Chronique juridique « L’apport de trésorerie remboursable, un monstre non maîtrisé »
[Chronique de Christophe Charles, avocat] En apparence simple, le dispositif d’apport de trésorerie remboursable risque d'ouvrir un lourd contentieux entre les banques et l’Etat. Principale victime : les agriculteurs. Ce dispositif pourrait accélérer les liquidations judiciaires des exploitations agricoles engagées dans une procédure collective.
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« En 2015, les éleveurs ont été contraints de subir à la fois une grave crise économique et la réforme profonde du régime de la Pac. Celle-ci a différé la date de paiement des primes Pac 2015 en mai 2016.
Le plan d’aide aux éleveurs défini par le gouvernement en juillet et septembre 2015 a intégré l’avance de trésorerie remboursable sous l’acronyme « ATR ». Cette ATR suscite des difficultés majeures pour les banquiers et les éleveurs : dès le mois de janvier 2015 de très nombreux producteurs, notamment éleveurs de vaches allaitantes, ont été contraints, faute de trésorerie suffisante de signer des « cessions Dailly » (lire encadré) concernant les primes Pac à venir.
Nous n’évoquerons pas le problème des montants consentis par les éleveurs puisque nous avons relevé très souvent des cessions Dailly dépassant largement l’EBE de l’entreprise agricole.
En tout état de cause, cette cession Dailly a fait sortir obligatoirement et définitivement les primes Pac du patrimoine de l’exploitation agricole. Les primes Pac appartiennent incontestablement aux banques. C’est le principe même de la cession de créance.
Au mois de juillet 2015, lors des réunions d’informations organisées par les Préfets en présence des OPA, les banquiers spécialisés ont eu le choc de leur vie en apprenant la mise en place des ATR. En effet, il va y avoir des frictions entre le droit du banquier bénéficiaire de la cession Dailly et l’administration qui va obtenir par voie préférentielle le remboursement des ATR auprès de l’agence de services et de paiements en 2016.
La question qui se pose aujourd’hui est l’exercice « du droit de revendication sur les primes Pac 2015 versées en 2016 ». L’ATR n’est pas la prime Pac. Dans ces conditions, les banques ne pouvaient pas réclamer à l’éleveur au mois d’octobre 2015 l’attribution de l’ATR au titre de la cession Dailly. En d’autres termes, il est juridiquement impossible aux établissements de crédit de capter le montant des ATR qui a été versé une première fois au mois d’octobre 2015.
Il n’en demeure pas moins qu’au mois de mai 2016, l’Etat va se faire rembourser prioritairement les ATR en s’appropriant les primes PAC. Le mécanisme de la cession Dailly va être contrarié par l’action de l’Etat. Un contentieux lourd va naître entre les banques et l’Etat.
L’éleveur est la victime principale de ce mécanisme
Dans la pratique, il en va tout autrement. De très nombreux établissements de crédit ne se sont absolument pas gênés en faisant fi de la nature juridique particulière de l’ATR pour s’approprier immédiatement et sans aucune condition l’intégralité du montant des ATR versé sur les comptes des éleveurs. Cette spoliation volontaire des banques est assumée intégralement. Elle se fonde sur l’application des articles L 313-23 et suivants du Code monétaire et financier. Les établissements de crédit attendent de pied ferme l’action contentieuse qui pourrait être initiée par l’éleveur. La procédure – si et seulement s’il y a procédure – va durer plus de dix-huit mois, à moins que ne soit engagé un référé devant le président du tribunal de grande instance avec demande de restitution des ATR sous astreinte.
Dans cette situation, l’éleveur est la victime principale. Il ne va pas toucher en définitive une aide réelle pour préserver sa trésorerie. Il s’agit d’une aide totalement fictive.
Autre situation plus délicate qui n’a jamais été appréhendée par les professionnels et le ministère de l’agriculture : l’éleveur, qui se trouve en procédure collective, ne peut pas demander l’allocation des ATR.
En revanche, l’éleveur qui a déposé un dossier de demande d’ATR au mois d’août 2015 et qui se trouve en redressement judiciaire à partir du mois de septembre 2015 de par un dépôt de la déclaration de cessation de paiement au Greffe du tribunal de grande instance en septembre 2015 voire au mois d’octobre 2015, est en mesure de bénéficier du régime des ATR. Néanmoins, il ne peut bénéficier que du premier versement c’est-à-dire celui d’octobre 2015 et non celui du mois de décembre 2015.
Des liquidations judiciaires accélérées
Une difficulté complémentaire intervient lorsque le jugement d’ouverture de la procédure collective est antérieur au versement de la première ATR soit au mois d’octobre 2015. En effet, si l’éleveur a déposé au mois de septembre 2015 voire au mois d’octobre 2015 une déclaration de cessation de paiement, le jugement d’ouverture va automatiquement créer une nouvelle dette de la période d’observation.
En d’autres termes, avant même que l’éleveur entame sa période d’observation le montant du premier versement ATR qui ne peut être inférieur à 53.000 euros par exemple est une dette que doit impérativement régler l’éleveur dans le cadre de la période d’observation soit au mois de mai 2016. Il doit disposer d’ores et déjà de la trésorerie.
Si le versement de l’ATR est capté indûment par la banque, l’éleveur en RJ a seulement la dette et ne peut pas rembourser l’Etat puisque l’appropriation des ATR est opérée par la banque. Au mois de mai 2016, l’Etat se fait régler prioritairement par l’APS le montant des ATR versé au mois d’octobre 2015.
L’idéal pour l’éleveur aurait été de bénéficier d’une date d’ouverture de la procédure collective juste après le versement de l’ATR. Les praticiens ont dû gérer au micromètre les dépôts de déclaration de cessation de paiement et jouer avec les dates d’audience des chambres de RJ agricoles des Tribunaux de grande instance.
Il en résulte que pour un certain nombre d’élevages qui sont engagés dans une procédure collective, l’attribution des ATR avec une cession Dailly intervenue au mois de janvier 2015 ou à toute autre date postérieure va accélérer les liquidations judiciaires.
Les praticiens du droit n’ont malheureusement pas été consultés. Cela aurait sans doute permis d’éviter de mettre en place des montages juridiques qui sont en contradiction flagrante avec la technique de mobilisation des créances régie par les articles L 313-23 et suivants du Code monétaire et financier. »
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