La réduction des fongicides est engagée
Chacun avec sa stratégie, des producteurs céréaliers apportent la preuve que la réduction des fongicides est possible. Propension au changement, mélanges, génétique, méthodes culturales, OAD et adjuvantation constituent quelques pistes qu’ils ont explorées.
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« Le meilleur moyen de lutter contre les maladies, c’est la recherche génétique. Dans les années 1980-1990, on était dans la production, on cherchait des variétés productives. Et, petit à petit, les semenciers ont travaillé sur une génétique résistante aux maladies. C’est donc aujourd’hui plus facile de lever le pied sur les fongicides », estime Sébastien Mangin, installé à Ogy-Montoy-Flanville sur une exploitation familiale, dans le centre de la Moselle.
Dans un contexte pédoclimatique plutôt favorable aux grandes cultures, un terroir plutôt céréalier, il exploite 230 ha à l’aide d’un parc matériels mutualisé avec deux autres exploitations. Il sème des variétés adaptées à sa région, testées et préconisées par les coopératives, les chambres d’agriculture régionales ou les instituts techniques. À la récolte, il fait le bilan et s’il est positif, il conserve des petits lots de semences de ferme pour la prochaine campagne. 5 à 10 % des semences sont achetées chaque année pour le renouvellement.
« Une variété de blé, c’est pour trois à six ans, contrairement à une variété de maïs qui va durer deux ans, remarque le céréalier en précisant qu’il en change dès qu’il constate une usure ou une dégénérescence. On ne fait pas de mélange, mais chaque année, on utilise deux à trois variétés différentes en fonction des terrains et des précédents culturaux. On ne mettra pas la même derrière un maïs ou un colza. »
Il estime avoir réduit les fongicides de 30 à 50 %, grâce à ses choix variétaux, mais pas que. « La rotation historique jusqu’à 2010-2015 c’était, sur trois ans : colza, blé, orge de printemps ou d’hiver, explique Sébastien Mangin. On évolue tout doucement sur des rotations plus longues avec de l’orge de printemps, du maïs, du tournesol ou des pois. Parfois en opportunité, parce que les assolements ne sont pas forcément choisis, ils sont parfois subis. Quand, en été, on n’a pas assez d’eau pour des implantations de colza, on passe sur des cultures comme le tournesol, le maïs ou les pois. Désormais, notre rotation se fait sur six ans. C’est colza, blé, orge de printemps, avec en quatrième année des pois, du maïs ou du tournesol. Après, on repasse avec un blé et, ensuite, on revient en orge d’hiver. La gestion des mauvaises herbes s’en trouve facilitée. Les parcelles assez profondes passent en pois ou maïs et sur les parcelles superficielles sont implantées plutôt les tournesols. La production part en coopérative, sauf le maïs-ensilage qui est destiné à la méthanisation. »
Le céréalier ajoute qu’il « utilise aussi des adjuvants pour certains herbicides et, parfois, pour les fongicides, des produits à base d’huile de pin, afin d’obtenir un côté étalant sur la feuille. C’est testé, ce n’est pas très cher, quelques euros par hectare. Mais je suis un peu sceptique quand même. Les résultats, en fin de compte, ne sont pas visuels. »
Tout un système et un état d’esprit
Pour Gaétan Bouchot, installé à Essey-les-Ponts, en Haute-Marne, dans le Barrois, la différence avec ses aînés réside dans sa manière d’aborder la protection des cultures. « Autrefois, les traitements étaient systématiques, explique-t-il. Aujourd’hui, nous n’intervenons que si c’est nécessaire. Pour la santé du sol et pour des raisons économiques, nous employons moins de produits. Nous avons divisé par trois notre utilisation de fongicides, sans observer davantage de maladies ni de baisse de production. » Il exploite environ 500 ha de terres argilo-calcaires à faible potentiel. Blé, orge d’hiver, colza, orge de printemps et un peu de tournesol composent son assolement.
