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Puisque la transition des systèmes agricoles coûte cher, que faire ?

Comment sauver l'agriculture française ? Le Cercle des économistes a tenté de répondre à cette question complexe, le 30 avril.

Les crises climatiques et sanitaires de ces dernières années n’ont fait que confirmé la nécessité, pour l’agriculture, de se transformer. Pour autant, si une transition s’avère non seulement indispensable, mais également urgente, le contexte économique ne permet pas à la majorité des agriculteurs de s’engager dans une modification profonde de leurs pratiques.

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Après une révolution modèle, initiée dans les années 60, les systèmes agricoles et alimentaires français et européen se heurtent aujourd’hui à de nombreux défis qui imposent des restructurations et transitions. Il s’agit désormais de nourrir une population croissante dans un contexte d’accélération du dérèglement climatique qui accentue les aléas et limite les avancées génétiques, tout en travaillant à réduire nos dépendances, explique Philippe Mauguin, PDG de l’Inrae. Et « ce n’est pas juste avec un petit peu d’innovation et un petit peu de soutien public qu’on va y faire face », ajoute-t-il.

Les idées ne manquent pas, pourtant, et tout un éventail de solutions ont été évoquées à l’occasion d’une rencontre initiée par le Cercle des économistes et l'institut Louis Bachelier autour de notre « système alimentaire à l’heure des choix », le 30 avril. Si l’agriculture n’est traditionnellement pas un sujet de prédilection pour les économistes, qui ont l’honnêteté de le reconnaitre, il pourrait progressivement le devenir compte tenu de ces enjeux.

« On a besoin d’économistes qui nous trouvent des modèles », appuie d’ailleurs Julien Denormandie qui, riche de son expérience de ministre de l’agriculture, mais également d’ingénieur agronome, développe sa vision dans un livre co-écrit avec Erik Orsenna, « Nourrir sans dévaster ».

Prendre en compte l’environnement a une conséquence : c’est inflationniste

« Chaque fois que la compétitivité repose sur une externalité négative, cela ne devrait pas être possible. L’Europe doit mettre des barrières. Pourquoi ce n’est pas fait ? Parce que les économistes détestent l’inflation. La prise en compte de l’environnement a une conséquence, c’est que c’est inflationniste, il faut l’accepter », avance l'ancien ministre.

Comment, enfin, répartir équitablement la valeur ?

Comment fait-on, ou plutôt, comment finance-t-on ces surcoûts ? Entre des distributeurs investis de la sacro-sainte mission de préservation du pouvoir d’achat, des industriels sous pression dont le bénéfice ne dépasse pas les 1 %, et les agriculteurs qui ne pèsent pas suffisamment face aux autres maillons de la chaîne, personne ne semble avoir de marge de manœuvre. Ce qui ressort, en tout cas, du débat entre l’éleveur Etienne Fourmont, le président de l’Ania Jean-François Loiseau, et l’ancien président de Lidl France Michel Biero, c’est que la valeur reste très mal répartie au sein de la filière. Et ce, malgré un cortège de lois Egalim.

Pour Michel Biero, « une juste répartition de la valeur ne sera jamais possible tant qu’il n’y aura pas de transparence entre les différents maillons de la chaine », et tant que le système de négociation commerciale repose sur « la descente tarifaire », une spécificité française. « Moi, je suis persuadé que l’on peut mettre en place un prix minimum », ajoute-t-il.

En amont de la chaine, Etienne Fourmont reste plus libéral, et défend plutôt une meilleure organisation des agriculteurs pour vendre correctement la production. « On nous a toujours appris à bien travailler à la ferme, on ne nous a jamais appris à vendre », rappelle-t-il.

Et entre ces deux maillons, les industriels ont besoin, avant d’investir dans les transitions, de retrouver de la compétitivité ce qui passera, pour que personne ne perde au change, par « moins de réglementation et de la restructuration », estime Jean-François Loiseau.

Un marché de commodités, ou un marché de valeur ?

Derrière ce débat se cache une autre question : « est-ce qu’aujourd’hui, notre système de marché tel qu’il existe est encore compatible avec notre agriculture ? Est-ce un marché de commodités ou marché de valeur ? », demande Julien Denormandie. Pour l’ancien ministre, qui entend ainsi réactualiser les physiocrates, une transparence accrue doit surtout permettre de « limiter les rentes » au profit « du renouvellement de la ressource ».

L'ancien ministre de l'agriculture Julien Denormandie, le 30 avril. (© Terre-net Média)

Et prendre en compte le renouvellement de la ressource (notamment le sol), c’est plus cher. S’il ne faut pas pour autant renoncer à gagner en compétitivité, tout miser sur les économies d’échelle semble voué à l’échec face à des concurrents mondiaux moins regardants sur les normes. « Je suis à fond sur les accords de libres échanges, car ils mettent des règles ! On doit imposer l’extraterritorialité de nos normes », défend Julien Denormandie.

Des solutions en attente de massification

Ces questions économiques nécessitent d'être appréhendées afin d'engager réellement une transition à grande échelle. Car la recherche a la capacité de trouver des réponses. « Les fermes expérimentales montrent qu’il y a des dispositifs très performants, avec des niveaux de revenus supérieurs à la moyenne, explique Philippe Mauguin. Mais le vrai défi, c’est la massification de ces solutions, ajoute-t-il. Dans un secteur d’activité aux faibles niveaux de rentabilité, où la Pac constitue encore l’essentiel du revenu, prendre le risque de modifier en profondeur son système reste logiquement compliqué, et anxiogène. « Il va donc falloir trouver des dispositifs à l’intérieur de la Pac qui accompagnent les transitions », poursuit le PDG de l’Inrae.

« On a les solutions mais dans le quotidien, à chaque fois, le lien avec l’économie ne marche pas », notamment à cause de la difficulté de financer des projets aux taux de rentabilité de très long terme, conclut de son côté Julien Denormandie, citant l’exemple du portage de foncier. Face à ces enjeux, il faudra que chacun - acteurs politiques ou économiques – « assume ses responsabilités », ajoute l’ancien ministre, qui parle en connaissance de cause.  

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