"Les technocrates européens prétendent que la pierre est porteuse de germes", affirme, sans y croire, Yves Lessatini, le président de la coopérative oléicole, pour expliquer cette interdiction. "Il y a eu jusqu'à trois moulins à Drap et personne n'a jamais été malade", ajoute-t-il.
Chaque sociétaire apporte sa récolte qui est broyée séparément. "Les gens sont réticents à mélanger leurs olives avec celles d'autres producteurs", précise M. Lessatini. Il faut un minimum de 120 kg d'olives, en raison de la dimension des meules, et un maximum de 400 kg, soit l'équivalent de la production de 30 à 50 arbres.
A Drap, village sur les hauteurs de Nice, le moulin est dit "à l'ancienne" par opposition aux moulins récents, conformes aux normes européennes. On y pratique la méthode génoise qui joue sur la différence de densité entre l'huile et l'eau. Les meules en pierre écrasent les olives jusqu'à l'obtention d'une pâte homogène que l'on recouvre d'eau. L'huile remonte alors à la surface.
Les oléiculteurs professionnels ne peuvent pas recourir aux moulins anciens puisque l'Union européenne leur interdit de mettre l'huile en bouteille, de la stocker et de la commercialiser. Ils ont dû construire en 2000 un moulin "tout automatique" à Contes, un village voisin.
"Pour rien au monde, je n'irai dans un moulin moderne", affirme Louis Campana, moustaches flamboyantes, dont les quarante-huit oliviers lui ont permis de récolter 400 kg de fruits cet hiver.
Comme lui, les Montgomery, un couple d'Ecossais, sont des inconditionnels du moulin de Drap. "A Aberdeen, dans le nord-est de l'Ecosse, on aime beaucoup l'huile d'olive de Drap", dit Elaine pendant que son mari remue l'eau et la pâte d'olive avant l'extraction de l'huile. Sur leur propriété, où ils vivent depuis deux ans, ils possèdent vingt-six oliviers.
André Malano, retraité, est moulinier depuis quatre ans. Il a toujours rêvé d'être aux commandes du moulin qui est ouvert de fin novembre à fin janvier, deux jours par semaine. "Je viens au moulin comme d'autres vont faire une partie de boules, avec plaisir".
Néanmoins, les tenants de la tradition perdent du terrain. Le moulin de Drap a broyé 2O tonnes d'olives l'an dernier contre 240 tonnes à Contes. Mais les oléiculteurs de Drap revendiquent une autre façon de concevoir l'existence.
Louis Campana arrive toujours avec un panier de victuailles au bout des bras. "Ici, les gens participent. On amène son casse-croûte que l'on partage. C'est convivial". André Malano se souvient qu'il y a quelques années, les membres de la coopérative dressaient des tables dans le moulin pour de vrais repas en commun. |