Agriculteurs et apiculteurs : « nous avons intérêt à travailler ensemble »
L’usage des produits phytosanitaires a tendance à crisper les relations entre cultivateurs et producteurs de miel. En Mayenne, des acteurs veulent briser la glace en montrant que la compatibilité des deux activités peut être organisée, avec un intérêt réciproque.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Comment agriculture et apiculture peuvent-elles se rendre service mutuellement ? C’est ce que la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire a souhaité montrer lors d’une rencontre technique le 20 mai dernier sur la plateforme expérimentale de Saint-Fort en Mayenne. Dans ce département, le négociant Hautbois fait des observations intéressantes depuis plusieurs années.
« Sur notre plateforme d’essais multicultures de cinq hectares, nous avons testé plusieurs méthodes pour améliorer le rendement des colzas, indique Christophe Guillon, responsable technique et agronomique chez Hautbois. Nous avons travaillé sur les variétés, l’agronomie, la chimie. Dans la bibliographie, nous avons aussi découvert un essai de Syngenta avec un dispositif de cages pour tester l’impact des pollinisateurs sur le rendement : l’effet était positif sur la culture en présence de nombreux individus, ce qui nécessite une ruche. »
Davantage de régularité dans le rendement
Malgré ses réticences à mener une expérience avec des ruches (méfiance des apiculteurs vis-à-vis des agriculteurs, risque des produits phytosanitaires pour les abeilles), Christophe Guillon rencontre finalement le Syndicat apicole de la Mayenne. Ensemble, ils décident d’installer une ruche dans la bande fleurie mellifère implantée à proximité de l’essai colza, à sa floraison en mars. Cette bande est semée avec le mélange I-Sol Pronectar de Semences de France produisant des fleurs d’avril-mai à septembre (sainfoin, sarrasin, mélilot, trèfle violet, trèfle de Perse, trèfle incarnat, phacélie, bourrache).
« Notre essai colza atteint en général 60 q/ha contre une moyenne de 40 q/ha chez les agriculteurs que nous collectons, indique Christophe Guillon. Attention, ça ne veut pas dire que la bande mellifère et la ruche permettent de gagner 20 q/ha ! En revanche, nous avons constaté davantage de régularité dans notre rendement tandis que la moyenne des agriculteurs passait à 35 q/ha. Et quand il n’y a pas eu de ruche en 2020 en raison du Covid, notre rendement a baissé de la même façon que celui des agriculteurs, même avec notre bande mellifère. Nous pensons donc qu’installer des ruches en plus de la bande fleurie, est une bonne pratique pour optimiser le rendement potentiel du colza. Mais ce n’est pas forcément facile à mettre en œuvre. Il faut trouver un moyen de mettre en relation agriculteurs et apiculteurs volontaires. »
Parmi les clients de Hautbois, quelques-uns implantent une bande fleurie à proximité de leur colza (jusqu’à 1,50 m de large autour d’une parcelle de 5 ha par exemple). L’un d’entre eux seulement ajoute des ruches et ses observations confirment celles réalisées sur la plateforme, à savoir une meilleure régularité de rendement.
« Assez facile de réduire fongicides et insecticides sur blé »
Bien que le négoce Hautbois applique sur sa plateforme un itinéraire classique en matière de produits phytosanitaires, le Syndicat apicole récupère sa ruche en bonne santé. Cela grâce notamment aux pollens de la bande mellifère, source de protéines et acides gras essentiels, véritable pharmacie pour les abeilles (tandis que le nectar, source de glucides, est transformé en miel). « Nous n’avons jamais perdu de ruche en les installant dans des parcelles agricoles, déclare Antoine Bouillet, co-président du Syndicat apicole de la Mayenne. Les pratiques agricoles ont évolué et je crois que nous avons intérêt à travailler ensemble. »
Au Pas, en Mayenne, Éric De Beaudrap est lui aussi convaincu de cette compatibilité, à condition toutefois de réduire l’usage des produits phytosanitaires. L’agriculteur a intégré un groupe Dephy en 2011 et gère une vingtaine de ruches depuis huit ans : elles sont fixes sur sa ferme, à proximité de prairies, haies et cultures. « Je produis du lait et des taurillons, et je cultive 40 ha de blé, 50 ha de maïs fourrager, 10 ha de triticale et 50 ha de prairies, présente-t-il. J’ai commencé par réduire les fongicides et supprimer les insecticides sur blé. En choisissant des variétés résistantes aux maladies et en retardant le semis, on y arrive assez facilement. Je veux observer par moi-même et me faire ma propre opinion de la coexistence entre ruches et cultures traitées. Mes abeilles butinent entre autres le colza traité des voisins. » En 2019, l’agriculteur a déboursé 730 euros pour réaliser une analyse multi-résidus de 600 produits phytosanitaires sur un échantillon de son miel : il n’y a trouvé aucune trace de produit phytosanitaire.
« Je vise le désherbage du maïs dans la rotation, si possible en mécanique »
Éric De Beaudrap est passé d’un IFT total de 3,66 en 2010-12 (dont 1,89 en herbicides) à 1,96 en 2023-24 (1,43 en herbicides). « La baisse est de 46 % depuis son entrée dans le réseau Dephy, commente Étienne Barbarit, animateur du groupe. Elle a été plus rapide sur la partie hors herbicide. »
« Concernant les herbicides, j’ai progressivement arrêté le glyphosate, indique l’agriculteur. Après blé, je déchaume en interculture pour pratiquer du faux-semis avant l’implantation du couvert d’hiver. Je fais aussi du faux-semis après maïs et avant blé. Pour éviter d’avoir à gérer des repousses de ray-grass, j’utilise désormais un mélange de seigle, trèfle et vesce en interculture. J’ai investi dans une herse étrille pour désherber le maïs. Il est semé à 4-5 cm de profondeur pour faire un passage un peu agressif à la herse étrille quatre jours après semis ; je recommence trois jours après de façon moins agressive. En 2025, j’ai ajouté la bineuse pour le rattrapage. Je ne dis pas que je vais passer à 100 % de désherbage mécanique ; il faut des conditions sèches et en 2024, je n’ai pas pu utiliser la herse étrille. J’applique encore un traitement léger à trois feuilles. Mon objectif est d’employer les pesticides en dernier recours, en visant le désherbage du maïs dans la rotation, si possible en mécanique. »
Offrir de la nourriture toute l’année aux auxiliaires
Outre la réduction des traitements et l’implantation de bandes fleuries, l’aménagement des bords de parcelles, en particulier le maintien ou l’installation de haies, est un puissant levier pour favoriser les insectes pollinisateurs et la biodiversité en général. L’idéal est de disposer d’essences variées pour une succession florale offrant de la nourriture toute l’année aux auxiliaires : du noisetier en hiver jusqu’au lierre à l’automne. Certaines essences particulièrement mellifères peuvent être ciblées : sureau noir, châtaignier, lierre, etc.
« Il existe des programmes d’aide à la plantation, souligne Nathan Blanchard, conseiller spécialisé en bocage et agroforesterie à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. Sachant qu’il faudra ensuite gérer ces haies, afin notamment de les régénérer pour maintenir une diversité d’espèces et de strates : des grands arbres mais aussi de petits arbustes. Une grosse récolte de bois est à prévoir tous les quinze à vingt ans. »
Pour accéder à l'ensembles nos offres :