D'où la nécessité de prendre en compte les spécificités des populations précaires pour mieux cibler les actions de prévention nutritionnelle, selon le Centre de recherche et d'information nutritionnelles (CERIN) qui a organisé ce weekeend un colloque sur ce thème à Paris. Près de quatre millions de personnes, soit 6% de la population française et 8% des enfants, vivent en situation de précarité. "Contrairement aux idées reçues", explique Jean-Pierre Poulain, sociologue spécialiste de l'alimentation à l'Université de Toulouse-Le Mirail, "la prévalence de l'obésité est plus faible au sein des populations en situation de précarité que dans l'ensemble de la population". Mais l'obésité est plus fréquente "dans les populations en cours de fragilisation économique" et semble davantage liée à la dégradation de la situation sociale, explique-t-il en présentant les premiers résultats d'une étude portant notamment sur 200 "précaires" (mais aucun SDF) et 240 "pré-précaires" en train de glisser vers la pauvreté. Lorsque les revenus baissent de 20%, l'indice de masse corporelle passe "très haut dessus de la moyenne", ajoute-t-il.
Si le coût des produits alimentaires joue un rôle important lors des achats, au détriment en particulier des fruits et légumes, "le goût demeure un critère essentiel de choix", souligne-t-il. Interrogés sur leur comportement en cas d'amélioration de leur situation financière, 13% des personnes les plus démunies disent qu'elles achèteraient en plus grande quantité les produits qu'elles mangent habituellement. Elles n'évoquent pas une amélioration qualitative de leur alimentation, insiste-t-il. Plus faibles consommateurs de fruits et légumes (41%) que la moyenne nationale (53%), ainsi que de viande (39% contre 51%) et de poisson (10% contre 16%), les foyers défavorisés boivent davantage de sodas et mangent plus de sandwichs, hamburgers et pizza (18% contre 12%). Déjeuner ou dîner se passent moins souvent en famille, l'alimentation paraît désocialisée et la description du repas idéal s'éloigne du traditionnel menu, entrée, plat principal et dessert. Si 62% des Français se réfèrent à ces trois plats comme la norme --que seulement 32% mettent en pratique--, le repas traditionnel n'est cité comme référence que par 52% des personnes en situation précaire. Il ne s'inscrit dans la réalité que pour 22% d'entre elles. Le dîner est pris seul deux fois plus souvent que dans le reste de la population (41% contre 21%) mais collations et grignotages hors repas, souvent à domicile, peuvent être aussi des occasions de convivialité.
Le déclin du repas en famille, surtout dans les classes dites populaires, peut être lié aux horaires de travail, selon le psychosociologue Arnaud de la Hougue. Et de citer travail dans l'hôtellerie, ménage dans les bureaux, travail en équipes et 3X8. La pauvreté, dit-il, pousse aussi parfois les parents à privilégier l'alimentation des enfants, quitte à consommer seuls, loin des regards, un bol de lait ou de céréales. Dépression et conflits familiaux peuvent aussi expliquer le peu d'entrain à confectionner un repas à prendre en commun. Dans d'autres cas, c'est l'apprentissage même des techniques culinaires qui fait défaut. D'où l'idée d'ateliers cuisines regroupant parents et enfants pour découvrir le plaisir de cuisiner des recettes faciles et pas chères, et de manger ensemble. |