[Synthèse] « Femme, Nima, projet atypique : une triple peine »
Place dans la ferme, installation, engagement professionnel : la chambre d’agriculture de Bretagne dresse le portrait-robot des agricultrices de la région, conforme aux données nationales mais allant plus loin sur certains aspects comme la formation, le potentiel économique de l’exploitation… Si les différences avec les agriculteurs s’amenuisent, des freins subsistent. L’occasion, puisque ce qui est évoqué concerne l’ensemble des exploitantes françaises, de remettre en avant plusieurs articles sur les femmes en agriculture parus ces derniers mois.
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En juin dernier, la chambre d’agriculture de Bretagne organisait un webinaire sur "L’engagement des femmes en agriculture". Chargée de mission égalité au niveau régional (la commission parité/égalité de l’organisation agricole mène, depuis plusieurs années, un important travail sur la place des agricultrices), Nabila Gain-Nachi y faisait remarquer que la proportion d’exploitantes siégeant au sein de l’organisme avait augmenté de 18 % à 31 % entre les élections de 2007 et celles de 2019.
L’implication dans les OPA progresse lentement
Sur le dernier mandat, l’objectif de 30 % d’exploitantes est atteint à l’échelle de la région, mais pas dans tous les départements, en particulier dans les bureaux, où le pourcentage avoisine plutôt les 20 % à l’échelon de la région comme départemental. Leur part progresse donc, mais lentement. De même dans les coopératives qui comptent en moyenne 10 % d’administratrices, selon une enquête de La Coopération Agricole en 2021.
Pourtant, 30 % des actifs agricoles permanents bretons sont des femmes, soit 17 000 actives dans le secteur, selon une publication de la Draaf basée sur le RGA 2020 et les statistiques de la MSA. 60 % sont cheffes d’exploitations ou coexploitantes, 17 % autres actives familiales (dont 6 % de conjointes collaboratrices) et 23 % salariées permanentes non familiales contre respectivement en 1988 : 27 %, 71 % et 2 % .
De plus en plus de cheffes d’exploitation pourtant
« En 2020, les femmes représentent 27 % des chefs d’exploitation et co-exploitants, 44 % des autres actifs familiaux et 32 % des salariés permanents non familiaux », précise Anne Bertagnolio, chargée de mission emploi formation, au service économie emploi de la chambre agriculture de Bretagne. Dans 65 % des fermes, il n’y a aucune cheffe d’exploitation. 20 % sont mixtes et 15 % sont exclusivement féminines. Des chiffres semblables à ceux observés pour toute la population agricole française (26 % de cheffes d’exploitation).
En 30 ans, le nombre de cheffes d’exploitation a baissé moins fortement que pour les hommes : - 2 000 versus - 35 000. Dans le même temps, « la main-d’œuvre invisible, que constituaient les femmessans statut, s’est considérablement réduite au profit des cheffes d’exploitation » et dans une moindre mesure des salariées, dont le nombre a augmenté plus vite que chez les hommes.
Un réel progrès en termes de « conquête de droits sociaux, reconnaissance de leur travail et de leur implication sur l’exploitation ». En Bretagne, près de 2 000 n’auraient encore aucun statut, travaillant à l’extérieur et sur la ferme le soir, les week-ends, pendant les vacances. Avec des conséquences au niveau charge mentale et retraite.
Plus âgées et formées que les agriculteurs (cependant moins en agricole)
L’étude des statistiques régionales montre un âge moyen de 51,5 ans (51,6 en France) pour les agricultrices bretonnes contre 49,5 ans pour les agriculteurs (51,4), soit 2 ans de plus, un écart un peu plus élevé que pour la population agricole dans son ensemble.
44 % ont plus de 55 ans (37 % pour les hommes), 15 % moins de 40 ans (21 %). « Elles s’installent plus tard que leurs homologues masculins, quand les enfants sont grands ou après d’autres expériences professionnelles, ou avoir été d’abord conjointe collaboratrice », de même qu’ailleurs en France, analyse Anne Bertagnolio.
Les moins de 40 ans sont plus formées (56 % d’études supérieures au bac contre 30 % pour les hommes), mais moins dans la filière agricole (25 % n’ont aucune formation dans ce domaine contre 8 % des hommes) et moins après l’installation que leurs homologues masculins : en 2022, 27 % des contributeurs de Vivéa Bretagne et 22 % des bénéficiaires sont des exploitantes.
Un taux d’accès à la formation de 20 %, 6 points de moins que les exploitants. Parmi les thématiques de prédilection : les circuits courts et l’accueil à la ferme (2/3 des stagiaires), la gestion/stratégie d’entreprise (37 %), les ressources humaines (32 %), l’agriculture biologique (33 %). Devant les sujets plus techniques, tels que les productions végétales, l’environnement, l’agro-équipement.
Des fermes plus petites comparé aux hommes
Les cheffes d’exploitation, en individuel, pilotent des structures de 22 ha de SAU moyenne, contre 39 ha pour les hommes, avec un potentiel de production de 84 000 € contre 137 300 € pour les hommes. « Une différence liée aux productions qu’elles choisissent », nuance la chargée de mission. Elles optent en effet majoritairement pour les petits animaux (ovins, caprins, volailles, lapins), les équins, le maraîchage ou l’horticulture.
