L’Égypte et l’Algérie « verdissent » le désert pour moins dépendre des importations
Entre hausse démographique et changement climatique, les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont de plus en plus dépendants des importations céréalières pour nourrir leur population. Pour freiner cette tendance, l’Algérie et l’Égypte s’efforcent de développer leur production nationale et investissent dans leurs zones désertiques.
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« Le commerce des céréales reste stratégique » pour les pays du bassin méditerranéen, région « emblématique des contraintes climatiques », lance Sébastien Abis, spécialiste de la géopolitique appliquée à l’agriculture, lors d’une matinée organisée le 19 mars par Intercéréales et consacrée à la place des céréales françaises sur les marchés mondiaux.
Car du Maroc à l’Iran, les pays d’Afrique du nord et du Moyen-Orient sont de grands consommateurs de blé, pilier de l’alimentation locale (pain, semoule). « C’est aussi la protéine la plus accessible à la population », la consommation y est « trois, quatre, voire cinq fois plus élevée qu’en France », commente Roland Guiragossian, responsable « Algérie, Proche & Moyen-Orient » chez Intercéréales.
Et avec une population qui grimpe rapidement, la demande alimentaire ne cesse de croître. Elle est encouragée par les politiques de subventions qui maintiennent les prix des produits transformés à des niveaux très bas, mais qui peuvent entraîner gaspillages et surconsommation.
Logiquement, les importations de céréales « augmentent mécaniquement » et restent vitales pour couvrir les besoins alimentaires des populations, car la production est insuffisante. En cause : des conditions climatiques difficiles, une eau rare et peu d’irrigation, des terres cultivables peu à peu grignotées par l’urbanisation, ou encore des pertes post-récoltes liées à des conditions de stockage « pas souvent optimisées ».
Les pays de la zone importent environ 54 Mt de blé par an, dont 12 Mt pour l’Égypte et 9 Mt pour l’Algérie, deux clients historiques de la France. Dans les pays du Golfe, la dépendance est totale ; elle dépasse 80 % en Algérie et atteint 60 % en Égypte. Ces deux pays se sont lancés dans des projets d’envergure pour, malgré tout, gagner en autonomie alimentaire.
En Algérie, cap sur le sud pour produire du blé dur et de l’orge
L’Algérie, dont la population augmente de près d’un million de personnes par an, a massivement investi dans la production céréalière au nord du pays, mais sans résultats probants : malgré les aides publiques (engrais subventionnés, équipements financés, crédits à taux zéro…), les rendements stagnent autour de 2 t/ha.
« Les exploitations ne sont pas très grandes, les itinéraires techniques peu respectés, il y a un accès limité aux engrais et très peu de renouvellement variétal », explique Roland Guiragossian. Le tout aggravé par le dérèglement climatique, qui amplifie les sécheresses.
Alors les autorités ont décidé de concentrer leurs efforts sur le sud désertique, dans l’objectif d’atteindre l’autosuffisance en blé dur et en orge. L’idée est d’exploiter 500 000 hectares d’ici à 2028, en visant des rendements de 4,7 à 5,5 t/ha.
Le tout jeune Office de développement de l’agriculture industrielle en terres sahariennes (Odas) mise sur la nappe albienne, la plus vaste réserve d’eau douce souterraine du monde, pour irriguer ces cultures. Le projet mobilise des capitaux publics et privés, algériens et étrangers (Turquie, Qatar, Arabie saoudite, Italie).
Outre les coûts de production élevés (forages, routes…), Roland Guiragossian pointe un défi logistique majeur : « entre les zones de production dans le sud et les zones de consommation dans le nord, il y a 1 000 km et pas de chemin de fer. Il faudra acheminer les engrais vers le sud, puis remonter les récoltes. » Autre contrainte du projet : la salinité des terrains et la recharge des nappes, « limitée dans le temps ».
Bonifier un million d’hectares dans le désert égyptien
En Égypte, l’enjeu de sécurité alimentaire est encore plus fort. D’abord en raison de la forte pression démographique (+ 2 millions de personnes/an), renforcée par l’afflux de réfugiés du Soudan, du Yémen et de Syrie. Ensuite à cause d’un stress hydrique chronique, d’une perte continue de terres agricoles, de fermes morcelées et peu mécanisées.
À cela s’ajoutent une forte dépendance aux importations de la mer Noire (80 % du blé importé vient de Russie et d’Ukraine) et des difficultés d’accès aux devises, aggravées par la baisse des revenus du canal de Suez du fait des tensions au Moyen-Orient.
Pour augmenter sa production agricole, l’Égypte a elle aussi lancé des travaux colossaux visant à « verdir » le désert, sous l’égide du ministère de la Défense. Il s’agit de bonifier près d’un million d’hectares pour y produire notamment du blé, du maïs, de l’alimentation du bétail.
Ce projet repose sur l’exploitation des nappes phréatiques et la création d’un canal de 120 km reliant le delta du Nil au désert, au prix de lourds investissements et de risques écologiques.
D’ailleurs, les autorités égyptiennes s’interrogent : « aujourd’hui, elles se demandent si, compte tenu du coût que ça représente, il ne vaudrait pas mieux réserver ces surfaces à des cultures d’exportation, pour pouvoir exporter, générer des devises et acheter du blé en échange ».
En parallèle, le pays tente de rationaliser sa consommation. Il a ainsi réduit la taille et le nombre de pains subventionnés distribués par habitant, et a relevé leur prix – une première depuis 1977. À terme, l’objectif est de remplacer le système de subventions par une allocation directe, permettant à chacun d’acheter son pain sur le marché libre.
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