Des vignes entre les terrils : Laurianne Carbonnaux participe à la renaissance du vignoble des Hauts-de-France
À la faveur de conditions climatiques favorables, et grâce à des droits assouplis de plantation, Laurianne et Paul-Adrien Carbonnaux ont diversifié leur exploitation céréalière du Pas-de-Calais en plantant deux hectares de vignes. Leurs deux premières cuvées « Terre de grès » expriment déjà à la fois le potentiel et les risques d’un vignoble septentrional en pleine renaissance.
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Le changement climatique fera-t-il des Hauts-de-France une nouvelle région viticole de renom ? « Si nous sommes si nombreux à avoir planté des vignes ces dernières années, ce n’est pas grâce ou à cause du changement climatique, corrige Laurianne Carbonnaux. Nous avons planté parce qu’on a profité d’un droit de le faire que nous n’avions pas avant. »
Lorsqu’en 2016, les règles encadrant les droits de plantation sont assouplies pour ralentir la baisse tendancielle du vignoble français, Laurianne Carbonnaux travaille au CER France, conseille les agriculteurs et les aide à monter leurs projets de diversification. Paul-Adrien, son conjoint rencontré quelques années plus tôt sur les bancs de l’ISA de Lille, s’est installé il y a trois ans sur la ferme familiale à Fresnicourt-le-Dolmen, dans le Pas-de-Calais. Une exploitation de grandes cultures de 180 ha : du blé, du colza, des betteraves, des pommes de terre, du lin et des pois. Un assolement on ne peut plus classique dans le secteur.
« À l’époque, nous avions envie de diversifier l’exploitation avec une production que nous pourrions intégralement maîtriser jusqu’au produit fini. » Arbres fruitiers, petits fruits rouges, production de bière, cueillette à la ferme… : le couple étudie de nombreuses possibilités. En visionnant un reportage sur des vignerons belges, le couple s’aperçoit que ces derniers décrivent exactement le profil agronomique d’une de leur parcelle, sur les pentes du parc départemental d’Olhain. « Une parcelle très argilo-calcaire où les céréales poussaient mal. »
Quelques mois plus tard, Laurianne et Paul-Adrien ont vent d’un projet d’implantation de vigne à deux pas de chez eux. « Nous nous sommes dit que planter des vignes ici ne serait sans doute pas une si folle idée. » À l’origine de ce projet voisin, des spécialistes ! Vignerons charentais, Henri Jamet et Olivier Pucek ont eu l’idée, il y a 15 ans, de planter 40 ares de vignes sur le terril n°9 d’Haillicourt, à 6 km à vol d’oiseau de la ferme des Carbonnaux. La rencontre est décisive. « Ce sont eux les vrais pionniers du renouveau de la viticulture dans notre région. Ils nous ont définitivement convaincus de nous lancer et nous ont accompagnés pour faire les bons choix. »
Deux à trois ans pour finaliser les meilleurs choix
En 2019, Laurianne Carbonnaux fait donc une demande de droit de plantation pour deux hectares, en pensant en obtenir un seul » Contre toute attente, leur demande pour les deux hectares est rapidement acceptée. Commence ensuite une longue phase de réflexion. « Quel porte-greffe choisir ? Quels cépages privilégier ? Quel écartement entre les rangs ? Quelle densité ? Comment orienter la vigne ? Nous nous sommes donné deux ans pour répondre à toutes ces questions. »
Pour faire les bons choix, la réalité climatique du secteur est tout aussi déterminante que les données agronomiques de la parcelle. « Il nous fallait un porte-greffe adapté à un sol argileux au pH supérieur à 8, et qui supporte nos conditions d’humidité. » Le cépage, quant à lui, doit offrir un cycle végétatif assez court. « Nous voulions faire un produit le plus naturel possible, en évitant autant que possible la chaptalisation. »
Comme sur le terril viticole d’Haillicourt, le chardonnay s’impose. « J’aime beaucoup le viognier, mais il reste incompatible avec le climat du Nord, regrette-t-elle. Et en rouge, nous pourrions faire du pinot noir, comme en Champagne ou en Bourgogne, mais pas autre chose. Et ce serait risqué. »
Au printemps 2021, avec l’aide de nombreux voisins confinés à cause du Covid et ravis de sortir au grand air pour donner un coup de main, le couple implante 1,5 ha de chardonnay à raison de 6 250 pieds par hectare, une densité plus importante que celle pratiquée dans les autres projets viticoles des alentours. « En termes de densité de plantation, il y avait l’idéal et la réalité », renchérit la jeune vigneronne. L’idéal aurait été qu’on plante 10 000 pieds par hectare pour bien stresser la vigne et ainsi espérer une qualité organoleptique optimale des raisins. » Mais un faible écartement aurait nécessité un investissement matériel supplémentaire.
« Il aurait fallu opter pour un enjambeur trop coûteux pour la surface plantée ou un chenillard, mais nous n’avons aucune entreprise capable d’assurer la maintenance en cas de panne à moins de 200 kilomètres à la ronde. » Et le couple s’interdit d’avoir à traiter les vignes sans cabine. Montant de l’investissement : 50 000 € l’hectare, palissage compris.
2023, un premier millésime prometteur
Les conseils amassés au gré des rencontres ont beau s’avérer cruciaux pour lancer leur projet, Laurianne Carbonnaux doit aussi se former. Conjugant son emploi salarié, son projet d’installation et sa vie de famille, elle repart en 2022 sur les bancs de l’école – l’ESA d’Angers – pour y obtenir deux ans plus tard un BTSA en viticulture et œnologie, en plus d’une formation de sommelier auprès du WSET, plus important organisme international de formation en vins et spiritueux.
Dans mon plan prévisionnel, j’ai prévu que je ne récolterai pas une année sur quatre.
Laurianne et Paul-Adrien s’attachent aussi à mener leur projet autour de trois valeurs : « proximité, convivialité et transmission ». « Les vendanges, pour nous, ça doit être une fête ! » Membres de la famille et amis viennent en nombre pour assurer, fin septembre 2023, les premières vendanges du « domaine Carbonnaux ». Une récolte qui les met en confiance. « Nous avons obtenu autour de 8 000 litres, soit bien plus qu’espéré initialement. »
Mais les vendanges 2024 sont une tout autre histoire. « Sincèrement, l’année dernière, j’ai pris peur. Après des gelées tardives fin avril, nous avons eu beaucoup de pluies au printemps. » Les mêmes conditions qui auront compliqué et retardé les chantiers de semis chez de nombreux céréaliers. Dans les vignes, le froid et la pluie à la floraison ont engendré beaucoup d’avortements. « Le botrytis s’est alors bien développé. » Avec pourtant 50 ares de plus à vendanger – planté en 2022 en pinot gris – la deuxième cuvée est deux fois moins importante que la première.
Pas de quoi décourager la viticultrice qui plantera encore un troisième hectare en 2026 et qui a anticipé cette variabilité des récoltes dans son plan prévisionnel. « Je sais que, potentiellement, je ne récolterai pas une année sur quatre. » « Le changement du climat dans notre région, ce n’est pas un réchauffement, mais des aléas plus fréquents. »
Pas de quoi non plus ralentir ou stopper une renaissance d’un vignoble septentrional décimé au 19ème siècle par le phylloxéra. Sans compter les parcelles champenoises du sud de l’Aisne, les Hauts-de-France recenseraient déjà plus de 150 ha de nouvelles vignes.
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