Dès son installation en 2011, Gaétan Bouchot s’est engagé dans l’agriculture de conservation des sols (ACS), en pratiquant le semis direct sous couvert permanent de légumineuses (lotier, minette, trèfle blanc nain). « Cette couverture végétale protège le sol des éclaboussures de pluie, limitant ainsi la propagation des maladies. Elle favorise également un sol vivant, riche en champignons bénéfiques capables de concurrencer les pathogènes. Ce n’est jamais une seule pratique qui fait la différence, mais l’ensemble du système », indique-t-il.
Un de ses leviers techniques consiste à semer à 25 cm d’écartement afin d’assurer une meilleure aération entre les rangs. Il veille aussi à nourrir ses cultures tôt, avec des engrais et des oligo-éléments, pour que les plantes soient vigoureuses avant la période sensible aux maladies. La météo constitue un autre outil d’aide à la décision (OAD) : en cas de fortes pluies annoncées, il peut appliquer de très faibles doses de fongicides en préventif.
L’agriculteur insiste aussi sur l’importance du moment d’application. « Les fongicides sont plus efficaces lorsque l’hygrométrie dépasse 70 %, soit tôt le matin, entre 5 h et 8 h 30. À cette heure-là, les spores sont plus ouvertes et captent mieux le produit. Cela améliore l’efficacité, ce qui implique une réduction de dose », souligne-t-il. Autre piste explorée : l’adjuvantation, qui consiste à ajouter au produit principal des adjuvants améliorant sa pénétration et sa rétention, ce qui permet de diminuer les doses appliquées. Il utilise également un pulvérisateur en bas volume d’eau, renforçant la concentration de matière active dans chaque goutte et augmentant l’efficacité du traitement. Pour le choix des matières actives, il s’appuie sur les conseils d’un technicien de la chambre d’agriculture. « Il n’existe plus une grande diversité de substances, constate-t-il. Les différences se jouent souvent entre marques et dans ce cas, le prix est déterminant. »
Miser sur la diversité variétale
« Notre but, c’est d’essayer de pulvériser un seul fongicide, alors on privilégie les variétés résistantes aux maladies. Cette année, je n’ai fait qu’une demi-dose de Pack Revystar XL avec l’aide des OAD, qui nous donnaient la possibilité d’attendre la dernière feuille étalée », explique Dominique Couëffé, polyculteur-éleveur de volailles de Loué sur la commune de Cosmes, en Mayenne. Il exploite 77 ha, dont 69 de blé, colza, maïs grain, tournesol, dactyle semences et 8 de prairie pour le parcours des volailles.
Depuis son entrée dans le réseau Dephy en 2010, son IFT fongicide blé est passé de 1,67 à 0,62 (- 63 %). En 2022 et 2023 (années à faible pression maladie), il a dépensé 35 €/ha en fongicide pour un rendement de 85 q/ha, quand près de 40 % des parcelles de blé étaient protégées pour 60 à 83 €/ha, précise un document établi par Étienne Barbarit, son conseiller à la chambre d’agriculture.
Ces résultats, c’est du côté de la génétique que Dominique Couëffé va le chercher. « Mon choix variétal découle fortement du document édité par Arvalis et des conseils de la chambre d’agriculture, explique-t-il. Je m’appuie sur leurs recommandations pour l’année passée et celle qui débute. Mon choix s’oriente vers les blés préconisés pour les régions Bretagne, Pays de la Loire et Centre-Ouest. Je suis attentif au classement qualitatif des variétés en évitant celles un peu tardives. On regarde la résistance à la verse et aux maladies prédominantes dans notre secteur. Ne faisant pas de régulateur, je choisis des variétés ayant une bonne résistance à la verse, dont la note est située entre 6,5 et 7. Question maladies, je privilégie la résistance à la rouille jaune. Avec une note entre 7,5 et 8, on peut faire l’impasse sur le T1. Et on regarde la résistance à la septoriose avec des variétés qui sont entre 7 et 8. Du coup, si la pluviométrie n’est pas excessive et les conditions de l’année restent correctes, attendre la dernière feuille étalée pour faire une protection fongicide est possible. Le choix fait, je pars sur une dose unique, voire une demi-dose de produit plus costaud. Pour tenir l’objectif, j’utilise un OAD – Optiprotect. En fonction des variétés, du lieu d’implantation et des précédents culturaux, il indique si le seuil limite de traitement approche, si l’on peut encore attendre, s’il faut être prudent, s’il faut aller voir ses parcelles pour savoir s’il y a des soucis ou pas. Après, on évolue tous les ans. Ce n’est jamais définitif, car pour certaines variétés, les résistances s’affaissent relativement vite. Et une variété plutôt pas mal au niveau de la classification peut ne pas tenir dans le contexte pédoclimatique. Parfois, une variété ne tient qu’une année. » Ces choix variétaux se fondent donc sur la base des données communiquées par Arvalis et la chambre d’agriculture. Cependant, Dominique Couëffé et son voisin se fient aussi à la façon dont les plantes se comportent durant leurs propres essais.
