Chiffrer son projet d’installation agricole
Sans doute l’un des moments les plus compliqués, et non moins crucial, du parcours pour s’installer en agriculture. Savoir comment calculer le produit d’exploitation, les charges opérationnelles et de structures, les marges brutes, puis l’EBE, établir le plan de financement, estimer le revenu disponible… autant de chiffres que tout futur agriculteur doit apprendre à maîtriser pour jauger la rentabilité et la viabilité de son projet. Objectif : vivre de son métier.
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Une étape essentielle du parcours : pourquoi ?
L’objectif est d’évaluer les investissements liés au projet d’installation agricole. « On rentre dans le concret, dans le dur, dans les chiffres. Il faut tous les mettre à plat, calculer, vérifier, ajuster, corriger, valider », détaille la Chambre d’agriculture de l’Indre.
Un gros travail qui se prépare, s’anticipe, afin « d’envisager tous les scénarios possibles, même les pires, avec un plan B, voire C pour pallier les aléas économiques, climatiques, sanitaires (cheptel, produits, pandémies telles que la Covid…). Votre idée a beau être intéressante, mais elle doit être rentable pour être réalisable. Le but est de pouvoir vivre du métier d’agriculteur », insiste-t-elle.
De quoi s’agit-il concrètement ?
Ce chiffrage aboutit à un document indispensable pour s’installer en agriculture, comme dans l’artisanat ou le commerce. Les indicateurs sont les mêmes, mais le nom peut différer : prévisionnel, plan d’entreprise ou de développement, business plan.
Établi sur 4 ans, il permet « la mise en œuvre opérationnelle et stratégique du projet ». Il aide à « lever des fonds auprès des banques, en les rassurant sur la viabilité de la ferme ». Il sécurise aussi les partenaires, les fournisseurs entre autres, le futur installé lui-même et ses associés éventuels.
Il doit être compréhensible, clair, pour que « les décideurs, bancaires en particulier (il peut être également consulté, en cas de contrôle, pour justifier par exemple des aides à l’installation), puissent analyser rapidement les principaux ratios, comme le taux d’endettement, donc les risques, et accorder les prêts ».
« Mieux vaut avoir de la méthode que de se précipiter, partir dans tous les sens », recommande la chambre d’agriculture qui conseille de s’appuyer sur une trame universelle, type compte de résultat, s’inspirant d’un plan comptable général, ainsi que sur des outils préparamétrés (à adapter à chaque situation) ou simples tableurs (excel), pour « hiérarchiser les produits et les charges, afin de savoir ce qu’il va rester à la fin », sans oublier certains postes auxquels « on ne pense pas forcément ».
Comment s’y prendre ?
1- Calculer le produit d’exploitation
Il faut décomposer le chiffre d’affaires article par article (et service par service), année par année, en différenciation les débouchés (vente directe, via des distributeurs, des coopératives, sur internet, etc.). Il importe de collecter les données nécessaires auprès des différents acteurs de la filière, de les croiser avec l’étude de marché (si création ou développement d’activité comme un nouveau marché ou produit ; mais en réalité, celle-ci est requise dans la plupart des cas), en intégrant de potentielles variations à la hausse ou à la baisse.
« Attention à être réaliste sur les quantités et les prix », prévient la chambre d’agriculture. Et « veillez à ne pas mélanger des chiffres hors taxe et TTC. » Autrement dit : selon le choix à l’installation d’être assujetti ou non à la TVA, s’y tenir.
2- Apprécier les charges d’exploitation
- opérationnelles
Elles dépendent de la production et sont, par conséquent, variables et proportionnelles aux quantités produites. Elles comprennent les matières premières, la main-d’œuvre mobilisée, les coûts de sous-traitance, les frais vétérinaires, etc. « Essayer, le plus possible, de demander des devis en amont auprès des fournisseurs pour définir les volumes, les prix, les délais de livraison, les frais de transport », suggère la chambre d’agriculture.
Ceci dans l’optique « d’obtenir le meilleur rapport qualité/prix ». En déduisant les charges opérationnelles du produit, on peut déterminer la marge brute par activité, qui doit être positive pour ne pas vendre à perte (« sauf si elle est stratégiquement utile pour la fabrication d’un produit d’appel par exemple ») sinon il faut « réfléchir aux ajustements envisageables : augmentation d’un prix de vente, diminution d’une charge opérationnelle… »
- de structures
Fixes, elles découlent de l’existence de la structure, pas de son activité, qui les paie même si elle ne dégage aucun chiffre d’affaires : fermages, chauffage, entretien du matériel, assurances, honoraires, cotisations sociales du chef d’entreprise, salaires des employés, etc. En les retirant du produit d’exploitation et des charges opérationnelles, on arrive à l’EBE (excédent brut d’exploitation) qui reflète la rentabilité de la ferme : il faut qu’il soit positif pour qu’elle soit rentable.
