« Ne pas viser zéro adventice, mais plutôt zéro nuisibilité »
Pour anticiper le possible retrait de plusieurs herbicides ciblant les dicotylédones, les filières des cultures destinées à la transformation ont associé leurs compétences à la recherche de solutions alternatives, à travers le projet 1er Decclic. Un peu plus d’un an après son démarrage, elles font le point sur leurs avancées et les perspectives de leurs essais.
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« Nourrir la population avec des légumes bons, sains et compétitifs, telle est notre mission », rappelle Eric Legras, président de l’Unilet, interprofession des légumes transformés (conserve et surgelés).
Or la filière fait face à un défi de taille : « le ministère de l’agriculture a, en effet, listé 77 matières actives menacées de retrait au niveau européen d’ici 2027. Parmi elles, 31 sont des herbicides, dont 28 ciblent les dicotylédones ».
« Pour les légumes d’industrie, cela représente 75 % des substances actives utilisées, mais notre quarantaine d’espèces concerne de trop faibles surfaces pour intéresser la recherche des firmes phytosanitaires ou des équipementiers », observe Cécile Le Doaré, directrice de l’Unilet. C’est pourquoi les filières des cultures destinées à la transformation (légumes, légumineuses, pommes de terre et pavot médicinal — voir le schéma en fin d’article) se sont associées pour lancer un projet de recherche ambitieux : « 1er Decclic » (2024-28).
L’objectif : « DEvelopper la Connaissance, Combiner et dépLoyer pour mieux désherber les diCotylédones ». Porté par l’Unilet, il est conduit en partenariat avec Arvalis, la Chambre d’agriculture du Loiret, Francopia1, Inov3PT2, Inrae, Sonito3 et Terres Inovia.
Combiner les leviers
« Avant, on avait « un problème : une solution », désormais il faut plutôt combiner différents leviers (agronomiques, mécaniques ou technologiques…) car il n’y a pas de solution assez performante seule. » Au sein d’Unilet, « on travaille la thématique du désherbage depuis des années, mais il faut aller plus vite. Le Parsada4 nous permet de démultiplier les essais sur le sujet (plus de 140 sont prévus durant le projet) », précise Mickaël Legrand, responsable des programmes techniques innovation et agroécologie.
L’un des axes clés du 1er Decclic est de produire des références sur les adventices. « Les données manquent en cultures spécialisées, et en particulier sur les dicotylédones. On souhaite déterminer le seuil à partir duquel les mauvaises herbes deviennent problématiques pour les cultures, afin d’éviter les interventions inutiles et de mieux cibler les actions. L’idée n’est pas de viser zéro adventice, mais zéro nuisibilité plutôt ! Notamment pour des cultures comme l’oignon, qui se caractérise par un faible pouvoir couvrant ».
Les essais 2024 ont permis de réaliser un suivi phénologique de certaines adventices en betterave, carotte, céleri, chou-fleur, haricot, navet, oignon, pois et salsifis. Et dans la majorité des cas étudiés, les adventices émergées précocement en culture ont atteint le stade grenaison avant la récolte des légumes, confirmant un risque élevé de salissement des parcelles.
Ces différents essais ont aussi besoin d’être répétés sur plusieurs années car la nuisibilité des adventices est très dépendante des conditions climatiques.
Agronomie et désherbage mécanique
La filière est déjà mobilisée dans le déploiement de méthodes alternatives pour réduire l’usage des herbicides, avec notamment le choix des parcelles et les rotations longues. « C’est une force de la filière, où plus de 40 % des parcelles ont un délai minimum de 5 ans ou plus entre 2 légumes », observe Armand Frassant, président de l’organisation de producteurs OPLVert.
De nombreux producteurs ont également adopté l’usage du désherbage mécanique : la filière recense près de 50 % des parcelles de haricot et flageolet avec une ou plusieurs interventions dans leurs itinéraires techniques. Ce niveau atteint même 94 % dans le Sud-Ouest et 43 % des parcelles de carottes destinées à la transformation sont binées.
Producteur de haricots dans la Somme, Christophe Desmis fait partie des adeptes du binage, en complément du désherbage chimique : « dans de bonnes conditions et au bon stade, on peut aller jusqu’à 10-15 km/h ». L’agriculteur souligne toutefois que ce levier ne permet pas de gérer les adventices présentes sur le rang et que les fenêtres de passage peuvent être réduites, lors des campagnes pluvieuses, comme l’an passé.
Adapter les solutions aux cultures
En parallèle, la pulvérisation ultra-localisée se développe avec notamment l’utilisation du pulvérisateur Ara d’Ecorobotix. « Equipé de caméras, il utilise l’intelligence artificielle pour reconnaître les adventices, les différencier de la culture et du sol, et activer des buses ultra-précises qui pulvérisent sur une largeur de 6 cm seulement, explique Aurélien Mille, chargé d’expérimentation à l’Unilet. »
« Il permet, en moyenne, une réduction de 70 à 75 % des volumes d’herbicides appliqués et ouvre aussi la possibilité d’utiliser des produits peu ou moins sélectifs (à meilleur profil toxicologique ou écotoxicologique), qui seraient trop agressifs pour une utilisation en plein ».
