Fortuné Rougegrez (Somme) : Du bon sens à haute dose pour des plants bio
[Contenu proposé par La Pomme de terre française] Pour Fortuné Rougegrez, producteur de plants de pommes de terre bio dans la Somme, l’arsenal des moyens de lutte contre les maladies dont le mildiou est plus que limité. Alors il lui faut compenser en multipliant les soins et les attentions à la culture ou à son environnement.
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En 2015, lorsqu’il a commencé à convertir son exploitation à l’agriculture biologique, la première motivation de Fortuné Rougegrez était d’expérimenter une opportunité de développement économique. « Un de mes voisins intégralement en bio avait été contacté par une entreprise des Landes pour produire des carottes. J’ai regardé les chiffres. Cela me paraissait intéressant. Mais, petit à petit, ma conviction pour le bio a grandi. Le travail est plus valorisant car il oblige à aller au fond des choses. Il m’a permis de redécouvrir mon métier. En outre, traiter mes cultures avec des produits naturels est moins perturbant pour moi que de pulvériser des insecticides », explique-t-il.
L’agriculteur installé sur une ferme de 165 ha à la Vicogne, dans la Somme, conduisait alors un assolement typique de sa région, 80 ha de céréales, 20 ha de betteraves, 40 ha de pommes de terre pour l’industrie et la consommation, 20 ha de lin… Étant à la recherche de cultures offrant davantage de plus-values, il a démarré par un essai de carottes bio sur 3 ha. Il a ensuite engagé son exploitation dans un plan de conversion de cinq ans. Celui-ci prévoyait le passage au bio d’un cinquième de la surface tous les ans. « Ce schéma était cohérent avec les primes de conversion. Il permet aussi de donner du temps pour apprendre », commente-t-il.
En 2017, Fortuné Rougegrez a relancé une production de plants de pommes de terre. « Nous en avions déjà l’expérience car nous en avions produits sur la ferme jusqu’en 2012 en conventionnel », rappelle-t-il. Ils lui apparaissaient comme bien indiqués pour valoriser la nouvelle orientation de son exploitation. « Nous avons commencé avec 5 ha en contrat avec les collecteurs Desmazières et Bernard. Ensuite, nous nous sommes pris au jeu et nous avons augmenté la surface. La demande s’est développée à la suite de l’interdiction d’utiliser des plants conventionnels non traités en production bio. » Aujourd’hui, le producteur en cultive près d’une cinquantaine d’hectares, en partie sur sa ferme et le reste en prestation de services.
Une nécessaire acceptation du risque
La maîtrise de chacune des étapes de la culture a nécessité de réapprendre ou d’adapter les techniques. « En agriculture bio, il n’existe pas d’itinéraire figé. Alors, il faut observer la nature, travailler en fonction des prévisions météorologiques, échanger avec les collègues, rester humble. Chacun a ses petites astuces et ses préparations, en espérant qu’elles fonctionnent car il n’existe pas de moyen de rattrapage. Mais le bio, c’est aussi du bon sens. » En matière de fumure, par exemple, si Fortuné Rougegrez peut raisonner ses apports de potasse en utilisant des engrais minéraux de type Patent Kali, il en va tout autrement de l’azote.
