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José Godineau, céréalier (49) : « Oui, la pulvérisation ultra-localisée, ça marche »

Onze caméras multispectrales, le long de la rampe, scrutent la parcelle pour identifier les adventices à traiter. « Cela permet une économie de produit d’environ 70% en moyenne » évalue José Godineau.

A Saint-Macaire-du-Bois (Maine-et-Loire), José Godineau a été le tout premier céréalier en Europe à tester la pulvérisation ciblée. Il ne tarit pas d’éloges sur ses atouts.

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N’allez pas croire que José Godineau est un féru de matos. « Tenir le volant d’une machine, cela ne m’intéresse pas, cela n’a aucun intérêt ». Vous ne le verrez pas jouer à Farm simulator, il a mieux à faire. « La technique ce n’est intéressant que si l’on part de l’agronomie », professe le céréalier de Saint-Macaire-du-Bois (Maine-et-Loire).

Avec son frère Tony, il est à la tête d’une ferme de 570 hectares, l’EARL du Brignon, mais aussi d’une structure de négoce et d’une entreprise de travaux agricoles. Ce qui l’anime depuis 34 ans qu’il est installé, c’est trouver des solutions pour répondre à des problématiques afin d’améliorer ses pratiques.

Dès le début des années 90, il a installé le télégonflage sur son tracteur et son épandeur à compost pour réduire le tassement des sols. À l’époque, il s’était inspiré du système des véhicules du Paris-Dakar. Il l’avait bricolé lui-même, avec un compresseur de frigo dans le tracteur. « Aujourd’hui, aucune machine n’entre dans mes parcelles à plus d’un bar de pression », fait valoir l’agriculteur de 56 ans.

En 1992, il a fabriqué une trémie frontale pour mettre la réserve de grains à l’avant et faire contrepoids. « Kuhn est venu me voir 5 ou 6 ans après, ils ont ensuite fabriqué leur TF 702 ». Voilà trente ans qu’il travaille avec les stations de recherche et les bureaux d’études des constructeurs. « Au fil du temps j’ai constitué un réseau, et quand j’ai une idée ou un besoin, je peux trouver des réponses pour avancer ».

Les buses PWM, premier étage de la fusée

C’est ainsi qu’il a été le premier à tester les nouvelles technologies de pulvérisation avec la firme Berthoud, d’abord les buses PWM en 2017 (modulation de dose), puis le « spot spraying » (pulvérisation localisée) deux ans plus tard.

Le PWM, ou Pulse width modulation, permet de moduler la quantité de produit pulvérisé sans changer la pression de pulvérisation. Cela consiste à contrôler l’ouverture et la fermeture des buses à une fréquence extrêmement élevée, dix à trente fois par seconde. En ajustant la durée d’ouverture et de fermeture, le débit est ainsi maîtrisé, ce qui permet une application uniforme du désherbant, quelle que soit la vitesse d’avancement du pulvé. Pas besoin de rester à vitesse constante, le pulvé s’adapte et la couverture est uniforme.

« Entre 10 et 18 km/h, la pression et le débit ne bougent pas, la buse PWM compense la variation de débit pour respecter le litrage par hectare et la pression. Si je réduis ma vitesse, au lieu de diminuer la pression le PWM baisse le débit » détaille José Godineau. « Pour moi l’avantage principal du PWM, c’était de choisir ma pression de service c’est-à-dire la taille de gouttelette indépendamment de ma vitesse d’avancement qui varie entre 10 et 18 km/h », explicite l’agriculteur, qui se dit « hyper exigeant sur la taille des gouttelettes ».

Résultat de ces buses à pulsations sur les parcelles de l’EARL du Brignon : « Une qualité de pulvérisation sécurisée et un débit de chantier plus élevé ».

70 % d’économie de produit

Le PWM était le prérequis pour évoluer vers la pulvérisation localisée, le « spot spraying ». À partir de 2019, José Godineau teste le prototype de ce système développé conjointement par Berthoud et la start-up Carbon bee. Onze caméras (RGB, infrarouge et hyperspectral) sont installées sur son automoteur, une à l’avant de la machine et dix le long de la rampe de trente mètres. Leur travail, c’est de scanner la végétation.

Une intelligence artificielle identifie les adventices, analyse leur taille pour n’appliquer du désherbant que sur les mauvaises herbes. Pour que cela fonctionne, il faut une rampe stable à 50 cm de hauteur, mais il faut surtout une reconnaissance des végétaux, et pour cela tout est à construire. Le vert sur marron (du végétal sur de la terre), c’est facile à identifier. Le vert sur vert, c’est plus difficile, il faut une signature spectrale bien précise. C’est à cela que s’emploie Carbon bee.

« Au début, on est parti sur le liseron et le chardon, on avait par exemple un programme spécifique liseron dans le maïs », se souvient l’agriculteur. A chaque passage, il envoie ses données à Carbon bee. Les données s’accumulent, ce qui permet au modèle de s’améliorer, cela s’appelle du deep learning. Chemin faisant, la start-up drômoise développe un programme désherbage maïs où le pulvé cible tout ce qui n’est pas du maïs. Aujourd’hui, il y a une quinzaine de modèles différents, José Godineau en utilise douze : tournesol, soja, blé etc.

Les gains peuvent être considérables, de 25 % à 80 % d’économie de produits phytos, « c’est proportionnel à l’enherbement de la parcelle » avec une moyenne autour de 60 à 70 %. La sensibilité du modèle peut être réglée selon la quantité de produit que l’on souhaite appliquer. « Si je ne veux pas prendre de risque, je mets la sensibilité maximale ». Pour le désherbage au glyphosate des chaumes de blé, l’économie est de 80 %.

Aujourd’hui, le modèle fonctionne et est beaucoup plus réactif qu’au départ, « les caméras de dernière génération ont franchi un palier », remarque José Godineau, elles seraient fiables y compris en pleine vitesse, jusqu’à 40 km/h. Le pulvé de toute façon n’avance pas aussi vite.

Comment remplir sa cuve ?

Mais comment remplir la cuve de son pulvé quand on ne sait pas de combien de produit on aura besoin ? Le céréalier saumurois a la chance d’avoir 1 500 hectares d’assolement, car il traite aussi les parcelles de ses voisins. « A la fin, s’il me reste vingt hectares à faire, je regarde le gain moyen sur les précédents pleins et j’emporte avec moi un peu de produit au cas où j’en manquerais, et à l’inverse si j’en ai trop, je traite le dernier hectare en plein ».

Pour les exploitations de moindre taille, c’est sans doute plus difficile, il faudra apprendre à réadapter la quantité de bouillie à préparer en fonction du taux de surface à traiter réellement. José Godineau suggère de remettre au goût du jour le Dosatron, ce système qui permet d’ajouter automatiquement du produit directement dans l’eau de pulvérisation.

Reste toutefois une question épineuse, celle du retour sur investissement d’un tel équipement. Sera-t-il réservé aux exploitations mastodontes ? « Un système comme celui-là commence à être rentable à partir d’un assolement de 500 à 600 hectares », évalue le céréalier. Son pulvé traite environ 1 500 hectares, son retour sur investissement se fait sur « environ quatre à six ans ».

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