Dans les confiseries provençales telles que les nougats, les pâtes à tartiner, et même certains calissons, il n’est pas rare de retrouver de la pistache. Un fruit à coque de plus en plus prisé des Français et qui a pourtant disparu des jardins marseillais et aixois. Résultat : une balance commerciale exclusivement déficitaire avec plus de 10 000 tonnes de pistaches importées chaque année en France. C’est en partant de ce constat, qu’une poignée de visionnaires a fait le pari de réintroduire le pistachier dans le sud de la France.
D’un côté, des agriculteurs engagés, tels que Georgia Lambertin, Jean-Louis Joseph ou André Pinatel, et de l’autre, le groupe agroalimentaire Territoire de Provence et son directeur, Olivier Baussan, qui avait déjà participé au développement de la filière amande quelques années plus tôt. Ensemble, ils créent l’association Pistache en Provence et organisent une première réunion dans le Vaucluse en 2018. Le succès est immédiat : plus de 150 agriculteurs sont au rendez-vous.
« Cette culture répond à un besoin de diversification », analyse Alexis Bertucat, responsable RSE du groupe Territoire de Provence et engagé dans le développement de la filière. La cerise, la vigne, puis le lavandin… En Provence, les crises se succèdent et les exploitations cherchent à s’adapter. Autre avantage, le pistachier qui aime les climats secs semble particulièrement résilient face au dérèglement climatique.
Des expériences individuelles mises en commun
Forts de ce soutien du monde agricole, les fondateurs de l’association ne perdent pas de temps. Ils découvrent la culture en Tunisie, en Grèce ou encore en Espagne, et fouillent les ressources bibliographiques.
Rapidement, les premiers hectares de vergers de Jean-Louis Joseph et Georgia Lambertin sont rejoints par des dizaines d’autres sur l’arc méditerranéen. Sept ans plus tard, les vergers de pistachiers français représenteraient plus de 500 ha [1]. Et ce, malgré un investissement conséquent – 15 000 euros par hectare avec irrigation – et beaucoup d’inconnus autour de cette production.
« Si on y va, c’est parce qu’on est convaincu que ça va marcher », défend Quentin Manès. À Valensole, ce producteur de plants de lavandin, a misé sur la diversification avec un verger de pistachiers planté en décembre 2020. Comme beaucoup de pionniers, l’arboriculteur a essuyé les plâtres avec cette culture méconnue. Ravageurs, problèmes de taille et surtout des plants mal greffés… « Au début, je me suis rendu fou », se souvient-il en riant.
« Les premières années, les producteurs ont eu pas mal de problèmes de mortalité en raison des plants », confirme Benoît Dufaÿ, salarié du syndicat France Pistache créé en 2021. Au fil des années, les expériences individuelles ont su alimenter le savoir collectif, permettant notamment de créer un itinéraire technique. Pour ce qui est des plants, trois pépinières partenaires du syndicat proposent un matériel végétal de qualité et sept variétés de pistachiers.
Une marque collective déjà créée
« Le choix variétal dépend du projet de commercialisation », détaille le technicien du syndicat. La Kerman, variété la plus commune aux États-Unis et en Espagne, va permettre de produire des pistaches de gros calibre souvent dégustées à l’apéritif. D’autres variétés plus vertes et aromatiques, comme l’Egine ou la Larnaka, sont davantage destinées au marché de la transformation artisanale, davantage porteur d’après le syndicat France Pistache.
Le snacking étant « plus dominé par une agro-industrie peu regardante sur l’origine des produits et qui a tendance à aller au moins cher », précise Benoît Dufaÿ.
Car si des dizaines d’exploitants ont adhéré à cette nouvelle culture sans garantie de rendement, c’est aussi parce qu’ils croient à une bonne valorisation de leurs produits. Un point sur lequel la chambre d’agriculture de la région Paca et le syndicat travaillent avec une étude autour du coût de revient pour les producteurs. « Pour une rentabilité, on estime qu’il faudrait vendre la pistache en coque au minimum 15 euros le kilo et entre 30 et 35 euros pour les pistaches décortiquées qui nécessitent une prestation en casserie [NDLR : prix payé aux producteurs] », prédit le salarié du syndicat France Pistache.
Ces estimations seront d’ailleurs mises à l’épreuve du marché dès cet automne avec les premières récoltes des arbres plantés en 2019. Les producteurs pourront même s’appuyer sur la marque collective Pistache de Provence, créée pour l’occasion. Un premier pas pour aller vers une IGP, protégeant cette jeune filière qui pourrait faire des envieux.
« On pourrait imaginer planter jusqu’à 2 000 ha de pistachiers. Mais ce n’est pas un objectif, assure Benoît Dufaÿ. L’intérêt c’est d’abord d'assurer un revenu aux agriculteurs en s’adaptant au changement climatique. »
[1] Les principaux départements producteurs sont les Alpes-de-Haute-Provence, le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône et l’Aude.
