Semis direct sous couvert permanent en Bretagne : ils ont choisi le trèfle blanc
Dans le Finistère, le groupe d’agriculteurs TCS 29 travaille depuis plus de 15 ans la technique du semis direct sous couvert permanent. Parmi les différentes espèces testées, ils ont fait le choix du trèfle blanc, compatible avec le contexte pédoclimatique et les systèmes de cultures bretons.
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Depuis 2008, le groupe TCS 29 travaille le sujet du semis direct sous couvert permanent. L’objectif : réduire le temps durant lequel le sol d’une parcelle est nu.
A noter : « le Finistère compte en moyenne 200 à 240 jours de pluie pour 1 200 mm d’eau/an, la température est comprise entre - 2 et 25°C. Donc c’est un climat propice pour les couverts, mais aussi un paradis pour les limaces », explique Jean-Philippe Turlin, conseiller agronomie de la Chambre d’agriculture de Bretagne, en charge de l’animation du groupe.
Pourquoi le trèfle blanc ?
« Les premiers essais ont démarré avec du trèfle incarnat, mais on avait une forte perte de rendement en colza (environ -10 q/ha), le sarrasin ou le niger (0 à + 1 q/ha) sont intéressants mais les deux espèces gèlent à 0°C… Le choix s’est alors porté sur le trèfle blanc (0 à + 4 q/ha), indique le conseiller. Cette espèce a des propriétés intéressantes, elle pousse d’avril-mai à septembre-octobre, quand elle a de la chaleur et de la lumière. Si une culture lui fait de l’ombre, elle est plus limitée ». « Le trèfle blanc a aussi l’avantage de bien se comporter dans nos milieux acides, la luzerne est aussi travaillée par certains agriculteurs du secteur mais c’est plus limité. »
« Autre particularité : le trèfle blanc se reproduit grâce à ses stolons et ses graines, ce qui permet de le conserver plusieurs années ».
Plusieurs points d’attention
En pratique, « le colza (25 à 40 g/m²) et le trèfle blanc (3-6 kg/ha) peuvent être semés au même moment, en août-septembre. Le colza va pousser, le trèfle lever et se mettre ensuite en stand-by avec les températures plus fraîches. Puis le trèfle ne retrouvera de la lumière ensuite pour pousser, qu’une fois la récolte du colza passée. Une récolte de biomasse est réalisable avant le semis du blé en octobre, dans ce même trèfle, qui va ensuite ralentir de nouveau sa croissance avec le retour de températures plus fraîches ».
Jean-Philippe Turlin constate globalement moins d’adventices dans les parcelles concernées, on peut garder le trèfle entre 1 et 4 ans, mais le facteur limitant reste le ray-grass.
Le conseiller souligne aussi plusieurs points d’attention pour cette technique : « attention d’abord à ne pas semer le trèfle trop profond. Sinon on peut avoir un échec ». « Le choix variétal est aussi important, on conseille toujours de mettre plusieurs variétés et de bien les adapter aux types de sols ». Enfin, « éviter le désherbage au semis, plutôt à réaliser au stade à 2 feuilles du colza et un rattrapage anti-graminées ensuite ».
« Ce schéma classique fonctionne bien dans 95 % des cas, observe Jean-Philippe Turlin. Mais en cas de parcelles très sales de colza, on peut le semer seul pour pouvoir désherber avec du Mozzar, et puis venir semer le trèfle blanc à la volée ensuite, en novembre-décembre. Mais le plus tôt possible, pour éviter que le colza n’étouffe le couvert. »
Pour les agriculteurs qui ne cultivent pas de colza, le groupe a également fait des implantations de trèfle blanc avec le blé ou le triticale (140 à 180 kg/ha, 300 à 450 g/m²). « La céréale est semée normalement, puis on réalise un désherbage d’automne et le semis du trèfle blanc vient en décembre-janvier (3-6 kg/ha) à la volée ou au semoir. »
« Cette technique est possible car on a des hivers relativement peu rigoureux en Bretagne, cela pourrait être plus compliqué dans d’autres régions », reconnaît le conseiller.
