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« Les prix du blé dur pourraient ne pas bouger jusqu’à la fin de la campagne »

Avec moins de 7 Mt, la production européenne de blé dur est historiquement faible, souligne l'analyste Sébastien Poncelet

Ces dernières semaines, les prix mondiaux et français du blé dur restent quasiment figés et cela pourrait durer, analyse Sébastien Poncelet, directeur de développement d’Argus Media, expert des marchés agricoles. Entre production européenne historiquement faible, absence de la Russie et de la Turquie à l’export, retour du Canada et défis croissants pour les producteurs français, il détaille les éléments clés de ce marché.

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Terre-net : Comment décririez-vous le marché européen du blé dur sur la campagne de commercialisation 2023/24 ?

Sébastien Poncelet : On a eu sur la précédente campagne une petite production de blé dur en Europe : 7 Mt seulement, c’est-à-dire l’une des plus petites productions historiques.

Pour autant, les prix ont été sous forte influence baissière parce qu’on a presque fait un record d’importations, avec des importations en provenance de nouveaux venus sur la scène internationale : la Turquie et la Russie.

Leur arrivée sur le marché export, à destination notamment de l’Italie, a permis de combler le déficit européen et de bien fournir le marché mondial, alors qu’on avait une petite récolte en Europe et au Canada.

Quelle est la situation sur la campagne 2024/25 ?

Sur cette campagne, les choses changent. C’est toujours aussi mauvais en Europe en termes de production, mis à part l’Espagne qui remonte un peu : la production française est déplorable, elle est très faible aussi en Italie. On va peiner à avoir 7 Mt.

Mais ça ne se passe pas du tout de la même manière sur la scène internationale. Ces exportateurs émergents qu’étaient la Turquie et la Russie sont tous les deux absents pour le moment de la campagne en cours.

La Russie, qui exportait surtout des blés durs de qualité inférieure vers l’Italie pour des mélanges, ne peut plus le faire parce que l’Union européenne a interdit les importations de céréales russes depuis le 1er juillet. La Russie a du mal à placer son blé dur ailleurs, et on ne remarque pas de présence notable du blé dur russe sur la scène internationale.

En parallèle, la Turquie privilégie l’autoconsommation depuis le début de la campagne. Elle a mis en place des mesures de protectionnisme pour faire monter les prix sur son marché intérieur et aider les agriculteurs turcs, en freinant les importations de blé (tendre et dur).

Le marché mondial n’est pour le moment pas attractif pour les exportateurs turcs, donc le blé dur ne sort pas de Turquie.

Le retour du Canada pourrait-il contrebalancer l’absence de la Russie et de la Turquie sur le marché mondial ?

Le Canada, premier exportateur mondial, revient avec une bonne récolte, aux alentours de 6 Mt. C’est beaucoup plus que les 4 Mt de l’an passé. Mais le Canada est un peu tout seul à exporter. Les prix du blé dur restent assez bien tenus au Canada, dans le sens où le pays a une bonne récolte mais pas trop de concurrence face à lui.

On a de nouveau besoin d’un record d’importations en Europe. La situation européenne étant bien plus tendue que la situation mondiale, les prix restent bien plus élevés en Europe que sur le marché mondial, pour attirer ce record d’importations. On est suffisamment « chers » pour être en prime par rapport au marché mondial et par rapport au blé tendre, donc nos prix ne montent pas.

Mais nos prix ne baissent pas non plus, car les importations ne rentrent pour le moment du Canada qu’à un rythme modéré et le déficit du bilan européen peine à se combler rapidement.

Donc on est sur un statu quo : il ne se passe rien sur le marché du blé dur. Les forces en présence sont vraiment bloquées et tout se neutralise. Les prix ne bougent pas depuis des semaines, et pourraient ne pas bouger jusqu’à la fin de la campagne.

Le blé dur est vraiment un petit marché, très opaque, très compliqué à lire, avec peu d’acteurs. Avec en France, un marché très spécifique.

C’est-à-dire ?

On a beaucoup de lots de basse qualité en blé dur, il y a beaucoup de déclassements et le marché se fait au cas par cas. On a des prix nominaux qui sont affichés en portuaire, mais cette cotation nominale représente une marchandise qui n’existe pas : du blé dur aux normes, c’est quasiment inexistant.

La cotation de référence nominale est autour des 300-305 €/t, tous les lots se font sur la base de décotes par rapport à cette référence de bonne qualité qui n’existe pas en tant que telle.

Il y a donc autant de prix de blés durs en France qu’il y a de lots de qualité différente.

Pensez-vous que le blé dur français pourrait reconquérir une place à l’export ?

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La première des questions, c’est peut-être « est-ce qu’on aura assez de blé dur pour fournir les usines françaises » ! On a des problèmes qualitatifs de plus en plus fréquents, une rentabilité aléatoire. Il y a un vrai challenge de maintien des surfaces et de bon équilibre de marché.

Sur la dernière campagne, l’arrivée russe et turque a vraiment effrayé les producteurs de blé dur. Cette année, le producteur français n’est pas pénalisé par ces exportateurs émergents, mais en même temps il n’a pas son revenu parce qu’il a fait des mauvais rendements avec une très mauvaise qualité.

Ce n’est pas ça qui va inverser la tendance à la baisse des surfaces et à la démotivation à produire du blé dur. Pour relancer la production, il faut des prix rémunérateurs dans le temps.

Or on a à la fois le volet climatique qui vient régulièrement handicaper les producteurs français, et la concurrence internationale, avec des pays qui font de plus en plus de blé dur et qui vont s’améliorer dans leur production, comme le Kazakhstan et la Russie.

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