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Guerre et paix : les paysans toujours en première ligne

Les paysans ont payé un lourd tribut aux conflits au cours du XXe siècle.

Si les paysans ont payé un lourd tribut lors de la Première guerre mondiale, ils restent encore, aujourd’hui, au premier rang lors des conflits dont ils s’avèrent souvent des victimes collatérales, des cibles privilégiées, ou des acteurs engagés, en raison de la nécessité vitale de l’agriculture et du lien que les agriculteurs entretiennent avec le territoire.

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20 % des paysans français tués, plus d’un tiers des 5,4 millions d’actifs agricoles mobilisés, une forte déprise agricole dans les territoires de l’Est de la France… La première guerre mondiale n’a pas épargné le monde agricole, dans une société française encore largement rurale. Mais quels que soient les conflits, les paysans se trouvent particulièrement exposés, qu’ils soient victimes collatérales, cibles privilégiées, ou acteurs engagés, détaille Pierre Blanc, enseignant-chercheur en géopolitique à Bordeaux Sciences Agro et Sciences Po Bordeaux, dans un chapitre du Déméter 2024.

Le paysan, agent nourricier du front

Face à la disparition des hommes dans les campagnes françaises, un appel aux femmes fut lancé le 9 août 1914 pour « maintenir l’activité », et 850 000 paysannes ont ainsi pris la relève tout au long du conflit, permettant à la production agricole de se poursuivre, et de nourrir les soldats. Car si la France n’a pas pu empêcher la mobilisation de ses agriculteurs, le paysan, en tant qu’agent nourricier du front, joue pourtant un rôle stratégique pour les pays en guerre.

En amont de la deuxième guerre mondiale, l’autosuffisance allemande a ainsi été travaillée et renforcée par les nazis, conscients de cette importance stratégique. Le Royaume-Uni, qui avait en revanche privilégié son développement industriel, s’est retrouvé contraint de réinvestir dans sa production agricole face aux blocus allemands dans les ports où transitaient les importations anglaises.

Avec la fin des guerres interétatiques, cette figure de l’agriculteur mobilisé par sa fonction nourricière disparaît progressivement. On le constate ainsi avec la guerre en Ukraine, grand exportateur agricole, qui a posé une autre problématique en 2022 : celle de l’approvisionnement des pays importateurs, sans que ne ressurgisse en revanche « la figure du paysan missionné pour nourrir le pays et les soldats du front », note Pierre Blanc. En effet, rien n’a été prévu pour éviter la mobilisation des paysans.

Les revanches foncières

Les paysans peuvent également être à l’origine des conflits. Historiquement, dans de nombreux pays, on observe une dialectique entre détenteurs de la terre, qui veulent la garder, et paysans sans terre qui entendent non seulement la cultiver, mais aussi la posséder, explique Pierre Blanc. C’est le cas par exemple de la révolution mexicaine, menée par Emiliano Zapata, entre 1910 et 1917, ou encore de la révolution cubaine qui, en s’appuyant sur les paysans à partir de 1956, a connu un second souffle.

« Avec le temps, l’urbanisation des sociétés et la multiplication des réformes agraires ont atténué ces « revanches foncières » même si le problème est loin d’être réglé dans certaines zones, en particulier en Amérique latine, où la concentration foncière demeure très forte, et en Afrique du Sud », précise le chercheur, qui soulève néanmoins, aujourd’hui, un nouveau risque de dépossessions « avec le phénomène actuel d’investissements dans la terre ».

La guerre contre les paysans

Enfin, dans le cadre de conflits qui naissent d’appétits de territoire, « le continuum entre paysans, paysages et pays doit être pris en compte », explique Pierre Blanc. L’agriculteur se retrouve, parfois, victime des stratégies territoriales. Dans les zones où le pouvoir en place craint des soulèvements, les paysans sont chassés, puis d’autres implantés en sortie de guerre comme « gardiens des territoires ». C’est le cas depuis le début du conflit israélo-palestinien, c’est également une stratégie mise en place par la Syrie et l’Irak qui « n’ont eu de cesse d’implanter des paysans arabes au détriment des paysans kurdes », indique le chercheur.

Avec la pression démographique, qui accroît la compétition sur les ressources, les paysans peuvent également être attaqués en tant qu’utilisateurs de ces ressources – la terre, mais également l’eau. Dans la bande sahélo-soudanaise, on assiste par exemple à une recrudescence des conflits entre éleveurs et agriculteurs. « Pour des agriculteurs de plus en plus nombreux, il est tentant d’occuper les espaces réservés au passage des troupeaux ainsi que les voies d’accès obligatoires aux points d’eau » tandis que les éleveurs pastoraux, plus nombreux aussi, sont tentés de faire divaguer leurs animaux sur des zones agricoles. Et la tendance risque fort d’être à l’aggravation de ces tensions du fait du changement climatique qui accélère la désertification en plus de générer des accidents de récoltes plus fréquents et des crises hydriques, explique Pierre Blanc.

En dépit de ce rapport tragique avec la guerre, gardons également à l’esprit que les paysans entretiennent également « une relation privilégiée, du moins en creux, avec la paix » par leur acte de production, qui permet aux populations de se nourrir au quotidien et donc de limiter les instabilités, génératrices de conflit. D’où l’importance, aussi, de leur assurer une juste reconnaissance à travers le monde.

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