Un itinéraire technique à adapter selon les objectifs
« Une fois que le colza ou le blé est récolté, on va vouloir implanter du blé. Pendant l'interculture avant le prochain blé, plusieurs agriculteurs vont récolter le trèfle blanc (environ 3 à 4 t MS/ha), certains font aussi le choix de le broyer ou de ne rien faire. Tout dépend de son système. »
Le conseiller recommande pour le semis de blé sous couvert de trèfle blanc un semoir à disques. On voit de plus en plus de semoirs à dents, mais ce n’est pas adapté dans ce cas-là. Attention aussi au choix des variétés de blé selon leur port de feuille. »
Jean-Philippe Turlin n’a pas constaté d’effet dépressif, néanmoins il conseille d’essayer sur une petite surface au départ. « Ensuite les techniques de désherbages vont différer selon les objectifs des agriculteurs : soit le garder, soit le supprimer pour récupérer de l’azote ».
Témoignages d’agriculteurs
Installé dans le Finistère avec son frère Nicolas, Roland Hallegouet est plutôt pour la conservation du trèfle dans le sol, en tant que producteur de céréales et de pommes de terre. Il explique sa technique : « après pommes de terre, on vient semer un blé le plus tôt possible, entre le 10 et le 15 octobre au plus tard sur terrain nu. Pour le semis du trèfle, on a testé les deux options avec notre semoir Kuhn SD 3000 au même moment que le blé ou fin janvier-début février. En janvier 2020, après une période très pluvieuse, cela s’était très bien passé, par contre, on a plus de souci sur la campagne 2023-24. Ce qui a fait beaucoup de mal, c’est la pluie qui est venue après le sursemis de trèfle », observe le producteur.
« On sème de manière assez dense généralement (8 kg/ha) pour avoir le tapis le plus homogène pour gérer la concurrence avec les adventices. »
« Concernant le blé, la récolte s’effectue généralement entre le 25 juillet et le 10 août (variété type Chevignon). L’objectif : avoir le carbone des céréales (elles sont toutes broyées pour être restituées au sol) et l’azote avec le couvert. Cela fait un an qu’on a investi dans une faucheuse à sections pour couper le trèfle et le chaume, et tout laisser en surface afin d’améliorer la digestion de la paille après la moisson. »
« On répète cet itinéraire deux ans avant de détruire le trèfle chimiquement avant le couvert d’avoine, avant pommes de terre. Mais cette année, le trèfle n’a pas supporté le désherbage du printemps. C’est tout un apprentissage qu’on réalise depuis 5 ans avec la mise en place de cette technique, d’autant plus compliquée que le climat change tous les ans. "On marche sur des œufs", note Roland Hallegouet. Il souligne notamment le besoin de régulation du trèfle, pour éviter les impacts sur le rendement du blé. »
Eleveur dans le sud du Finistère, en bordure maritime, Erwan Caradec s’est également tourné vers le trèfle blanc pour l’azote. « Étant en bassin versant algues vertes, nous sommes limités à 170 unités au total, en azote organique et minéral, et cela pourrait descendre à 140 u », indique-t-il.
L’éleveur conserve le trèfle environ un an : « je l’implante avec le colza, je sème ensuite le blé dedans et je le détruis chimiquement en sortie d’hiver pour récupérer entre 40 et 80 unités d’azote. Avec le trèfle, on a vu une différence sur la teneur en protéines, même cette année, malgré la pluie. On a sorti 78,6 q/ha en blé tendre avec 14,5 % de protéines, et la moyenne est à 13,2, avec 160 unités d’azote. Certains voisins, qui ont apporté aussi 160 u, ont livré des bennes à 8 % de protéines. C’est important pour nous les protéines, en tant qu’éleveur de porcs. »
Erwan Caradec observe une nette différence sur les maladies : « on n’a pas l’effet splash de la goutte d’eau sur le sol, qui va amener les spores de septoriose. Un seul passage de fongicide, à demi-dose, peut suffire », indique-t-il. « Le fait que le sol soit toujours en mouvement permet aussi de mieux gérer les à-coups climatiques », ajoute Roland Hallegouet.
Pour Frédéric Thomas, le trèfle est une espèce très intéressante, car « il va à la fois pomper de l’azote, et à la fois en donner. Par contre, vous êtes avantagés dans le Finistère avec la météo, indique-t-il en échangeant avec les producteurs. En Bourgogne, par exemple, ça risque d’être plus compliqué. Par contre, un système est testé par Arvalis dans le Sud-Ouest avec la luzerne. Son enracinement plus profond permettrait de donner plus de chance à la céréale ».
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