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Produire à la ferme de l’engrais azoté, le pari fou de François Vanier

Agriculteur en Eure-et-Loir, François Vanier a créé une startup - N-Vert - pour développer un nouveau procédé de production d'engrais azoté, 100 % décarboné, et suffisamment miniaturisé pour être installé directement dans les exploitations.

Produire sur la ferme de l’engrais azoté totalement décarboné à un prix abordable : voilà le Graal que François Vanier, céréalier en Eure-et-Loir, ambitionne d’atteindre. Avec sa startup N-Vert, l’agriculteur s’entoure de chercheurs sur la production et la transformation d’ammoniac pour développer un procédé intégrable dans un container.

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Installé à Varize, en Eure-et-Loir, François Vanier cultive 150 ha de céréales, oléoprotéagineux et légumineuses. « En céréales d’hiver, je ne produis que du blé dur pour Panzani. Le reste de l’assolement est partagé entre le maïs, de l’orge de printemps, des pois potagers et des haricots secs. »

Quand le fabricant de pâtes a cherché à développer une filière blé dur bas-carbone, sa coopérative lui propose de réaliser un bilan carbone de son exploitation. L’agriculteur pense alors que ses « 20 ans de non-labour et d’introduction d’engrais verts dès que c’est possible » se traduiront par une empreinte carbone beaucoup plus réduite que celle enregistrée par ses collègues en conventionnel. À tort. « Mon bilan n’était finalement pas bien meilleur que les autres, car le blé dur demande beaucoup d’azote. Et c’est là que j’ai réalisé que 80 à 90 % des émissions de gaz à effet de serre d’une exploitation proviennent de la fertilisation azotée. »

Ce bilan carbone se révèle surtout être un déclic pour l’agriculteur, qui n’a dès lors qu’une idée en tête : « trouver le moyen de produire à la ferme de l’engrais azoté décarboné ».

[Vidéo] Décarboner le secteur grandes cultures : la folle idée de François Vanier

https://dai.ly/x9rswmk

Une unité permettant de produire 200 kg d’engrais azoté par jour

« La base des engrais azotés, c’est l’ammoniac, obtenu en combinant de l’azote et de l’hydrogène », rappelle l’agriculteur. L’hydrogène, il y en a plein dans l’eau. Et l’azote, il y en a 78 % dans l’air que nous respirons, c’est gratuit. »

L’ammoniac utilisé par les industriels de la fertilisation pour produire les engrais azotés est obtenu « grâce au procédé Haber-Bosch qui nécessite une chaleur de 500 degrés à 300 bars de pression. C’est beaucoup d’énergie. » Surtout, pour récupérer 4 kg d’hydrogène à partir de méthane, le procédé rejette 44 kg de CO2. D’où l’énorme impact des engrais sur l’empreinte carbone de la ferme France.

2,5 % des émissions mondiales de GES sont dues à la production d’ammoniac pour la production d’engrais.

« Si le procédé industriel Haber-Bosch est intéressant pour produire 5 000 t d’engrais par jour, il serait bien trop coûteux s’il était miniaturisé, pour un impact carbone similaire ». Le Graal de l’agriculteur consisterait en une installation mobile, prête à l’emploi, dans un conteneur, permettant la production de 200 kg d’engrais azoté par jour – « ce qui correspondrait au besoin moyen d’une exploitation – par un procédé utilisant les ressources disponibles : l’azote de l’air et de l’hydrogène obtenu par électrocatalyse de l’eau, à température ambiante. L’électricité nécessaire serait produite par des panneaux sur les hangars de l’exploitation.

« Ce procédé serait bien moins dangereux puisqu’il éviterait de monter en température et en pression, et n’engendrerait aucune émission de CO2, hormis celles induites par la fabrication de l’installation ». L’installation serait garantie 15 ans, et permettrait, selon François Vanier, de produire une unité d’azote à 2 €. « En 2018, l’unité d’azote coûtait environ 1 €. Elle coûte autour de 3 € depuis la guerre en Ukraine. »

Trouver les compétences et les financements

Pour concrétiser son projet, l’agriculteur a créé une startup dédiée – baptisée N-Vert – installée dans l’incubateur « Les champs du possible », sur le site du lycée agricole de Nermont. Il cherche à s’entourer de chercheurs. « Des chercheurs qui travaillent sur l’ammoniac, il y en a des centaines dans le monde. Car l’ammoniac pourrait bien être le carburant de l’avenir. » L’hydrogène a, certes, le vent en poupe, en témoignent les initiatives de motorisation sur des tracteurs, mais « c’est un gaz trop léger qui est dangereux à stocker et à transporter. » « L’ammoniac est dense et peut se transporter à 8 bars dans une bonbonne de gaz classique », explique-t-il. À l’école polytechnique d’Orléans, « une chercheuse travaille d’ailleurs sur un moteur fonctionnant à l’ammoniac. » François Vanier compte aussi s’entourer du CEA de Grenoble. « Mon projet les intéresse aussi. »

Si autant de chercheurs travaillent sur l’ammoniac, la production miniaturisée d’engrais azoté, tant recherchée par l’agriculteur, n’existe-t-elle pas déjà ailleurs dans le monde ? « Non, répond-il. Aux États-Unis, il existe bien des petites installations qui utilisent les procédés déjà éprouvés par les industriels. » Surtout, aux États-Unis ou en Australie par exemple, les agriculteurs peuvent enfouir directement de l’ammoniac anhydre à 15-20 centimètres de profondeur en guise de fertilisation. » Pas besoin donc, dans ces pays, de produire des formules azotées comme en Europe.

Outre les compétences, l’agriculteur a besoin de financement pour développer son idée. Il a déjà reçu un financement de la BPI, et va déposer un projet de financement à l’ANR, l’agence nationale de la recherche. « En partenariat avec le CNRS de Poitiers, nous espérons obtenir un financement de 400 000 € pour les quatre ans à venir. » De quoi financer, quand les travaux de recherche seront bien avancés, ce qui coûtera le plus cher : l’expérimentation via un premier prototype.

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