Des produits alternatifs à l’essai
Éric Jallet est impliqué dans un groupe Dephy-Écophyto et voilà quatre ans qu’il met un demi-hectare à disposition de la chambre d’agriculture de la Creuse pour implanter des essais de produits susceptibles de favoriser une réduction des fongicides. « L’idée, c’est de les diminuer et de mettre quelque chose d’un peu plus sain, d’un peu moins chimique. Personnellement, je suis à la recherche de ces trucs-là, comme beaucoup. Même si on en parle peu, je pense que la majeure partie des gens, dans les fermes, voudrait diminuer ce poste parce qu’on est malgré tout les premiers à être dans les champs et à être exposé à ces produits », souligne-t-il.
Installé à Saint-Maurice-la-Souterraine (Creuse), il exploite 280 ha en polyculture-élevage. Une vingtaine d’entre eux est réservée au colza, l’ensilage de maïs en occupe une trentaine et 5 à 6 ha de maïs grain sont destinés principalement à l’atelier volaille de la ferme. Côté céréales (blé, orge, triticale), c’est entre 60 et 70 ha chaque année. 150 t sont destinées à la consommation animale et 200 à 300 t sont vendues.
Sur un champ d’une dizaine d’hectares, un demi-hectare est divisé en 12 micro-parcelles pour les tests qui portent sur l’orge ou le triticale, selon l’année. « Je me contente de traiter ma partie », remarque Éric Jallet. Pour la campagne 2024-2025, les essais portaient sur de l’orge d’hiver conduit de façon classique : parcelle semée vers le 15 octobre (y compris sur les 50 ares dédiés aux tests), désherbage début novembre, premier apport d’azote (ammonitrate ou ammonitrate soufré) première quinzaine de février (dès que la somme de températures est atteinte), suivi de deux autres début mars et début avril. À la sortie d’hiver, les techniciens de la chambre d’agriculture délimitent 12 micro-parcelles, sur lesquelles ils appliquent des fongicides, des biostimulants et des produits de biocontrôle. Selon les modalités, à deux stades clefs de l’orge : T1 au premier nœud (début avril cette année) et T2 à dernière feuille étalée (fin avril cette année). Chaque micro-parcelle est attribuée à un fournisseur (Agrologik, Olmix, BIO3G, Timac Agro, UPL, CTH, Bionature…) qui met à disposition un ou plusieurs produits (biostimulants à base d’algues et d’oligo-éléments essentiellement, ou biocontrôle à base de soufre) à tester dans un programme avec ou sans fongicide, incluant un ou deux passages, selon les préconisations. Benoît Thiret, de la chambre d’agriculture, précise que trois micro-parcelles ont, chaque année, le même programme fongicide (une seule demi-dose de fongicide en T2, une seule pleine dose de fongicide en T2, deux demi-doses de fongicides en T1 et en T2), pour avoir une comparaison avec des références. Il y a également, chaque année, une parcelle non traitée servant de témoin.
En fin de campagne, il fait le bilan et dresse un classement tant au niveau des rendements (paille et grain) que des charges (intrants, mécanisation, main-d’œuvre) et des produits bruts par hectare pour déterminer les marges brutes correspondant à chaque modalité. Ses tableaux révèlent qu’au niveau de la marge brute, pour des campagnes culturales avec une pression maladies modérée et pour les conditions pédoclimatiques de l’exploitation, la micro-parcelle non traitée n’est pas forcément la moins bien classée, et qu’un positionnement du biostimulant/biocontrôle en T1 améliore la résistance des plantes, permettant ensuite de réduire les doses. Sur le reste de sa parcelle, et sur l’ensemble de ses céréales, l’agriculteur n’applique en général qu’une seule dose réduite de fongicide à dernière feuille étalée.
