Michel Martin, Arvalis : Une vie dédiée au tubercule
[Contenu proposé par La Pomme de terre française] Au démarrage de sa carrière, Bintje et Kaptah Vandel stockées en vrac dominaient la culture de la pomme de terre. Au fil de ses presque quarante années passées au service de la filière, Michel Martin a accompagné, voire initié, nombre de changements.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Sa curiosité intellectuelle pour l’agronomie, mais aussi le machinisme, et l’impact de ses deux disciplines sur la culture des pommes de terre ont conduit Michel Martin, responsable du pôle stockage et valorisation de la pomme de terre d’Arvalis, à collaborer avec la plupart des services de l’institut au cours de sa carrière. Sa mémoire infaillible et sa capacité de travail ont fait de lui un personnage incontournable de la filière, souvent questionné et mobilisé sur des sujets variés, de la plantation au stockage et conditionnement, en passant par le défanage et l’arrachage. Prenons quelques exemples de l’implication de cet homme qui s’apprête à partir à la retraite.
À l’origine de PotatoEurope…
Dès 1992, Michel Martin, alors ingénieur régional Nord pour l’ITPT, l’Institut technique de la pomme de terre, participe à l’organisation des premières démonstrations d’arrachage et de stockage de pomme de terre sur le site tout juste opérationnel de Villers-Saint-Christophe (Aisne). En 1996, sur ce même site et sous son impulsion, sont lancées les premières Journées internationales techniques et commerciales de la pomme de terre. Villers devient alors un pôle reconnu de ce monde du tubercule. Cet événement sera reconduit en 1998, 2001 et 2004.
« Après nous et les Néerlandais, les Belges ont aussi lancé ce type de manifestation en 1997. Les Allemands ont commencé à y réfléchir en 2003, se remémore-t-il. L’idée a alors germé de formaliser une manifestation européenne, avec un cycle défini et une dénomination commune. La décision a été prise en novembre 2004, en marge du salon allemand du machinisme, Agritechnica où j’étais accompagné d’Aymard de Montigny, alors responsable qualité du CNIPT. Le premier PotatoEurope s’est ainsi déroulé en Allemagne en 2006, et en 2008 pour la France. En parallèle, la filière a émis l’idée d’intercaler entre les PotatoEurope français un rendez-vous technique à Villers. Le premier s’est tenu en 2006. »
… du stockage palox…
Dans les années 80, Bintje et Kaptah Vandel sont les principales variétés cultivées en France. Les années 90 sont marquées par la diversification avec l’arrivée de variétés spécifiques pour le frais, l’industrie, la fécule. La conservation de chacune devient là aussi plus segmentée. Le stockage en vrac, très usuel, évolue progressivement vers un stockage en caisses pour le secteur frais. « À mon arrivée à l’ITPT en 1986, l’institut avait validé des "normes" pour du stockage en vrac mais des références pour du stockage en caisses autre que de type « boîte aux lettres » manquaient. J’ai ainsi été conduit, après le rapprochement avec l’ITCF, l’Institut technique des céréales et des fourrages, à expérimenter les bâtiments caisses de type "brassage d’espace" pour établir ces nouvelles préconisations techniques nécessaires à l’obtention de subventions lors de la construction de nouveaux bâtiments. Elles étaient indispensables pour garantir une qualité de conservation homogène avec une maîtrise des pertes de poids, de la germination et de la qualité de présentation. En parallèle, j’ai travaillé sur la prise en compte de l’hygrométrie dans les paramètres de régulation de la ventilation et non uniquement du "delta T", le différentiel de températures, puisque dans les zones continentales où l’hygrométrie est faible, la déshydratation restait forte du fait de fréquents déficits de pression de vapeur élevés. »
Dès la fin des années 90, à la suite de ses expérimentations in situ et en laboratoire, l’obligation d’une régulation de l’hygrométrie a été introduite dans les dossiers de demandes d’aides. En 1996, lors des premières Journées internationales techniques et commerciales de Villers, où la totalité de la récolte des chantiers d’arrachage a été réceptionnée pour la première fois en palox, Michel Martin, lors d’une conférence de presse, explique les avantages du stockage en caisses, qui ne représentait alors qu’à peine 5 % des volumes stockés pour le secteur du frais.
