Accord de libre-échange UE/Usa Quels risques le futur traité bilatéral fait-il courir à notre agriculture ?
Une cinquième ronde de négociations entre l’UE et les Etats-Unis se déroule jusqu’au 23 mai en vue de conclure un accord commercial de libre-échange. Quels sont les enjeux agricoles ? Quel est l’ampleur de la menace pour l’élevage français ? Y-a-t-il au contraire des opportunités ? Eléments de réponse.
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(©Parlement européen)
Tafta, Ttip, Ptic, Zlet(1)… le nombre de sigles pour désigner, en français ou en anglais, l’accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis est à la mesure des inquiétudes qu'il suscite notamment dans le monde agricole.
Jusqu’au vendredi 23 mai, les représentants de l’UE emmenés par le commissaire au Commerce, Karel De Gucht, discutent de cet accord pour la cinquième fois avec leurs homologues américains, moins enclins de le conclure depuis que les sénateurs ont refusé à Barack Obama sa demande de procédure accélérée.
Outre la levée de boucliers de toutes parts engendrée par l'opacité des négociations, ces dernières inquiètent particulièrement la filière bovine française.
Le projet d’accord vise à supprimer totalement ou quasi-totalement les droits de douane entre les deux entités économiques, notamment pour les productions agricoles. Deux domaines de négociations sont surveillés avec attention.
D’abord le niveau de contingent d’importation de viande américaine. Selon Interbev, l’UE pourrait accepter l’importation de 300.000 à 600.000 t. Ce contingent s'ajouterait aux 65.000 t d'importation négociées avec le Canada. Jusqu'à présent, l'UE importe de ce pays moins de 1.000 t à cause de barrières tarifaires et non-tarifaires plus élevées. Comme si le Canada ne suffisait pas, « il y a de quoi être vraiment inquiet avec les Etats-Unis », s'insurge Jean-Pierre Fleury, président de la Fnb.
Ceci, dans la conjoncture mondiale actuelle où la consommation augmente sensiblement dans les pays émergents, le niveau de contingent ne signifie pas que le marché européen sera abondé par les produits américains.
Une concurrence directe sur les morceaux nobles
Au regard d’une consommation annuelle européenne estimée à 7,8 Mt, le contingent d’importation, même à son niveau le plus élevé, aurait un impact à première vue limité. « Mais les Américains exporteront principalement les morceaux nobles, donc directement concurrents de nos produits, et conserveront pour leur consommation nationale les bas-morceaux utilisés pour le minerai de viande. »
A ce jour, les craintes sont d’autant plus légitimes que les écarts de coût de production de part et d’autre de l’Atlantique rendent les éleveurs vulnérables. « Le prix au kilo de la carcasse américaine est inférieur d’environ 12 % à celui des gros bovins européens, calcule Thierry Pouch, chef du service des études économiques à l’Apca. Le différentiel de coût de production est encore plus important en France, de l’ordre de 30 % ! »
Dans la situation actuelle, la filière bovine française sera par ailleurs d’autant plus perdante que la parité monétaire restera favorable au dollar. Or, comme le souligne l’économiste, à aucun moment la question de la parité euro-dollar n’a été évoquée, biaisant ainsi d’emblée les négociations.
« Avec l’entrée de plusieurs centaines de milliers de tonnes de viande d’outre-Atlantique, le prix payé à l’éleveur français pourrait baisser de 10 à 20 % », calcule un spécialiste d’Interbev.
Des modèles sanitaires radicalement opposés
Rien n'est cependant acquis, tant qu'un accord sur la levée d'une partie des barrières non tarifaires n'est pas conclu. « Les Américains utilisent des hormones, des antibiotiques comme activateurs de croissance et des farines animales. Les règles de bien-être animal sont sans commune mesure avec les nôtres ! Comment pourrions-nous accepter des tonnes de viande sans le respect de nos standards sanitaires ? », questionne Dominique Langlois, président d’interbev. « Que va concéder l’UE face à l’appétit des Américains alors que 74 % des consommateurs se prononcent contre l’introduction de viandes américaines ? »
Et la France n’est pas la seule à dénoncer la perspective de concessions européennes trop importantes. « Nous avons adressé à Bruxelles une motion commune avec nos homologues irlandais et italiens. D’autres pays, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne sont sur la même longueur d’onde ». Et la contestation dépasse largement le secteur agricole !
Des opportunités à l’export pour le lait français
En fait, l’UE pourrait être tentée de faire des concessions sur la filière bovine en contrepartie d’une plus grande ouverture du marché laitier américain. Car « les normes sanitaires sont bien plus exigeantes aux Etats-Unis », explique Gérard Calbrix, économiste à l’Association de transformation laitière. Sont directement visés par ces normes les fromages au lait cru.
Ils sont le dixième client de l’UE en produits laitiers, malgré l’impossibilité d’exporter bon nombre de nos fromages. La levée d'une partie des contraintes et la mise à zéro des droits de douane permettraient aux entreprises françaises d’exporter des produits de qualité vers un pays qui ne fabrique que des ingrédients standards (lait en poudre, beurre) voire des fromages extrêmement basiques. Les coûts de production étant sensiblement les mêmes depuis 2007 de part et d'autre de l'Atlantique, seule la parité euro-dollar pourrait être pénalisante pour l’UE.
De leur côté, les Américains ont une stratégie également offensive à l’export. La production laitière a augmenté de 22 % en 10 ans. Les volumes exportés, eux, sont passés de 2 % à 17 % de la production du pays. Mais compte tenu du savoir-faire européen, un accord bilatéral offrirait davantage d’opportunités à l’export qu’il ne présenterait des risques de concurrence.
L’accord conclu avec le Canada en témoigne : l’UE pourra y exporter 18.500 t de fromages supplémentaires, dont 16.800 t de produits de "haute qualité", soit un contingent total de 31.900 t. Sans compter l’obtention d’un compromis sur les indications géographiques de l’UE. 145 d’entre elles, dont bon nombre de fromages français, resteront protégées au Canada.
Le dossier sensible des IG
Reste que ces indications géographiques constituent l’un des dossiers les plus sensibles avec les Etats-Unis qui ne veulent pas en entendre parler. La liste de 267 indications que l’UE souhaite protéger outre-Atlantique a suscité une nouvelle levée de boucliers des acteurs américains.
Comme le souligne Thierry Pouch, derrière ce dossier des indications géographiques, la question du rapprochement des deux conceptions de la qualité des produits et de leur ancrage territorial témoigne de la difficulté des négociations.
Filière céréalière : l’épineuse question des Ogm
Quant à la filière céréalière, l’essentiel du débat se concentre autour de la question des Ogm. Ce dossier pourrait être un point de blocage tout aussi important que celui des indications géographiques, les Etats-Unis rejetant bec et ongles l’application européenne et surtout française du principe de précaution.
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