Comme elle est amenée uniquement sous forme organique avec des fientes de volaille et du fumier acheté chez un voisin éleveur bio, le processus de nitrification dépend énormément des conditions météorologiques. « Avec ce type d’amendement, il est difficile de maîtriser la libération de l’azote. Même en améliorant ses pratiques au fil des ans, nous ne pouvons pas être à l’abris d’une année catastrophique. Les rendements peuvent alors varier du simple au double. Le différentiel du prix payé par rapport à du conventionnel, de l’ordre de 1 500 à 2 000 € de l’hectare, pour du plant bio ne suffit pas toujours à compenser la prise de risque. »
Le désherbage est, pour sa part, uniquement assuré par des actions mécaniques. « Cela commence avant la plantation par une préparation classique avec un labour peu profond, puis des faux semis. Les plants sont ensuite mis en terre dans une butte non resserrée. 15 jours après, nous passons une herse étrille pour détruire les plantules de mauvaises herbes. Une semaine après, nous rebuttons une première fois. Nous laissons alors émerger les pommes de terre puis nous buttons à nouveau une quinzaine de jours après. Parfois un troisième buttage peut s’avérer nécessaire. Au bilan cela représente trois à quatre passages supplémentaires. »
La main légère sur les produits à base de cuivre
La protection de la culture nécessite également de multiplier les interventions. Comme pour les autres étapes de l'itinéraire cultural, Fortuné Rougegrez recommande de faire preuve de bon sens pour placer la plante dans les meilleures conditions de développement. « La protection s’anticipe dès le début. En général, nous ne plantons pas avant le 25 avril car il faut attendre que le sol se soit suffisamment réchauffé. Nous faisons en sorte que la plante se montre la plus poussante possible en préparant les plants grâce à une application continue d’huile essentielle de menthe. La brulure des germes apicaux favorise le développement des bourgeons axillaires. » La protection contre le mildiou se fait essentiellement en pulvérisant régulièrement différentes macérations, décoctions ou autres extraits fermentés afin d’empêcher les spores d’atteindre la végétation.
Pour la protection contre les viroses, le processus démarre dès le passage de la herse étrille. Il arrive en effet que son action mette des germes à nu et les rende vulnérables. Les pulvérisations d’huiles minérales se succèdent tous les deux à quatre jours mais à doses réduites. Le rythme est plus soutenu au début du cycle qu’à la fin. Tous ces actions mais aussi les soins apportés aux autres productions de la ferme réclament une grande charge de travail. « Notre effectif compte huit équivalents temps plein. Il peut monter à une vingtaine de personnes en période de désherbage et d’épuration. » La protection passe aussi par des applications de produits à base de cuivre, des bouillies bordelaises et des hydroxydes, les seuls autorisés en agriculture biologique. « Nous avons pour principe de nous efforcer d’en mettre le moins possible car ils sont néfastes pour les bactéries et les champignons vivant dans le sol. Lorsque la maladie s’est déclenchée, nous pouvons apporter en curatif de l’hydroxyde de cuivre mélangé avec des décoctions de prêle et du talc présentant un effet asséchant. »
Durant toute la période de végétation, Fortuné Rougegrez suit les indications des sites météorologiques et les mesures de la station de l’exploitation. « Les OAD ne sont pas pertinents dans une conduite bio étant donné que nos produits ne sont pas reconnus par ces outils. Il nous faut, sans arrêt, avoir un œil sur les cultures et un autre sur la météo. Il faut réagir si la pluie a lessivé les protections ou si le temps humide se montre favorable à une infestation. » Pour l’agriculteur, l’idéal est que la plante se trouve toujours en conditions poussantes et qu’à aucun moment, elle ne se retrouve en situation de faiblesse favorable à une infestation. Pour entretenir cette vigueur, il n’hésite pas à utiliser des dynamisants foliaires bio ou des formulations à base d’algues et à appliquer des extraits fermentés de luzerne et de consoude pour favoriser la vie du sol. Il évoque aussi des produits formulés par des spécialistes. « Il n’y a rien qui prouve que toutes les formulations sont efficaces. Il faut choisir ce qui convient à la plante tout en se méfiant des poudres de Perlimpinpin. »
Il préfère les périodes les plus sèches pour conduire les irrigations pour une meilleure gestion du mildiou. La connaissance des 13 variétés qu’il multiplie actuellement l’aide également à ajuster ses stratégies. Il s’arrange pour les regrouper par parcelles par capacité de résistance et à implanter les plus sensibles à proximité de l’exploitation afin de rationaliser les interventions. Il a aussi compris que l’agriculture bio nécessite une certaine philosophie. « Le bio réclame l’acceptation de la prise de risque. Il faut savoir accepter d’avoir du mildiou dans son champ et même de le retrouver dévasté. Heureusement, jusqu’à présent, nous n’avons pas subi de gros dégâts en pommes de terre ». À ce propos la culture du plant présente, selon lui, l’avantage de son cycle court pour limiter les risques de maladies. « Nous arrachons en général dès la deuxième quinzaine du mois d’août », explique-t-il.
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