Le blé dur prend sa place en Alsace, au gré des intempéries

Blé dur
Frédérique Kempf fait pousser du blé dur depuis 2018 sur son exploitation, à Ebersheim. (©Régis Anceaux, Comptoir agricole)
Pour lire l'intégralité de cet article, abonnez-vous à Terre-net pour 1€

« En quinze ans, plus de la moitié des surfaces de blé dur ont disparu », soupire Cécile Renault, directrice qualité, R&D et RSE chez Panzani. À 505 000 hectares en 2010, la sole est passée à 206 218 ha pour la campagne 2024-2025, son niveau le plus bas depuis 30 ans. L’érosion de cette culture est particulièrement rapide dans son bassin de production historique, le sud-est de la France, où la sécheresse fait des ravages. Les acteurs historiques de la filière tricolore tentent d’endiguer le phénomène, notamment via un plan de souveraineté doté de 43 millions d’euros, lancé en février 2024.

« Panzani a aussi initié, avec Arvalis, un programme d’adaptation aux changements climatiques et à la salinité, en région Paca, et met à disposition des partenaires, notamment des semenciers, son centre de recherche pour caractériser les nouvelles variétés », pointe Cécile Renault.

Le nord-est de la France, un futur bassin de production ?

Mais si la filière souhaite protéger ses bassins de production historiques, l’implantation de blé dur dans des régions plus clémentes apparaît comme une seconde stratégie envisageable. Ainsi, Panzani, dans une étude prospective menée avec Agrosolutions en 2023, a identifié le nord-est de la France comme un possible bassin de production complémentaire. Le pastier, qui traite 30 % de la production française de blé dur, a entamé des échanges avec la coopérative champenoise Vivescia, pour présenter son cahier des charges Blé responsable français aux agriculteurs.

À quelques centaines de kilomètres à l’est, en Alsace, la culture du blé dur est bien concrète, et ce, depuis près d’une dizaine d’années. Les coopératives Comptoir agricole (Bas-Rhin) et Coopérative agricole de céréales (Cac 68, Haut-Rhin) ont démarré cette production à peu près en même temps, en 2018, chacune sollicitée par un pastier local, les pâtes Grand’Mère pour le Comptoir agricole, et Valfleuri pour la Cac 68. Les deux entreprises sont les seules à bénéficier du label Pâtes d'Alsace IGP, dont le cahier des charges impose l’ajout de sept œufs par kilo de semoule de blé dur. L’utilisation d’une semoule alsacienne contribue à l’image locale attendue par les consommateurs.

Joris Cuny ingénieur expérimentation grandes cultures pour la Cac 68 Jérôme Marienne directeur commercial de Valfleuri et Jean-Michel Habig président de la coopérative.
Joris Cuny, ingénieur expérimentation grandes cultures pour la Cac 68, Jérôme Marienne, directeur commercial de Valfleuri et Jean-Michel Habig, président de la coopérative. (© Elena Blum)

Une alternance de bonnes récoltes et d’échecs

La Cac 68 a misé sur la variété Karur, plus résistante, après une phase expérimentale menée par son service agronomique. Grâce à un silo adapté et à une montée en compétence de ses équipes, la coopérative a pu intégrer cette nouvelle culture sans infrastructures supplémentaires. Les coûts de production du blé dur sont cependant supérieurs à ceux du blé tendre, d’environ 12 %. « Ce différentiel s’explique par le prix plus élevé de la semence, un troisième apport d’azote systématique, et un traitement supplémentaire contre la fusariose », explique Jean-Michel Habig, président de la coopérative et cultivateur de blé dur.

Pour contrebalancer ce coût, Valfleuri s’engage à acheter l’ensemble des volumes, en suivant le cours du blé tendre, avec un bonus filière. En 2020, après deux ans d’expérimentation, la coopérative emblave 400 ha, mais les intempéries de l’été 2021 ruinent la récolte, l’humidité provoquant du mitadinage. L’intégralité du blé dur récolté part en fourrager. En 2023, 19 agriculteurs sèment 150 ha, et récoltent 594 t, soit un rendement de 39,60 q/ha. Ces résultats permettent à la coopérative de stocker du blé dur en prévision des mauvaises années.

Mais en 2024, les 80 ha emblavés par 15 producteurs sont à nouveau déclassés en fourrager, en raison des intempéries. « Pour la campagne actuelle, seuls 7 ha ont été emblavés, explique Élodie Richard, responsable du pôle commercial Grandes Cultures à la Cac. Les agriculteurs doivent à la fois retrouver de la trésorerie et surmonter le traumatisme de 2024. » Le partenariat avec le pastier n’est cependant aucunement remis en question. La coopérative dispose de suffisamment de stock de report pour couvrir les besoins de Valfleuri.

Un potentiel qui pourrait atteindre 70 à 80 q/ha

Côté Comptoir agricole, la variété sélectionnée par la coopérative est Anvergur, qui présenterait une bonne résistance aux intempéries. « Dans la rotation, nous implantons le blé dur après le soja ou la betterave, mais nous évitons le maïs grain, à cause du risque fusariose », détaille Frédérique Kempf, agricultrice, qui cultive cette céréale depuis 2018. La sole est passée de 16 ha en 2017 à plus de 170 ha quatre ans plus tard, mais 2021, comme 2024, ont été mauvaises pour la coopérative qui a été contrainte de requalifier son blé dur en fourrager.

« Cette culture est très sensible à tout un tas de petits aléas climatiques qui peuvent arriver en fin de processus, même sur une bonne année, reconnaît Régis Anceaux, responsable qualité pour le Comptoir agricole. S’il y a trop de pluie, le PS va baisser, s’il fait trop sec, il y aura de l’échaudage. Si tout se passe bien, il se comporte comme du blé, avec un rendement compris entre 70 et 80 q/ha, mais s’il y a quoi que ce soit, la production est menacée. »

Les surfaces tonnages et rendements en blé dur du Comptoir agricole
Les surfaces, tonnages et rendements en blé dur du Comptoir agricole. (© Régis Anceaux, Comptoir Agricole)

D’après Frédérique Kempf, le blé dur nécessite un petit peu plus de surveillance que son cousin blé tendre, et une fois la récolte faite, la logistique peut différer : « l’agriculteur doit bien livrer à part, attendre que la cellule soit vide, ou parfois, faire un départ au champ ». Pour la campagne en cours, le Comptoir agricole n’a emblavé qu’une cinquantaine d’hectares. Malgré les difficultés, les deux coopératives souhaitent continuer l’aventure. « Aujourd’hui, nous comptons maintenir cette marque alsacienne, affirme Jean-Michel Habig. Nous ignorons encore quelle sera la sole pour la prochaine campagne, nous sommes justement en train de nous projeter sur les gammes, les orientations. Ce qui importe, c’est d’expérimenter, de nous améliorer. »

Inscription à notre newsletter

NEWSLETTERS

Newsletters

Soyez informé de toute l'actualité de votre secteur en vous inscrivant gratuitement à nos newsletters

MATÉRIELS D'OCCASIONS

Terre-net Occasions

Plusieurs milliers d'annonces de matériels agricoles d'occasion

OFFRES D'EMPLOIS

Jobagri

Trouvez un emploi, recrutez, formez vous : retrouvez toutes les offres de la filière agricole

Réagir à cet article