Si Tokyo et Bruxelles défendent, sous la surveillance de lobby agricoles puissants, une conception voisine d'une agriculture "multifonctionnelle", l'UE ne veut pas renoncer à être un grand exportateur alors que l'archipel, premier importateur net de produits alimentaires, a une stratégie essentiellement défensive. "Nous sommes très proches de l'Union Européenne. Avec elle, la Suisse, la Corée du Sud et la Norvège, nous formons le noyau des promoteurs de l'agriculture multifonctionnelle", rappelle Ryu Yamasaki, ambassadeur extraordinaire pour le commerce international et principal négociateur japonais. Face aux grands pays exportateurs du Groupe de Cairns et aux Etats-Unis, qui veulent obtenir du cycle de Doha un démantèlement des entraves au commerce agricole international, ces pays insistent sur la nécessité de maintenir à la terre des exploitants non compétitifs pour assurer la préservation de l'environnement ou du paysage. A Cancun toutefois, le Japon risque d'être pris à contre-pied par l'initiative des Américains et des Européens pour sortir de l'impasse agricole. Bien que vague et non chiffrée, la proposition commune UE-USA annoncée le 13 août, retient pour la baisse des tarifs douaniers agricoles une formule menaçante pour les agriculteurs nippons. "La formule suisse est inacceptable pour le Japon", indique M. Yamazaki, en évoquant ce mécanisme, qui n'a plus de suisse que le nom, qui verrait tous les tarifs agricoles à l'importation plafonnés à 25%, cinq ans au plus tard après la conclusion du cycle. Le Japon s'était au contraire rallié à la proposition initiale des Européens, dite de l'Uruguay Round dans le jargon de l'OMC, prévoyant une réduction en pourcentage des tarifs existants, avec un seuil plancher de 15%. Dans le cas du riz japonais, actuellement protégé par des taxes à l'importation de 490%, ce plancher permettrait de maintenir un taux de protection d'environ 400%. "En terme de mandat politique, il sera très difficile d'aller plus loin", explique l'ambassadeur Yamazaki. Neutre dans la bataille sur les subventions à l'exportation, qui ne le concerne pas, le Japon est en outre réticent à embrasser une autre grande cause de l'Union Européenne, celle des indications géographiques. L'Europe souhaite l'extension à d'autres produits que les vins et spiritueux, qu'il s'agisse de fromages, huiles d'olive ou de riz, la protection des appellations d'origine, qui fait qu'un camembert ne peut venir que de Normandie. "Nos éleveurs craignent de ne plus pouvoir commercialiser leur camembert de Hokkaido", indique un autre responsable japonais. Pour les Européens, la question est de savoir si l'alliance japonaise résistera mieux à Cancun qu'à Doha en novembre 2001, où les Japonais avaient abandonné l'UE en rase campagne sur le dossier des subventions à l'exportation de produits agricoles après avoir atteint leurs propres objectifs. Mais Ryu Yamazaki rappelle que le front commun Europe-Japon ne se limite pas à l'agriculture. Comme l'UE, "nous voulons toujours un cycle large", qui ne se limite pas à l'accés au marché et à l'agriculture. Sur les sujets dits "de Singapour" (investissement, concurrence, etc.), pour lesquels les modalités de négociations doivent être adoptées à Cancun, "nous collaborons étroitement, quotidiennement, avec l'UE. L'Europe et le Japon sont en très bons termes", assure-t-il. |