Le monde du vin est resté longtemps masculin. Pour une femme, exprimer son goût pour le vin et en boire avec une mine gourmande pouvait presque la faire passer il n'y pas si longtemps encore pour une alcoolique. Aujourd'hui les temps ont changé. La consommation du vin a évolué, et peu à peu les femmes ont apprivoisé cet univers. On trouve désormais des femmes œnologues, consultantes, maîtres de chai, quand elles ne sont pas à la tête d'exploitations parfois prestigieuses (Château-Margaux, Mouton-Rotschild...). Quant aux rayons vin des supermarchés, ils voient bien plus de consommatrices arpenter leurs allées : 60 % des achats de vin en grandes surfaces seraient effectués par les femmes, devenues de fait très intéressantes aux yeux des spécialistes du marketing vinicole. A l'heure où la consommation de vin est en baisse tandis que la surproduction menace, la femme serait-elle l'avenir du vin ? En tous les cas, choisir le vin et l'apprécier n'est plus l'apanage des hommes. Une évolution à laquelle n'est sans doute pas étrangère Isabelle Forêt, journaliste et spécialiste du vin au féminin. Après avoir publié dans les années 80 le premier guide français consacré aux femmes et au vin (“Elles et Bacchus”), cette petite-fille de vigneron bourguignon a créé il y a peu un site internet, winewomanworld.com. Elle vient aussi de lancer l'édition 2004 de son guide “Fémivin”, proposant notamment une sélection de vins propres à séduire les palais et les nez féminins. Pour Isabelle Forêt, un tel guide répond aux attentes des consommatrices : “les femmes n'ont pas la même approche du vin. Elles ne ressentent pas les mêmes choses en les dégustant, et elles n'ont donc pas les mêmes besoins. Auparavant elles étaient influencées par leur éducation et par les hommes et on ne les laissait pas s'exprimer sur le vin. Aujourd'hui les femmes affirment leurs goûts.” Pour Isabelle Forêt, ces consommatrices seraient d'ailleurs plus curieuses que les hommes et moins attachées à l'étiquette et aux “appellations rassurantes”. La journaliste a étudié il y a une vingtaine d'années les fiches de dégustation de concours de jeunes sommeliers et a découvert que les filles ressentaient d'après leurs fiches beaucoup plus de choses que les garçons au niveau du nez. Cet odorat féminin plus développé que celui des hommes s'expliquerait selon elle par des facteurs génétiques et hormonaux, et par une mémoire olfactive très vaste. Le nez féminin serait selon Isabelle Forêt capable d'identifier des arômes subtils. Les femmes et les hommes ne percevraient pas les mêmes arômes dans un même vin : la journaliste se souvient amusée d'une dégustation hommes/femmes au cours de laquelle les femmes avaient décelé une odeur de vernis à ongles sur un vin. Ce vin avait été classé premier par le jury masculin siégeant à une rue de là et qui n'avait pas trouvé trace de cette senteur ! Pour l'auteur de “Fémivin 2004”, les femmes et les hommes ne sont pas attirés par les mêmes vins. “Aux vins très boisés qui agressent leurs papilles, les femmes préfèrent les vins plus fruités, plus soyeux mais avec du corps. Elles recherchent des émotions aromatiques au niveau du nez et apprécient par exemple les gamay ou les pinots.” Les choses seraient toutefois plus complexes aux dires d'autres spécialistes. Selon Frédéric Brochet, œnologue, auteur d'une thèse sur la dégustation réalisée à la faculté d'oenologie de Bordeaux, “on constate effectivement des différences entre les hommes et les femmes sur le vin : les femmes ont une meilleure sensibilité, une meilleure capacité à verbaliser, une meilleure mémorisation aussi, mais qui n'est supérieure aux hommes que de quelques points. Tester les différences de perception selon le sexe est en tout cas difficile, les résultats peuvent être sujets à caution. Il existe des différences de perception entre chacun de nous, et bien sûr entre hommes et femmes, mais il n'y a pas de spécificités masculines ou féminines : les préférences olfactives ne peuvent être rattachées à une seule variable. On ne peut pas dire que les hommes sentent mieux le musc, ou que les femmes vont forcément aimer tel type de vin.” Autrement dit, une cuvée “spéciale femmes” lancée sur le marché n'aurait peut-être pas le succès escompté... Fémivin 2004, Isabelle Forêt, éditions Michel Lafont, 18 euros. |