Plus de 70 % des surfaces de carottes de l’Oplinord ont été gérées par l’Ara en 2024. « Un outil gère 800 ha avec des salariés formés et une bonne organisation », détaille Dominique Vaesken, son président. L’organisation de producteurs encourage, en effet, l’utilisation de cet outil par ses producteurs depuis 2 ans, en leur mettant à disposition un service de prestation afin de partager le risque d’investissement (aux alentours de 160 000 € + licence annuelle).
D’après les premières références, le surcoût lié à son passage pourrait être compensé par un gain de rendement. L’OP compte également déployer l’Ara sur oignon et haricot dont le paramétrage vient d’aboutir. Il doit également être évalué sur d’autres espèces et les travaux du projet 1er Decclic devraient aider en ce sens.
Les outils existants sont souvent développés sur d’autres cultures de plein champ, plus importantes en termes de surfaces, et nécessitent donc d’être testés et adaptés aux spécificités des cultures destinées à la transformation.
Les bineuses équipées de doigts Kress ne peuvent, par exemple, pas passer sur des cultures à inter-rangs étroits comme le pois (12,5 à 18 cm). L’Unilet a alors démarré ce printemps l’essai d’une bineuse équipée de moulinets Tilt Rotovert, permettant le sarclage sur rangs serrés. « Les rotors verticaux ont une action similaire à des doigts Kress, ils bouleversent le sol au plus près du rang et détruisent ainsi les adventices, précise Aurélien Mille. Ce dispositif ne peut être utilisé, en revanche, qu’à des stades précis de la culture, et uniquement sur des adventices jeunes. Sinon il peut se révéler trop agressif et entraîner des pertes de pieds de pois. »
Robots solaires et technologies laser sur le banc d’essai
Autres technologies à l’étude : les robots solaires autonomes. « Déjà utilisé en betteraves sucrières, un prototype du Farmdroïd FD20 adapté au semis du haricot a été mis au point par le constructeur. Le haricot étant semé à la fin de la période de désherbage de la betterave, l’adaptation du robot permettrait de rentabiliser ce dispositif sur plusieurs cultures. »
« Le Farmdroïd mémorise la position GPS des graines au semis, puis soulève ses couteaux à l’approche des plants pour désherber le rang avant la levée. S’il a un débit de chantier réduit, il a l’avantage d’être autonome, alimenté à l’énergie solaire et de pouvoir intervenir avant même la levée des haricots. »
Unilet compte évaluer ce prototype dans les Hauts-de-France et le Sud-Ouest en 2025 avec un semis de haricots en poquets, c’est-à-dire en groupe de graines espacées. La Robocrop In Row de Garford va également être testée dans ce cadre. Cette bineuse équipée de disques rotatifs pour désherber sur le rang est dotée d’une caméra et d’un système d’intelligence artificielle permettant de reconnaître les plants de haricots. Son débit de chantier est plus élevé que le robot Farmdroïd, mais elle nécessite une culture levée.
Deux outils de désherbage laser sont également sur le banc d’essai. Parmi eux, le porte-outil solaire Wall-Ye, étudié par la Sonito, équipé de faisceaux laser pour intervenir dans l’inter-rang et jusqu’au bord de la planche. Pour l’instant à l’état de prototype, « l’intérêt de cette technologie est de limiter la remise en germination des adventices (liseron des champs, chardon…), un effet secondaire fréquent du désherbage mécanique ».
Le désherbeur laser Claws va, quant à lui, être évalué par Unilet. « C’est un petit robot à énergie solaire qui élimine les plantes autres que la culture en place par un rayon laser. Il chauffe suffisamment le cœur des adventices pour les détruire. Le désherbage laser pourrait être une alternative pour des cultures à inter-rangs étroits (jeunes pousses, pois, épinards) qui n’ont pas beaucoup d’autres solutions. Cependant, son débit de chantier est faible, ce qui augmente son coût d’utilisation. »
Adopter de nouvelles pratiques
« Aucune solution prise isolément ne permettra, à elle seule, de maîtriser durablement les adventices en l’absence des substances actives dont l’usage est ou sera restreint. Il est donc indispensable de travailler à l’élaboration d’itinéraires techniques intégrés, combinant plusieurs leviers de lutte : agronomiques, mécaniques, robotiques… », fait remarquer Mickaël Legrand. « Pour cela, chaque itinéraire est évalué selon une approche multi-critères, prenant en compte l’efficacité sur la gestion des adventices, la rentabilité économique, la durabilité (dont les émissions de gaz à serre), la faisabilité technique (créneaux d’intervention, sensibilité aux aléas climatiques…), et l’impact sur la culture (rendement, maladies, facilités de récolte). »
« Les solutions retenues seront largement partagées à travers des journées techniques, des supports pédagogiques et des visites d’essais, note Amélie Monteiro, cheffe de projet 1er Decclic. Et la structuration des filières spécialisées via les organisations de producteurs et les services agro est un levier important pour accélérer l’adoption de nouvelles pratiques. »
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