Rusticité, mélange et rotation pour zéro fongicide
« Je ne suis pas capable de citer un nom de fongicide », remarque de son côté Vincent Louradour. Et pour cause, depuis plus de dix ans, il n’en utilise plus. Installé à Laroche-près-Feyt (Corrèze) en Gaec avec sa femme sur 180 ha de SAU en polyculture/élevage bovins-lait, avec deux salariés à temps partiel (cinq jours/mois et trois jours/semaine), il cultive 13 ha de maïs, 13 ha de triticale-seigle et 13 ha de méteil, en rotation. Celle-ci commence avec du maïs ensilage suivi d’un mélange de triticale-seigle, puis vient la prairie sous couvert de méteil (avoine, pois et vesce), sur dix ans quand ça marche bien, avant de revenir sur le maïs et les céréales l’année suivante. Le méteil est semé avec un labour, juste après la récolte des céréales. De son côté, le maïs constitue un excellent précédent aux céréales, qui bénéficient ainsi des restitutions de la prairie en place avant lui. Le pelon de l’ancienne prairie est bien dégradé et ne nuit pas à la réussite de l’implantation des céréales.
« Sur le secteur, on utilise beaucoup le triticale, avec parfois des pertes. Pour y remédier, il faut passer un fongicide au stade dernière feuille enroulée, juste avant l’épiaison », remarque Jean-Robert Loge, animateur « Agronomie et productions végétales » à la chambre d’agriculture de Corrèze. Il estime à 1 000 € le coût de production d’un hectare de triticale, mais précise que les choix de Vincent Louradour lui font économiser, 100 €/ha sur le labour, 90 €/ha sur le désherbage, autant sur le fongicide et 60 € sur la fertilisation azotée. Pour son mélange triticale-seigle, c’est moitié/moitié en densité [NDLR : le triticale est un peu plus lourd]. « Le seigle étant plus rustique, c’est un moyen de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », explique le conseiller agricole.
La production est transformée sur place en aliment (un mélange aplati contenant 51 % de céréales en hiver et 60 % en été). Vincent Louradour table sur 80 t de céréales (1 t par vache), le mélange profite aussi aux génisses qui peuvent ainsi vêler dès 2 ans. « J’essaye d’être autonome en aliment », remarque-t-il en précisant que le système robotisé sur traite – mis en place il y a trois ans – ne lui facilite pas la tâche. L’an dernier, il a moissonné 40 q malgré un automne et un hiver particulièrement humide. Cette année, il en a récolté 52. « C’est très bien pour la région », commente Jean-Robert Loge en précisant qu’il est sur des terres acides sablo-humifères à faible potentiel contenant moins de 10 % d’argile et nécessitant d’être amendées tous les trois ans. Pour des raisons de coût et d’efficacité, le choix se porte sur la marne qui, sur de telles terres, libère son calcium sur deux ans, contre trois mois pour la chaux. Et le technicien de préciser que dans les mêmes conditions, mais avec traitement, certains, en triticale, n’ont récolté que 20 à 30 q en 2024. En 2025, en Corrèze, les meilleures terres ont produit jusqu’à 80 q.
Dans la pratique, Vincent Louradour consacre un hectare à la production de triticale pure, pour sa semence de ferme, qu’il mélange à une variété hybride de seigle. Il change chaque année de variété de triticale en fonction des préconisations de la chambre d’agriculture et des résultats d’essais. Le Ruténac avait été choisi l’an dernier. Autre atout du mélange : le seigle est particulièrement généreux en paille. 2 t de plus pour le paillage de la stabulation. Cette année, il est monté à plus d’1,80 m. Par chance, un gros coup de vent a causé plus de peur que de mal. Le seigle, qui met le matériel à l’épreuve, n’a pas bonne réputation auprès des entrepreneurs…
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