Cette "overdose de bonheur", selon l'expression de Philippe Feneuil, le président du Syndicat Général des Vignerons (SGV) de Champagne, a une explication : trois semaines d'ensoleillement continu depuis fin août ont donné une maturation parfaite aux raisins avec un degré alcoolique potentiel à 10,5° en moyenne. Une pluviométrie limitée depuis les quelques orages de juin a fait que l'état sanitaire des grappes est parfait, avec une absence quasi-totale de moisissure sur les raisins. Commencée le 12 septembre, la vendange doit se finir le 30 et ne peut plus souffrir d'une éventuelle dégradation climatique. Dans les vignes des champagnes Marcel Vézien, à Celles-sur-Ourse (Aube) dans la Côte-des-Bar, à l'extrême sud-est de la Champagne, le phénomène est encore renforcé par la position méridionale du terroir. "La consigne aux vendangeurs est de tout ramasser, car nous sommes légèrement en dessous du rendement autorisé de 12.000 kg à l'hectare, explique Jean-Pierre Vézien, petit-fils de Marcel, détenteur de la marque. Pas d'angoisse néanmoins, l'année sera bonne, y compris pour ses vignes des Riceys, qui lui permettent d'élaborer annuellement de 3 à 4.000 bouteilles du seul rosé "de garde", réputé le meilleur de France. En plus des 120.000 bouteilles de champagne. Le rosé des Riceys, appellation "incluse" dans la Champagne et dont la renommée va grandissante, ne peut être élaboré que les très bonnes années, à raison de quelque 80.000 bouteilles au total seulement, et devient - même au prix du champagne - un cru rare et recherché. La famille Vézien n'hésite pas à évoquer la violente révolte des vignerons aubois en 1911 contre l'ostracisme commercial des marnais, et illustre à sa manière la "montée" qualitative des 6.000 hectares des crus aubois de la Côte-des-Bar. Y compris pédagogiquement, puisqu'elle a décidé de recevoir des touristes pour des journées vendanges ou des stages oenologiques. Il est vrai que Celles-sur-Ources, premier cru champenois en volume pour les expéditions des récoltants-manipulants (près de 2 millions de bouteilles), ou encore les Riceys, premier cru champenois par la surface (762 ha), bénéficient d'un climat continental, plus proche de celui de la Bourgogne que de celui du reste de la Champagne. Ces micro-climats relativement ensoleillés et des terres argilo-calcaires de même nature que celles de Chablis, donnent des pinots noirs d'une qualité exceptionnelle. Et les grandes maisons de champagne n'hésitent pas à venir trouver dans l'Aube les "jus" qui seront assemblés avec les chardonnays de la Côte-des-Blancs, proche d'Epernay, et les pinots meuniers de la vallée de la Marne. Mais au delà de ces trois cépages qui constituent les assemblages de la plupart des champagnes, on trouve, dans l'Aube plus qu'ailleurs, certains cépages "historiques" qui entraient dans la composition du "vin fou" avant le phylloxéra : arbanne, petit meslier, pinot blanc ou pinot gris. Et déjà des cuvées "rétrospectives" explorent gustativement le temps, au moins de manière expérimentale. Finalement dans l'Aube, comme dans la Marne ou l'Aisne, cette année tout le monde est content, se laissant aller à une certaine euphorie. De plus l'étiquette 2002 se collectionnera : c'est un palindrome, lisible dans les deux sens, un argument marketing qui ne reviendra pas avant 2112. |