« C’est l’un des chiffres clés de l’étude prévisionnelle », appuie la chambre d’agriculture, qui conditionne la poursuite, la suspension temporaire ou l’abandon du projet. Il doit assurer le paiement des échéances d’emprunts et des prélèvements privés du futur agriculteur, avec une marge de sécurité pour l’autofinancement et les imprévus divers. « Ne sont pas pris en compte les produits et charges exceptionnels, ni les amortissements et les modes de financement de l’activité », précise-t-elle.
À noter : le calcul possible, à ce stade, de ratios qui peuvent être comparés à des référentiels disponibles dans les chambres d’agriculture, les centres de gestion, etc. afin de se situer et retravailler certains éléments si cela se justifie.
3- Établir le plan de financement
Il garantit le règlement des échéances bancaires évoqué ci-dessus. Vous allez devoir lister, classer ce dont vous avez besoin pour démarrer et pérenniser, soit financer, l’activité.
D’un côté : les investissements
- De départ : biens corporels (foncier, bâti, équipements…), incorporels (logiciels, sites web….) et financiers (parts sociales, cautions…). Une estimation par un expert (foncier, agence immobilière, notaire, concessionnaire…) est, en général, exigée.
- Le besoin de fonds de roulement (BFR) : correspondant à l’écart entre les décaissements et les encaissements du premier chiffre d’affaires (paiement des fournisseurs et des salaires avant celui des clients). L’équivalent d’un budget de trésorerie, la plupart du temps sur 12 mois, pour éviter les découverts compte tenu des dates de décaissement et encaissement. « Il faut de la trésorerie, on ne démarre pas à zéro. Pour ne pas se retrouver dans le rouge dès le premier mois, la banque peut accorder un prêt de trésorerie. »
- De développement : en matériels, outils…
De l’autre : les ressources financières
- Durables : fonds propres (épargne, biens à vendre) et le plus souvent empruntés (à la banque ou des tiers : famille, organismes), subventions d’équipement…
- Court terme : crédit TVA, prêts relais en attendant le versement d’aides entre autres..
- Les financements participatifs
Poser le plan de financement dans le chiffrage
Année par année, acquisition par acquisition, avec le montant, l’apport personnel, les subventions, les prêts, leur durée et taux d’intérêt.
À savoir, pas de financement global : à chaque objet, un prêt. Le porteur de projet se met d’accord, pour chacun, avec la banque sur le montant, la durée et le taux d’intérêt. Un échéancier pluriannuel est fixé, avec la somme (capital + intérêts) à rembourser tous les ans, généralement à partir de la deuxième année d’installation pour laisser le temps de réaliser du chiffre d’affaires.
« N’hésitez pas à rencontrer plusieurs banques. Les approches sont différentes en termes de durées, de taux d’intérêt, d’échéances (mensuelles, trimestrielles, annuelles) et, en particulier, de garanties. Ici encore, l’appréciation de ratios (taux d’endettement…) est utile pour les confronter à des références et connaître les valeurs vers lesquelles il faut tendre.
4- Estimer le revenu disponible
Soit avant prélèvements privés. Il suffit, pour cela, de soustraire à l’EBE les échéances d’emprunts. Il varie bien sûr en fonction du type d’activité (et du risque inhérent aux aléas auxquels elle est exposée) et des garanties (apport personnel notamment) apportées par le futur exploitant.
Plusieurs conseils de la chambre d’agriculture : « garder une marge de sécurité (distincte d’une banque à l’autre), ne pas présenter un chiffrage trop optimiste, ni sous-évaluer ses besoins privés » pour avoir un niveau de vie correct, prendre du recul par rapport à son projet pour jauger sa faisabilité effective, sur le terrain, et « ne pas le surdimensionner », ce qui pourrait entraîner des difficultés sur le plan économique et humain (trop de travail, de pression…).
S’il est important de comprendre et maîtriser ses chiffres, pour voir si le prévisionnel est respecté et corriger le tir, être capable de tout analyser et interpréter en profondeur s’avère complexe. « Chacun son métier », rappelle la chambre d’agriculture, les compétences d’un agriculteur doivent déjà être multiples, dans de nombreux domaines, il ne peut pas être spécialiste dans tous.
D’où l’intérêt de se former et de se faire accompagner (conseillers des chambres d’agriculture, comptables, etc.), avant de s’installer et après. « Vous n’êtes pas devin, reprend la chambre d’agriculture. Difficile de tout prévoir même pour nous, experts. Le business plan ne sera jamais juste au chiffre près mais il donne de bonnes tendances. »
Autant, parfois, calculer le seuil de rentabilité économique, c’est-à-dire le chiffre d’affaires minimum pour que le jeune agriculteur puisse, au moins, dégager ce dont il a besoin pour vivre. Ou sinon « le chiffre d’affaires d’équilibre pour perdre le minimum d’argent ». Ainsi, quelquefois, il est plus judicieux de partir des prélèvements privés, et de ce qu’il faut pour travailler, donc estimer les emprunts, puis d’ajouter toutes les charges afin de déterminer, seulement à la fin, le chiffre d’affaires.
Source : webinaire « chiffrer votre projet », dans le cadre de la Semaine pour entreprendre dans l’Indre en 2020.
NB : Article publié initialement le 12 septembre 2024.
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