« Il ne faut pas s’attendre à une désertification de la France, ni à une fin de l’agriculture à horizon 2050. La France a largement les moyens de faire face aux nouveaux éléments climatiques au moins jusqu’en 2050 », c’est le message rassurant que délivre d’emblée Serge Zaka, agroclimatologue, lorsqu’on l’interroge sur l’avenir de l’agriculture française face au climat futur. A condition d’agir maintenant.
Les projections sont préoccupantes. La Trajectoire de réchauffement de référence pour s’adapter au changement climatique (Traac) adoptée par la France table sur une hausse des températures moyennes de + 2,7°C en 2050 par rapport à l’ère préindustrielle (avant 1900).
Les évolutions climatiques ne seront pas les mêmes selon les régions de France. Dans le nord, au-dessus d’une ligne Bordeaux-Lyon, « il y aura des sécheresses estivales, moins marquées que dans le sud, mais bien présentes, et des excès d’eau lors des périodes froides. Finalement, on aura les deux extrêmes : excès d’eau et déficit sur les périodes chaudes », explique l’agroclimatologue.
« Dans le sud, en revanche, il y aura beaucoup plus de sécheresse que d’excès d’eau. » C’est déjà le cas avec une évolution plus marquée de la sécheresse et du nombre de jours supérieurs à 35°C. Le sud va devenir un « hotspot climatique », une zone où le réchauffement sera plus marqué et où le climat va très fortement évoluer par rapport à ce qu’on connaissait avant, pour devenir plus méditerranéen, voire avec une « ambiance steppe-savane » près de la grande bleue.
« Le choc en termes agricole sera donc plus violent dans le sud », poursuit Serge Zaka. Avec des nappes phréatiques en baisse et des fortes températures, la solution de fond, « ce sera de mieux conserver l’eau dans les sols (avoir un sol vivant, des arbres dans les parcelles…) et de se tourner vers des espèces qui consomment moins d’eau. Dans le sud, l’irrigation ne sera qu’une solution ponctuelle, pour gérer l’urgence mais pas une solution de fond ».
Envisager de nouvelles cultures
A horizon 2050, le paysage agricole va donc changer plus radicalement. « Jusqu’en 2035-2040, sur des cultures comme le maïs, le soja ou le tournesol, il sera encore possible d’adapter les pratiques culturales ou de compter sur les progrès génétiques. Mais après, ce sera sûrement plus rentable de changer de filières », développe l’agroclimatologue. « Un maïs commence à subir des pertes de rendement à partir de 35°C, le sorgho à 40°C et l’olivier à 42°C… on aura beau avoir de l’irrigation mais quand il y aura plusieurs jours à 42 ou 43 degrés, le maïs ne pourra pas résister… c’est juste physiologique », démontre-t-il.
Pois chiche, sorgho, patate douce, pistaches, oliviers… ces cultures commencent déjà à s’implanter dans le sud de la France et sont amenées à se développer. Cela implique une restructuration des filières, la création de nouveaux AOP et IGP… Des démarches plus coûteuses et qui s’inscrivent dans le temps, mais indispensables pour prendre en compte l’évolution du climat.
Changer les pratiques
À l’inverse, dans la partie nord du pays, « on pourra voir les mêmes paysages, les mêmes cultures comme le blé, le colza, le maïs ou encore la pomme de terre et la betterave. Ce sont des cultures qui resteront rentables. Il s’agira plutôt d’une adaptation de techniques culturales plutôt que de filières. Il y aura du travail à faire sur les variétés, sur le sol, en ajoutant plus de couverts, et les paysages (parcelles plus petites, avec davantage de haies et d’arbres), mais la marge de manœuvre existe. Si les agriculteurs arrivent à bien gérer les excès d’eau, les rendements en blé et colza pourraient même augmenter ! Le changement climatique pourrait ainsi être « une opportunité » d’un point de vue agricole à certains endroits. »
Ces régions pourraient bénéficier d’une diversification potentielle sur l’arboriculture, le maraîchage, la viticulture mais aussi sur des cultures, actuellement plus au sud comme le tournesol ou le soja.
Dans les régions du nord, les excès d’eau pendant l’hiver pourront permettre d’alimenter les nappes phréatiques. Le rapport Explore 2, piloté par l’Inrae, indique d’ailleurs que la recharge potentielle annuelle des nappes augmentera légèrement dans le nord et le nord-est de la France sur la période 2070-2100. « Des solutions d’irrigation dans les zones au-dessus de Paris seront intéressantes puisque les nappes phréatiques le permettront. Mais il faudra aussi trouver des solutions d’amélioration des techniques culturales pour avoir un sol plus vivant, qui gère mieux les excès comme les déficits d’eau. ».
Dans cette projection à 2050, la région Hauts-de-France pourrait ainsi tirer son épingle du jeu et occuper une place importante dans l’économie de demain, pressent Serge Zaka, à condition de changer les pratiques et d’anticiper dès maintenant.
Pas de solutions à + 4°C
« On a les moyens de mettre en place des stratégies d’adaptation jusqu’en 2050, mais les choses se compliquent après, c’est l’incertitude », alerte l’agroclimatologue.
La Tracc projette en effet une hausse des températures de + 4°C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. Dans un rapport publié en mars 2025, Météo France note que des températures supérieures à 40 °C pourront se produire tous les ans et des records de chaleur pourraient atteindre localement jusqu’à 50 °C. Il faut s’attendre à 10 fois plus de jours de vague de chaleur à l’horizon 2100.
« On n’a pas de solutions scientifiques pour une telle augmentation des températures. Si rien n’est fait, on sera dans une impasse, et on n’est pas à l’abri d’une déprise agricole dans le sud de la France. On ne va pas mourir de faim non plus, d’autres pays prendront la relève, mais la France perdra sa puissance alimentaire sur la scène mondiale. »
Pour empêcher cette situation, la « seule véritable solution, c’est d’éviter d’atteindre ces + 4°C », assène Serge Zaka. Et donc d’éviter à tout prix les émissions des gaz à effet de serre.
