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« Cultivons le Yin et le Yang de l’agriculture du 21e siècle »

La mixité, un gage de complémentarité et d'efficience pour l'agriculture.

La féminisation de l’agriculture n’est pas un mythe et il semble désormais admis que l’influence et la vision des exploitantes agricoles contribuent à faire évoluer notre perception du monde paysan. Il est même fort probable que l’agriculture soit en 2024 aux avant-postes du rééquilibrage femme-homme qui se joue dans toutes les zones actives de la société. Retrouvez ci-dessous la tribune de Marie-Laure Hustache, consultante en communication dans le secteur agricole.

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« Un récent article de Terre-net sur les Cuma (Coopératives d’utilisation de matériels agricoles), qui fait notamment témoigner deux jeunes agricultrices, semble nous indiquer qu’elles ont un autre rapport à la technologie, comme en témoigne cet extrait : « Leur manière de raisonner est différente, et elles ne vouent pas la même passion aux machines agricoles que leurs homologues masculins ».

Y aurait-il donc une différence de perception du tracteur et de tous les outils qui font le quotidien d’un agriculteur de la part des cheffes d’entreprise agricole ? Ce questionnement, souvent évoqué lors de discussions et de débats sur l’agriculture au féminin, donne envie de réfléchir à une complémentarité des approches.

« À quoi ça sert » et non « comment ça marche »

En effet, le rôle des perceptions et donc des « représentations mentales » dans le secteur de l’agriculture est souvent évoqué mais rarement analysé. Or, notre « être au monde » est différent que l’on soit un homme ou une femme : notre rapport à l’espace-temps, notre co-présence à l’objet (un tracteur, une pomme etc.) ou encore à l’écosystème ambiant en sont modifiés selon notre genre.

On pourrait schématiser en disant que les hommes en voyant un tracteur ou n’importe quelle autre machine agricole se demandent comment ça marche, alors que les femmes auraient plutôt tendance à s’interroger sur à quoi ça sert et quel est le véritable service rendu par cette machine (puis en second lieu à questionner son fonctionnement).

Ou encore, et sans tomber dans les clichés du type « Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus », on pourrait se référer à l’expérience des vendeurs de voitures ou d’électroménager pour comprendre ce distinguo qui correspond bien à deux formes d’attractivité et d’usage, respectivement masculins et féminins. Attention, certaines agricultrices répondront qu’elles regardent aussi la puissance d’un tracteur, son esthétique et sa mécanique ! Une passion parfois même partagée sur les réseaux sociaux.

« Des intelligences, temporalités et sensibilités
encore trop peu prises en compte »

Toutefois, qu’il s’agisse des postes à responsabilité ou de décision (sauf exceptions notables) ou des services et outils proposés aux acteurs de l’agriculture, il demeure une trop faible prise en compte des intelligences, des temporalités et des sensibilités féminines, même s’il est à noter depuis plusieurs années un renversement de cette répartition.

À ce titre, l’engouement croissant pour l’entrepreneuriat agricole au féminin apporte sans doute une vision actualisée de la production agricole par rapport aux grands défis du moment. L’agriculture, comme n’importe quelle autre activité est influencée par la subjectivité féminine et sera sans nul doute enrichie par cette vision et cette approche dans les années qui viennent, au point de faire école auprès de générations de femmes et de faire évoluer l’ensemble de la pratique.

« Une grogne agricole perçue comme masculine alors que les femmes étaient présentes »

Revenons à nos fameux tracteurs, ces derniers étaient d’ailleurs très présents symboliquement et mis en vedette pendant la crise agricole de janvier 2024. Comme une démonstration de force. Dans ces conditions, il semble évident que le rendu de cet épisode de fortes turbulences ne pouvait d’ailleurs être traité que comme une « grogne d’agriculteurs », perçue comme éminemment masculine.

Et pourtant, les femmes étaient bien présentes et actives, et même fortement exposées pendant ces manifestations. Mais cela fait ressortir qu’aujourd’hui encore les médias, les politiciens, les analystes, et tous les observateurs considèrent toujours l’agriculture comme une activité virile, guerrière, difficile et donc plutôt masculine.

Une complémentarité à mieux exploiter

Or si les représentations mentales et les imaginaires que les femmes convoquent pour appréhender l’univers agricole sont bien complémentaires de celles des hommes, on peut imaginer que cela pourrait conduire à l’avènement d’une agriculture plus horizontale, où le consommateur et l’agriculteur ne seraient plus dissociés.

Ceci dans un rapport moins descendant et vertical, et en définitive plus concerté, plus cohérent et donc plus naturant. Le monde agricole de demain s’en trouverait donc changé par l’avènement de cette mixité, il serait peut-être plus soucieux de son efficience que de son efficacité, dans un contexte de fortes contraintes et d’imprévus.

Dans ces conditions, nous pourrions tirer des enseignements de ces constats et harmoniser enfin le Yin et le Yang de l’agriculture du 21ème siècle. Oui, le temps est peut-être venu de rééquilibrer les intentions : celles des femmes et celles des hommes, qui dominent depuis très (trop) longtemps. Or il semble bien que l’influence croissante et plus officielle des femmes dans le monde agricole pourrait favoriser une approche plus réaliste, utilitaire, durable et enthousiasmante du travail de la terre et de la gestion du vivant. »

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