25 % élèvent des bovins lait, mixtes et viande (idem au niveau national ; 31 % de salariées dans ces élevages), 22 % cultivent des grandes cultures (16 % en France) (données de la MSA Bretagne). « Elles sont le plus nombreuses dans les ateliers « vaches laitières » : 3 500. Pas étonnant, c’est la filière dominante dans notre région. » À titre de comparaison, elles ne comptent que pour 10 % des effectifs des ETA.
Pas de différence avec les hommes, en revanche, pour la forme juridique : un tiers des productrices sont en individuel, un tiers en Gaec, un tiers en EARL. Comme dans l’ensemble de l’agriculture, les sociétés sont en progression depuis la loi de modernisation agricole de 2010 et la possibilité de créer des Gaec entre époux. À cette date, elles étaient plutôt associées en EARL avec leur mari (37 % contre 29 % en 2020). Maintenant, elles sont davantage en Gaec (passage de 19 à 33 %).
Installation : les différences de genre s’estompent, des difficultés persistent
Pendant plusieurs années, l’installation aidée des agricultrices en Bretagne se situait autour de 25 %. Depuis 2022, on est plutôt à 30 % (similaire à l’échelle nationale). Une légère augmentation, « pas suffisante pour assurer le renouvellement des générations agricoles », souligne Marie-Isabelle Le Bars, chargée de mission régionale à la chambre d’agriculture de Bretagne.
D’où l’importance de « promouvoir le métier d’agricultrice et de renforcer leur visibilité, en communiquant sur des expériences réussies et en cassant les idées reçues ». 32 % s’installent sans les aides, souvent parce qu’elles n’ont pas la capacité professionnelle agricole, ou ont dépassé la limite d’âge de 40 ans, entrant dans la profession plus tardivement (cf. plus haut).
Quelques informations issues de l’observatoire régional de l’installation (1)
- Âge moyen d’installation : 32 ans (agriculteurs : 29 ans)
(Les raisons : vie familiale, autres expériences professionnelles antérieures)
- En création d’entreprise : 32 % (17 %)
(foncier plus petit, projets plus atypiques, types de production choisis)
- Sous statut individuel : 30 % (30 %)
(plus avec leur propre projet, pas forcément installation avec époux)
- En hors cadre familial : 56 % (48 %)
- En bio : 52 % (33 %)
- Productions : 34 % en maraîchage (13 %), 32 % bovins lait (47 %) (incidence de la région), 3 % en bovins viande (6 %), 5 % en grandes cultures (11 %), 8 % en petits herbivores (4 %)
(les femmes s’installent beaucoup plus en maraîchage et petits ruminants que dans les autres productions, mais quand même 32 % choisissent la production laitière)
« Des différences entre genres s’observent encore sur ces différents points, mais elles s’estompent peu à peu », constate Marie-Isabelle Le Bars.
(1)L’observatoire régional de l’installation fait partie des missions de service public des chambres d’agriculture. Annuel, c’est un outil de pilotage des politiques publiques permettant d’ajuster les dispositifs mis en place sur le terrain.
Pour comparer, voici plusieurs de ces mêmes critères recueillis au PAI (point accueil installation) :
- Âge : 34,6 ans (32,9 ans)
- Pour une création d’entreprise : 35 % (25 %)
- En hors cadre familial : 34 % (41 %)
(23 % ont plus de 40 ans vs 20 %)
- Formation : 19 % de BPREA et 20 % sans diplôme en agriculture (16 %)
(19 % à vouloir obtenir la capacité professionnelle agricole contre 15 %)
40 % de futures agricultrices prenant contact avec le PAI et 30 % d’installations aidées derrière : « 10 % s’installent sans les aides, reportent leur projet, ou renoncent. Clairement, des freins subsistent, même s’ils sont moins nombreux », fait remarquer la spécialiste.
Ils concernent : l’acquisition de compétences, l’accès à la terre et aux aides, une certaine discrimination même si elle est moins prégnante, les contraintes familiales, le manque de confiance en soi et de la part des partenaires pour accéder aux capitaux, garanties, crédits bancaires, etc. Effectivement, 55 % des femmes inscrites au PAI entrent dans le dispositif 3P (plan de professionnalisation personnalisé), 3 % de moins que les hommes. 19 % sont en recherche de foncier (contre 13 %).
« La triple peine, beaucoup de jeunes installées n’étant pas du milieu agricole (Nima), et montant leur exploitation de toutes pièces, dans une activité ou production atypique, où peu de références existent. Leurs projets sont plus diversifiés mais moins avancés dans la réflexion. Elles ont plus de mal à convaincre les banques et les cédants de leur viabilité, et combinent divers facteurs rendant l’installation plus difficile. Un travail a été lancé il y a deux ans et un autre est en cours, pour mieux cerner ces difficultés spécifiques. »
Quelles actions pour une meilleure inclusion ?
4 priorités ont été définies pour rendre le secteur agricole plus accessible aux femmes :
- améliorer l’attractivité des métiers (image, diversité, qualité de vie au travail…)
- personnaliser l’accompagnement (reconversion, productions innovantes, modèles différents, organisation en collectif)
« C’est l’objectif du 3P, au travers de la formation donc. »
- sensibiliser à la diversité des profils des candidats (femmes mais aussi Nima, personnes en situation de handicap, etc.)
« Une sensibilisation également des conseillers, des partenaires, des cédants pour qu’ils soient moins méfiants. »
- proposer des formations spécifiques (soudure, conduite d’engins agricoles, mécanique, en groupe parfois non mixte pour se sentir plus à l’aise)
Plusieurs de ces axes pouvant bénéficier également aux agriculteurs.
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