Les couverts végétaux peuvent-ils être un levier intéressant pour réduire le recours au glyphosate, voire s’en passer ? « C’est juste une pièce du puzzle », nuance Alicia Régis, ingénieure gestion de projets en agroécologie à l’Apad. Le projet Sol’iflore, porté par cette association spécialisée dans l’agriculture de conservation des sols vise à comprendre la place des couverts végétaux d’interculture dans la concurrence aux adventices.
Quatre plateformes d’essais ont été mises en place depuis deux ans du Lot au Pas-de-Calais et les premiers résultats, intermédiaires, doivent être pris avec beaucoup de prudence. Sur chaque plateforme, les agriculteurs qui ont conduit les essais se sont tous passés de glyphosate, mais certains herbicides ont été toutefois bien utiles.
« On peut faire sans glyphosate sur une année, de l’implantation du couvert à l’implantation de la culture qui suit, à condition que l’on puisse avoir recours à d’autres outils chimiques, et substituer le glyphosate coûte plus cher en termes d’IFT », résume Alicia Régis.
Sur sa parcelle du Lot, Guillaume Ratz a voulu éviter l’an dernier tout recours à la chimie : « Mon maïs a été envahi de picris fausse vipérine, donc cette année j’ai passé l’Orbis (une désherbineuse) et tout est reparti par les racines, j’ai donc dû m’en débarrasser à coup de 2-4 D », rapporte l’agriculteur. « Faire de l’agriculture de conservation sans glypho, c’est peut-être possible, mais sans chimie, c’est complètement impossible ».
La vesce velue, une bonne surprise
Les couverts, sur les quatre plateformes, ont été implantés en 2022, année la plus chaude et sèche jamais enregistrée par Météo France, et certaines espèces ont malgré tout donné des résultats intéressants. Ainsi, sur celle du Pas-de-Calais, l’avoine rude et la navette ont pu germer dès les premières pluies et remporter la course contre les adventices.
Dans le Lot, le sorgho et le moha ont bien supporté la sécheresse. La vesce velue, testée en mélange avec une moutarde et une autre graminée sur les plateformes de Vendée et d’Eure-et-Loir, s’est révélée très intéressante : « Elle s’est très bien entendue avec ces autres espèces, elle a bien tapissé tout le sol entre les pieds d’avoine et de moutarde, on a eu peu d’adventices ».

Le sarrasin, en revanche, s’est révélé décevant. La plante présente l’avantage de germer très vite, mais est très fragile. Sur sa parcelle d’Eure-et-Loir, elle n’a pas résisté au premier coup de froid et la féverole d’hiver implantée pour la remplacer, très lente à germer, n’a pas été convaincante.
La désherbineuse qui en finit avec les repousses d’avoine
Autres leviers, les conditions d’installation et de destruction. Un des agriculteurs a semé à la volée début juillet, avant récolte, pour que les semences puissent profiter de l’humidité et germer avant les adventices. Résultat concluant.
Pour la destruction des couverts, là aussi quelques tests ont été prometteurs. La désherbineuse Orbis de la société Roll’n’Sem a été utilisée sur le maïs de la plateforme du Lot, en plein au moment du semis puis sur l’inter-rang. L’engin est constitué d’une rangée de disques qui broient les végétaux en surface sans travailler le sol. Il a permis de venir à bout du ray-grass et de l’avoine. « C’est un enseignement hyper positif, cela a super bien fonctionné », résume l’ingénieure de l’Apad. Confirmation de l’agriculteur : « C’est une super machine sur terrain sec pour détruire les couverts ». Problème, il a fallu plusieurs passages. Davantage de tracteur, de main d’œuvre, de charges méca, de consommation de fioul.

Autre engin testé, un rouleau de chez Bonnel. La destruction de l’avoine rude et de la moutarde a été totale, mais « il faut le passer en bon stade, juste au moment de la floraison, met en garde Alicia Régis. Si on passe trop tôt, la plante peut repartir et si c’est trop tard, les graines sont déjà au sol ».
Activer le levier rotation
Tester le recours à l’irrigation sur les couverts eut été fort intéressant, « les couverts s’installeraient plus facilement, gagneraient la course face aux adventices ». Malheureusement, l’an dernier les prélèvements d’eau étaient interdits en pleine période de restriction, et cette année il a plu, donc il n’y avait pas besoin d’irriguer.
Le projet ne porte que sur trois années. « L’année qui s’est écoulée est positive, on a tiré des enseignements, mais sur la durée, il faut être prudent », synthétise Alicia Régis. Se passer de glyphosate sur une année est possible, mais il conviendrait d’activer le levier rotation.
« C’est un levier très puissant, il faut l’activer de façon stratégique pour positionner les couverts d’interculture et les espèces avec différentes dates de semis, donc on a pas mal de choses pour bloquer le cycle de certaines adventices qui posent problème, développe-t-elle, et ce n’est pas en un an que l’on peut avoir des conclusions, c’est sur le long terme que l’on s’interroge et le pari ne nous paraît pas gagné ».
Pour répondre à ces interrogations, « il faudrait de nouveaux travaux de recherche, donc des moyens, nous essayons d’alerter les pouvoirs publics, car notre projet Sol’iflore sur l’impact des couverts n’est qu’une pièce du puzzle » répète-t-elle.
NB : Article publié initialement le 1er décembre 2023.