"On a commencé à y penser fortement lors de la réforme de la politique agricole commune en 1992, qui instituait l'obligation de jachères: on s'est demandé comment occuper ces jachères de façon industrielle", raconte cet agriculteur de 57 ans, qui a repris l'exploitation familiale à Thibie (Marne) en 1980. Alors membre du CA de la sucrerie d'Arcis-sur-Aube (Aube), il songe à la production d'éthanol, un biocarburant extrait de betteraves ou de céréales et qui, ajouté à l'essence, permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
"On avait alors un grand espoir, mais finalement, ça n'a rebondi que maintenant", dit-il, regrettant que la France ait pris beaucoup de retard par rapport à d'autres pays. "Le Brésil, par exemple, était un pays émergent sans ressources pétrolières et un grand territoire agricole: ils ont misé sur les biocarburants", explique-t-il. "En France, on était encore dans l'ère du pétrole facile et les préoccupations pour l'environnement n'étaient pas très fortes", se souvient-il. Daniel Collard décide d'y croire et se lance dans la production d'éthanol à la distillerie d'alcool d'Arcis-sur-Aube, qui recycle les betteraves de la sucrerie.
Quinze ans plus tard, alors que l'usine produit 1,5 million d'hectolitres d'éthanol par an (1er rang européen), le vent a tourné: une directive européenne de 2003 fixe un objectif de 5,75% de biocarburants dans les carburants d'ici à 2010. Prise de court, la France, qui n'affiche alors qu'un maigre taux de 0,8%, lance un appel d'offres pour développer ce carburant "propre". "La canicule, la flambée du pétrole et la prise de conscience environnementale ont créé une véritable volonté politique: aujourd'hui, on est à un tournant", se félicite M. Collard, devenu président en 2003 du groupe Cristal Union, qui regroupe 16 coopératives, soit 20% des surfaces nationales en betteraves. Cristal Union, deuxième opérateur français sur le marché du sucre, répond à l'appel d'offres et rafle l'autorisation de produire 80.000 tonnes d'éthanol sur son futur site Cristanol, né d'une coopération avec Champagne Céréales.
Daniel Collard ne compte pas s'arrêter là: "il nous faut 120.000 tonnes supplémentaires", dit-il, préparant déjà cette nouvelle étape et rêvant d'un meilleur dialogue avec l'industrie du pétrole. Et même si certains continuent de juger les biocarburants non compétitifs, il est catégorique: "on ne peut pas comparer avec l'essence, car il y a une valeur énergétique et une valeur polluante: pour la valeur énergétique, on n'est pas très loin d'être compétitifs face à un baril à 70-80 dollars; pour la valeur polluante, on devrait même nous rémunérer pour nos effets sur l'environnement!".