"Mais cette année, Anheuser va réduire ses achats de 15 à 20%, car le goût des consommateurs change: ils se tournent vers des bières plus légères, donc contenant de moins en moins de houblon", ajoute-t-il. "De plus, notre +strisselspalt+, une variété de houblon très aromatique que nous sommes les seuls à cultiver, est un produit haut de gamme assez cher, qui se vend moins facilement qu'il y a quelques années".
Autre déconvenue américaine pour les planteurs alsaciens: le brasseur Coors, établi dans le Colorado, qui achetait 15% de la production régionale, a renoncé aux récoltes alsaciennes au moins jusqu'en 2005, à cause de la guerre en Irak. "Du fait du contexte international, Coors avait peur que ses clients boycottent une bière aromatisée au houblon français", souligne M. Ingwiller. Suite à cette double défection, la Cophoudal a dû négocier avec d'autres acheteurs pour écouler sa récolte 2004. "Pour cette année, ça va, on s'en est sortis, notamment grâce à certaines brasseries régionales alsaciennes, mais aussi à des brasseurs japonais", détaille le président de la coopérative.
Mais rien ne garantit pour l'heure que ces clients de substitution répondront présents à l'avenir. "C'est déstabilisant, mais je suis confiant: nous allons trouver les solutions pour évoluer et nous adapter à la nouvelle donne du marché mondial", assure Bernard Wendling, houblonnier à Schwindratzheim, près de Strasbourg. "Depuis plus de 200 ans qu'on cultive du houblon en Alsace, on a toujours produit, à quasi 100%, la même variété", explique-t-il en remuant à l'aide d'une fourche, au-dessus d'un séchoir, les milliers de cônes verts et odorants qui viennent d'être récoltés.
"S'il faut changer, eh bien changeons!", ajoute le producteur, qui a investi quelque 750.000 euros au début des années 1990 pour équiper ses 20 ha avec les échafaudages, hauts de sept à huit mètres, nécessaires à la croissance de la plante. Le changement et le salut viendront peut-être de la science: depuis trois ans, des équipes de biologistes de l'Université Louis-Pasteur (ULP) de Strasbourg, mais également d'East Malling (Angleterre), cherchent à obtenir, par hybridation, de nouvelles variétés de houblon.
"Le défi est de créer un +strisselspalt+ amélioré, qui garde sa richesse aromatique, tout en étant plus concentré en substance amère. C'est cela que demandent les brasseurs", explique Jean-Marc Jelsch, professeur de biotechnologie à l'ULP et responsable d'une équipe de recherche sur ce sujet. "Mais de tels travaux ne se font pas en quelques mois: nous n'obtiendrons vraisemblablement pas de résultat exploitable à grande échelle avant la fin de la décennie", prévient le scientifique. |