La performance paraît d'autant plus remarquable que les Quinze devaient affronter à Bruxelles un sujet explosif entre tous: celui du financement de l'élargissement, propice à réveiller les égoïsmes nationaux.
La facture globale de cet élargissement historique est certes modeste (42 milliards d'euros, soit moins de 0,5% du Produit intérieur brut annuel des Quinze), mais elle induit des choix budgétaires -donc politiques- déterminants pour l'avenir de l'ensemble des politiques communautaires, au premier rang desquelles la Politique agricole commune (PAC). Au bout du compte, le Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen a pu, à juste titre, se féliciter d'un sommet qui a permis de faire "un pas essentiel vers un élargissement historique". Il a pu confirmer que le sommet de Copenhague, les 12 et 13 décembre, pourrait boucler définitivement les négociations avec les dix pays retenus: Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Chypre et Malte. A Bruxelles, l'exemple est venu de la France et de l'Allemagne. A la surprise générale, après des années de brouille qui ont grippé le "moteur" à l'origine de la plupart des grandes avancées de la construction européenne. Le président Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schroeder ont réussi à surmonter en tête-à-tête un différend longtemps présenté comme inconciliable sur le volet agricole du financement de l'élargissement. Chacun a fait des concessions réciproques: M. Chirac en acceptant le principe d'un plafonnement des dépenses agricoles après 2006, qui impliquera inévitablement une baisse des subventions accordées aux exploitants français jusqu'ici choyés par l'Europe; M. Schroeder en entérinant jusqu'en 2013 le principe d'aides agricoles directes très impopulaires chez lui. Mais Paris et Berlin ont sans doute été déçus de constater que tous les termes de leur entente ne se sont pas imposés tels quels puisqu'ils ont tenté, en vain, d'obtenir en parallèle un engagement des Quinze sur une maîtrise globale de tout le budget de la future UE élargie. Ceux dont les intérêts immédiats étaient menacés ont refusé avec plus ou moins de vigueur. Le Premier ministre britannique Tony Blair s'est une nouvelle fois mis en colère lorsque le rabais budgétaire accordé à son pays depuis 1984 a paru remis en cause. L'Espagne, le Portugal et la Grèce se sont battus quand il a été question d'un plafonnement des fonds structurels dont ils sont les principaux bénéficiaires. Le rendez-vous est pourtant pris. Le chèque britannique n'est plus un sujet tabou et le sujet reviendra immanquablement sur la table des Quinze, comme l'ont annoncé plusieurs dirigeants européens. De son côté, le chef du gouvernement espagnol Jose Maria Aznar a reconnu que son pays était devenu "plus prospère" et que les fonds structurels lui étaient donc moins indispensables. Avant que l'élargissement ne devienne réalité, il faudra encore que chacun parvienne à convaincre ses concitoyens de partager le "gâteau européen" avec moins riches qu'eux lors des processus de ratification du Traité d'adhésion qui marqueront en 2003 la fin du marathon de cet élargissement d'une ampleur sans précédent. |