… des alternatives au CIPC…
Les années 80 et 90 sont aussi marquées par le poudrage des tubercules à l’antigerminatif CIPC. Après une contribution au développement des applications fractionnées sécurisées par thermonébulisation pour une meilleure maîtrise des résidus de CIPC, il teste, au début des années 2000, des molécules alternatives, notamment le 1,4-diméthylnaphtalène (1,4-DMN) et l’huile de menthe, puis l’éthylène. « Fin 2010, l’huile de menthe, via le produit Biox-M, devient le premier produit substituable au CIPC autorisé en France, suivi fin 2011 par l’éthylène. Le 1,4-DMN et son produit Dormir auront dû attendre septembre 2017. »
Sitôt connu l’arrêt probable du CIPC, finalement interdit en 2020, Michel Martin rédige fin 2018 un questionnaire de collecte de données de résidus de CIPC dans des bâtiments français ne recevant déjà plus ce produit depuis plusieurs années. « Une démarche à l’échelle européenne a ensuite été enclenchée pour faire valider une limite maximale de résidus temporaire (LMRt) et en fixer un niveau acceptable, d’un point de vue toxicologique tout en satisfaisant la faisabilité. 0,40 mg/kg a tout d’abord été retenu avec l’obligation d’un monitoring annuel. Son abaissement en cours, pour aller vers 0, aura laissé un laps de temps profitable aux producteurs pour décontaminer correctement leurs bâtiments. »
Il étudie évidemment aussi la conservation par le froid. Il suit de près la réglementation pointue sur la F-Gaz (directive européenne gérant l’utilisation des fluides frigorigènes). « La troisième version, entrée en vigueur le 11 mars 2024, renforce les règles relatives à l’utilisation des gaz à effet de serre fluorés. Elle tend aussi à encadrer l’utilisation des hydrofluoro-oléfines (HFO) et accélérer l’utilisation des fluides naturels (CO2…). »
… et des bonnes pratiques !
Avec un panel variétal qui s’étoffe apparaît aussi une plus grande sensibilité aux chocs et endommagements de certaines variétés. Dans les années 1990, il apporte un appui technique aux Concours du meilleur récolteur de pomme de terre, lancés par le CNIPT et la FNPTC (ex-UNPT) pour sensibiliser les producteurs et mettre en avant les bonnes pratiques de récolte. « Au fil des années, les matériels innovants ont été promus, notamment lors de démonstrations d’arrachage et de PotatoEurope. Nous avions aussi conçu un diagnostic des centres de conditionnement fondé sur l’emploi d’un tubercule électronique paramétré. »
Son travail d’adaptation des techniques a aussi porté sur les équipements de dépollution des eaux de lavage des centres de conditionnement, sur la décontamination de lots touchés par le nématode à kyste Globodera sp., sur le déterrage en bout de champ des silos féculiers en lien avec l’UNPT ou encore sur le défanage alternatif. « D’ailleurs, mon second article rédigé pour La Pomme de terre française, paru en 1988, portait déjà sur l’arrachage mécanique des fanes. »
Devenu spécialiste agroéquipement et stockage en 1995 à la suite de la fusion de l’ITPT avec l’ITCF, Michel Martin travaille aussi sur les techniques de plantation de variétés réputées « à risque » pour la levée. En buttes ou en billons ? À 75 cm ou 90 cm ? En buttage définitif ou non ? Avec quel type de préparation de sol ? En non-labour ou pas ? Avec fertilisation localisée ? Pour quel tassement à la récolte ? Tout est scruté. « En ce qui concerne les buttes, les expérimentations nous ont portés à étudier les températures de sol. Certes, à 90 cm, les buttes se réchauffent moins vite, mais à 75 cm elles se refroidissent plus vite la nuit… La température moyenne avant la levée au cœur des buttes à 90 cm est en fait un peu plus élevée que dans celles à 75 cm. La levée est non affectée à 90 cm avec des plants bien gérés… » CQFD.
À la limite entre l’agronomie et le machinisme, Michel Martin navigue aisément entre les deux. « L’ensemble des actions menées en R&D et communication ont permis une adaptation des techniques de production et de conservation des pommes de terre pour maintenir une filière française dynamique. »
Et demain ?
En 1998, déjà dans La Pomme de terre française, Michel Martin rédigeait un article de prospective sur les techniques qu’il imaginait à l’horizon 2010 pour la culture des pommes de terre et les centres de conditionnement (photo). En 2012, nous en avions réalisé un constat, et sans surprise, ce qu’il avait envisagé s’est produit en grande partie. Alors aujourd’hui, quelle vision a-t-il de demain ?
Côté désherbage, il imagine le développement de la reconnaissance automatisée des adventices pour des interventions très ciblées, pourquoi pas en lien avec des robots autonomes via des panneaux solaires et des lasers désherbeurs. « À condition que les plantes soient sèches, ces machines propres pourraient intervenir pratiquement en toutes situations. »
En défanage, la gestion de l’azote reste selon lui primordiale afin d’avoir la capacité d’intervenir mécaniquement sur des plantes suffisamment mûres. Le défanage électrique, il n’en voit le développement possible que si la machine modulable peut être utilisée sur d’autres cultures.
En plant, l’arrachage mécanique des fanes sera pour lui sans aucun doute étendu à davantage de surface pour préserver la qualité sanitaire des tubercules en l’absence de produits phytos.
Enfin, le développement de l’intelligence artificielle (IA) devrait beaucoup apporter au tri qualitatif des tubercules et à la gestion des lots stockés. Le point dans dix ans !
Pour accéder à l'ensembles nos offres :