler les acteurs privés » à qui la délégation sera confiée, « afin de s'assurer que tous respectent les règles du jeu ».
Reste à connaître le coût de ce recours au privé. Un « chiffrage » avait été prévu en mai par le gouvernement, mais il est selon le ministère de l'agriculture « toujours en cours » et attendu pour 2023.
Stéphane Touzet, de FO, ne « voit pas comment ça va baisser le niveau des dépenses ». « Sauf à faire du contrôle discount, mais je n'ose y croire », dit-il.
Dernier élément de flou : les scandales sanitaires de l'année écoulée se sont déroulés dans des usines où les contrôles sanitaires, reposant largement sur l'auto-contrôle des professionnels, n'ont pas été à la hauteur. Mais la création de la police alimentaire ne remet pas en question ce mode de fonctionnement.
Seul bénéfice attendu : « permettre le repositionnement de l'Etat sur les établissements dès l'amont des filières les plus à risque avec une augmentation des contrôles », justifie le ministère de l'agriculture.
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